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20/06/2016 | FRANCE | N°16PA01210

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 20 juin 2016, 16PA01210


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2015, modifié par l'arrêté du 5 janvier 2016, par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le quinzième arrondissement de Paris, lui a fait obligation de se présenter deux fois par jour à 8 heures et 19 heures et ce, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, au commissariat de police de cet arrondissement et de demeurer à son domicile tous les jours de 20 heures

à 6 heures, et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d'assignatio...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2015, modifié par l'arrêté du 5 janvier 2016, par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans le quinzième arrondissement de Paris, lui a fait obligation de se présenter deux fois par jour à 8 heures et 19 heures et ce, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, au commissariat de police de cet arrondissement et de demeurer à son domicile tous les jours de 20 heures à 6 heures, et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalable du préfet de police.

Par un jugement n° 1519389/3-2 du 12 février 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2016, M.B..., représenté par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 février 2016 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 27 novembre 2015 et du 5 janvier 2016 mentionnés ci-dessus, ainsi que l'arrêté du ministre de l'intérieur du 20 novembre 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les arrêtés du 20 novembre 2015 et du 5 janvier 2016 ne comportent pas le nom de leur signataire ; ils sont, comme l'arrêté du 27 novembre 2015, entachés d'incompétence ; ces trois arrêtés ne font mention d'aucune délégation ;

- ces trois arrêtés ont été pris sans procédure contradictoire préalable, en méconnaissance des droits de la défense ;

- il n'existe aucun lien entre les circonstances exceptionnelles qui ont motivé la mise en oeuvre de l'état d'urgence et sa situation personnelle ;

- les arrêtés attaqués portent une atteinte grave à sa liberté d'aller et venir, garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le protocole n° 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils portent également atteinte à sa liberté d'entreprendre ;

- les manoeuvres dilatoires du ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif ont allongé la procédure et l'ont privé de son droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la même convention ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ; il n'a d'ailleurs jamais fait l'objet de poursuites judiciaires ;

- son assignation à résidence n'a pas été renouvelée à la suite de la prolongation de l'état d'urgence le 26 février 2016, alors qu'elle l'aurait été si son comportement avait réellement été dangereux ;

- les arrêtés attaqués sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ces arrêtés l'ont contraint à prendre, du fait de l'obligation de pointer régulièrement au commissariat de police, des mesures bouleversant sa vie quotidienne et son activité professionnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la requête dirigées contre l'arrêté du ministre de l'intérieur du 20 novembre 2015, M. B...ayant abandonné ses conclusions dirigées contre cet arrêté dans ses mémoires présentés devant le Tribunal administratif de Paris enregistrés le 30 décembre 2015 et le 6 janvier 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Y,

- les conclusions de Z, rapporteur public,

- les observations de M.B...,

- et les observations de MmeA..., pour le ministre de l'intérieur.

Une note en délibéré, enregistrée le 16 juin 2016, a été présentée par Me D...pour M.B....

1. Considérant que, par arrêté du 20 novembre 2015, le ministre de l'intérieur a astreint M. C...B..., machiniste à la RATP, demeurant à... ; que cet arrêté prévoit que M. B...ne peut se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement une autorisation préfectorale écrite ; qu'il a été abrogé et remplacé par un arrêté du 27 novembre 2015 l'assignant à nouveau à résidence, lui-même modifié par un arrêté du 5 janvier 2016 ; que M. B...a demandé au Tribunal administratif de Paris, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2015, modifié par l'arrêté du 5 janvier 2016 ; que le requérant fait appel du jugement du 12 février 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions de M. B...dirigées contre l'arrêté du ministre de l'intérieur du 20 novembre 2015 :

2. Considérant que les conclusions présentées par M. B...devant le Tribunal administratif de Paris contre l'arrêté du ministre de l'intérieur du 20 novembre 2015 ont été expressément abandonnées dans ses mémoires du 30 décembre 2015 et du 6 janvier 2016 ; que ses conclusions présentées devant la Cour contre cet arrêté, qui doivent être regardées comme nouvelles en appel, sont donc irrecevables ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant que, si le ministre de l'intérieur a produit son mémoire en défense devant le tribunal administratif le 6 janvier 2016 et un mémoire en réponse à la communication d'un moyen d'ordre public le 19 janvier, il ressort des pièces du dossier que l'audience prévue le 13 janvier 2016 a été reportée au 27 janvier suivant, ce qui a permis à M. B... de répondre à ces mémoires le 20 janvier ; que le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que le principe du contradictoire aurait été méconnu, ni, en tout état de cause, que les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'auraient pas été respectées ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Considérant qu'après les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015 et en application de la loi du 3 avril 1955 susvisée, l'état d'urgence a été déclaré par le décret

n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur l'ensemble du territoire métropolitain, et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) " ; qu'il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d'assignation à résidence sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit ;

5. Considérant, en premier lieu, que M. B...reprend en appel le moyen, qu'il avait soulevé devant le tribunal administratif, tiré de ce que les arrêtés attaqués seraient entachés d'incompétence ; qu'en l'absence de toute circonstance de droit ou de fait nouvelle présentée à l'appui de ce moyen, il y a lieu de l'écarter par les mêmes motifs que ceux retenus, à bon droit, par les premiers juges ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que M. B...soutient que les arrêtés attaqués sont entachés d'un vice de procédure en ce qu'ils ont été pris sans qu'il ait été préalablement mis à même de présenter des observations ; que, toutefois, les décisions litigieuses ayant été édictées dans le cadre exceptionnel de l'état d'urgence, le ministre de l'intérieur n'avait pas à faire précéder ses décisions d'un débat contradictoire avec l'intéressé ;

7. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, par leur lettre même, n'établissent pas de lien entre la nature du péril imminent ayant conduit à ce que soit déclaré l'état d'urgence et la nature de la menace pour la sécurité et l'ordre publics susceptible de justifier une mesure d'assignation à résidence ; que, par suite, elles ne font pas obstacle à ce que le ministre de l'intérieur, tant que l'état d'urgence demeure en vigueur, puisse décider l'assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence, dès lors que des raisons sérieuses donnent à penser que le comportement de cette personne constitue, compte tenu du péril imminent ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que M. B...ne saurait donc utilement invoquer l'absence de lien entre les événements qui ont motivé la mise en oeuvre de l'état d'urgence et sa situation personnelle ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que, pour prendre les décisions d'assignation à résidence litigieuses, en application des dispositions de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la gravité de la menace terroriste sur le territoire national et s'est appuyé sur les éléments mentionnés dans une note des services de renseignement versée au débat contradictoire ; qu'il ressort de cette note que M. B...est un islamiste radical qui consulte régulièrement sur Internet des vidéos favorables à l'organisation terroriste " Etat islamique " et qu'après avoir envisagé de se rendre en zone irako-syrienne, il a désormais l'intention de rejoindre les combattants djihadistes en zone sahélienne ; que cette note mentionne également qu'il a été en contact avec plusieurs islamistes radicaux, notamment le président de l'association " Sanâbil ", qui fournit un soutien aux militants islamistes incarcérés pour des faits de terrorisme, un individu condamné pour des actes de terrorisme sur le territoire français et ayant effectué plusieurs séjours dans des camps d'entraînement militaire à l'étranger, une personne impliquée dans des filières d'acheminement de combattants en zone irako-syrienne, une autre qui, depuis l'Egypte, facilite les entrainements djihadistes au Yémen et en Afghanistan, ainsi qu'un individu en contact avec de jeunes islamistes radicaux partis combattre dans les rangs de l'organisation " État islamique " en Syrie et ayant suivi un entraînement militaire en ex-Yougoslavie ;

9. Considérant qu'aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par des " notes blanches " établies par les services relevant du ministère de l'intérieur qui ne sont pas sérieusement contestés par le requérant, soient pris en considération par le juge administratif ; que, pour critiquer le bien-fondé de son assignation à résidence, M. B... se borne à faire valoir qu'il n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires, que cette assignation à résidence n'a pas été renouvelée à la suite de la prorogation de l'état d'urgence

au-delà du 26 février 2016, que la manière dont il pratique sa foi musulmane, dans un esprit de paix, relève de son intimité et que les mesures d'assignation à résidence dont son frère avait fait l'objet ont été annulées par deux jugements du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 11 mars 2016, sans produire, ni en première instance ni en appel, aucun élément susceptible de remettre en cause la matérialité des faits énoncés au point 8 ; que, dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu, sans entacher sa décision d'erreur de fait ou d'erreur d'appréciation, ordonner l'assignation à résidence de M.B... ;

10. Considérant, en cinquième lieu, que M. B...soutient que les arrêtés qu'il conteste portent atteinte à sa liberté d'aller et venir et à sa liberté d'entreprendre ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 permet au ministre de l'intérieur, dans les zones territoriales où l'état d'urgence a été décrété, de prononcer l'assignation à résidence de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'eu égard à la nature des faits mentionnés au point 8, le ministre de l'intérieur n'a pas fait, en l'espèce, un usage illégal des pouvoirs de police qui lui sont dévolus par la loi du 3 avril 1955, dont les dispositions ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ;

11. Considérant, en sixième lieu, et en tout état de cause, que la possibilité de prendre une mesure d'assignation à résidence sur le fondement de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 n'est pas incompatible, compte tenu des motifs ayant justifié la déclaration de l'état d'urgence, avec les stipulations de l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lesquelles l'exercice de la liberté de circulation " (...) ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui (...) constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

12. Considérant, en septième lieu, que, si M. B...fait valoir que sa vie quotidienne et professionnelle a été bouleversée et qu'il a été contraint de prendre des congés afin de ne pas perdre son emploi, les modalités de l'assignation à résidence fixées par le ministre de l'intérieur ne peuvent être regardées, en l'espèce, comme disproportionnées, eu égard à la nature de la menace ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence et aux faits imputés à l'intéressé mentionnés au point 8 ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2016, à laquelle siégeaient :

- X, président de chambre,

- Y, président-assesseur,

- M, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 juin 2016.

Le rapporteur,

YLe président,

X

Le greffier,

W

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01210

Classement CNIJ :

C


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01210
Date de la décision : 20/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-06-01 Police. Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police. État d'urgence.


Composition du Tribunal
Président : Mme F...
Rapporteur ?: M. N...
Rapporteur public ?: M. B...
Avocat(s) : NOGUERAS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-06-20;16pa01210 ?
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