La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2016 | FRANCE | N°16PA01209

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 20 juin 2016, 16PA01209


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun :

1°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans la commune de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), a fixé les heures auxquelles il doit se présenter au commissariat de police de Chelles, l'a astreint à demeurer dans les locaux où il réside de 21 heures 30 à 7 heures 30 et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalabl

e du préfet de police ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2015, abrogeant et rempl...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au Tribunal administratif de Melun :

1°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans la commune de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), a fixé les heures auxquelles il doit se présenter au commissariat de police de Chelles, l'a astreint à demeurer dans les locaux où il réside de 21 heures 30 à 7 heures 30 et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalable du préfet de police ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2015, abrogeant et remplaçant l'arrêté du 15 novembre 2015 précité, par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans la commune de Vaires-sur-Marne, a fixé les heures auxquelles il doit se présenter au commissariat de police de Chelles, l'a astreint à demeurer dans les locaux où il réside de 21 heures 30 à 7 heures 30 et lui a interdit de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalable du préfet de Seine-et-Marne.

Par un jugement n° 1509631 du 12 février 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2016, M.B..., représenté par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 février 2016 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les arrêtés du 15 novembre 2015 et du 4 décembre 2015 susmentionnés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les arrêtés du 15 novembre 2015 et du 4 décembre 2015 sont entachés d'incompétence ; l'arrêté du 15 novembre 2015 ne précise pas que son signataire disposait d'une délégation de signature ;

- ces deux arrêtés ont été pris sans procédure contradictoire préalable, en méconnaissance des droits de la défense ;

- il n'existe aucun lien entre les circonstances exceptionnelles qui ont motivé la mise en oeuvre de l'état d'urgence et sa situation personnelle ;

- les arrêtés attaqués portent une atteinte grave à sa liberté d'aller et venir, garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le protocole n° 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils portent également atteinte à sa liberté d'entreprendre ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ; il n'a d'ailleurs jamais fait l'objet de poursuites judiciaires ;

- son assignation à résidence n'a pas été renouvelée à la suite de la prolongation de l'état d'urgence au-delà du 26 février 2016, alors qu'elle l'aurait été si son comportement avait réellement été dangereux ;

- les arrêtés attaqués sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- ces arrêtés l'ont contraint, du fait de l'obligation de pointer régulièrement au commissariat de police de Chelles, à prendre des mesures ayant bouleversé sa vie quotidienne et à réduire considérablement son activité professionnelle, ce qui lui a causé une perte financière ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Y,

- les conclusions de Z., rapporteur public,

- et les observations de MmeA..., pour le ministre de l'intérieur.

1. Considérant que, par arrêté du 15 novembre 2015, le ministre de l'intérieur a astreint M. D...B..., demeurant à... ; que cet arrêté prévoit que M. B...ne peut se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement une autorisation préfectorale écrite ; qu'il a été abrogé et remplacé par un arrêté du 4 décembre 2015 l'assignant à nouveau à résidence dans des conditions analogues ; que M. B...fait appel du jugement du 12 février 2016 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés ;

2. Considérant qu'après les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015 et en application de la loi du 3 avril 1955 susvisée, l'état d'urgence a été déclaré par le décret

n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur l'ensemble du territoire métropolitain, et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur dans tous les cas peut prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) " ; qu'il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d'assignation à résidence sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit ;

3. Considérant, en premier lieu, que M. B...reprend en appel le moyen, qu'il avait soulevé devant le tribunal administratif, tiré de ce que les arrêtés attaqués seraient entachés d'incompétence ; qu'en l'absence de toute circonstance de droit ou de fait nouvelle présentée à l'appui de ce moyen, il y a lieu de l'écarter par les mêmes motifs que ceux retenus, à bon droit, par les premiers juges ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que M. B...soutient que les arrêtés attaqués sont entachés d'un vice de procédure en ce qu'ils ont été pris sans qu'il ait été préalablement mis à même de présenter des observations ; que, toutefois, les décisions litigieuses ayant été édictées dans le cadre exceptionnel de l'état d'urgence, le ministre de l'intérieur n'avait pas à faire précéder ses décisions d'un débat contradictoire avec l'intéressé ;

5. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précitées de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, par leur lettre même, n'établissent pas de lien entre la nature du péril imminent ayant conduit à ce que soit déclaré l'état d'urgence et la nature de la menace pour la sécurité et l'ordre publics susceptible de justifier une mesure d'assignation à résidence ; que, par suite, elles ne font pas obstacle à ce que le ministre de l'intérieur, tant que l'état d'urgence demeure en vigueur, puisse décider l'assignation à résidence de toute personne résidant dans la zone couverte par l'état d'urgence, dès lors que des raisons sérieuses donnent à penser que le comportement de cette personne constitue, compte tenu du péril imminent ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; que M. B...ne saurait donc utilement invoquer l'absence de lien entre les événements qui ont motivé la mise en oeuvre de l'état d'urgence et sa situation personnelle ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que pour prendre les décisions d'assignation à résidence litigieuses, en application des dispositions de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la gravité de la menace terroriste sur le territoire national et s'est appuyé sur les éléments mentionnés dans une note des services de renseignement versée au débat contradictoire ; qu'il ressort de cette note que M. B...est depuis de nombreuses années une figure emblématique du salafisme en Ile-de-France ; que, décrit comme référent religieux fondamentaliste, il intervient ponctuellement dans différentes mosquées franciliennes, lors de séminaires ou de salons islamiques ; qu'il côtoie différentes mouvances radicales dont sont issus de nombreux islamistes ayant rejoint les rangs de l'organisation " Etat islamique ", dont l'un a revendiqué l'assassinat de deux opposants tunisiens en 2013 et dont plusieurs ont quitté le territoire national pour rejoindre les combattants djihadistes sur la zone irako-syrienne en janvier et en février 2015 ; que cette note mentionne également qu'il est fortement suspecté de participer activement à la radicalisation de fidèles afin de les inciter à rejoindre les unités de l'organisation " Etat islamique " sur la zone irako-syrienne et qu'il a participé, le 31 mai 2015, au pique-nique annuel de l'association " Sanâbil ", laquelle est soupçonnée de financer, sous couvert de procurer une aide aux détenus musulmans, des filières de recrutement de candidats au djihad ; qu'au sein de cette association, il a été en mesure de rencontrer et d'exercer son influence sur un des membres de celle-ci, islamiste radical qui a tenté de franchir la frontière turco-syrienne en compagnie de son épouse et de leurs cinq enfants afin de se rendre en zone de combat, avant d'être placé en centre de rétention par les autorités turques et d'être expulsé vers la France le 22 septembre 2015 ;

7. Considérant qu'aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par des " notes blanches " établies par les services relevant du ministère de l'intérieur qui ne sont pas sérieusement contestés par le requérant, soient pris en considération par le juge administratif ; que, pour critiquer le bien-fondé de son assignation à résidence, M. B... se borne à faire valoir qu'il n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires et que cette assignation à résidence n'a pas été renouvelée à la suite de la prorogation de l'état d'urgence

au-delà du 26 février 2016, sans produire, ni en première instance ni en appel, aucun élément susceptible de remettre en cause la matérialité des faits énoncés au point 6 ; que, dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu, sans entacher sa décision d'erreur de fait ou d'erreur d'appréciation, ordonner l'assignation à résidence de M.B... ;

8. Considérant, en cinquième lieu, que M. B...soutient que les arrêtés qu'il conteste portent atteinte à sa liberté d'aller et venir et à sa liberté d'entreprendre ; que toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 permet au ministre de l'intérieur, dans les zones territoriales où l'état d'urgence a été décrété, de prononcer l'assignation à résidence de toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ; qu'eu égard à la nature des faits mentionnés au point 6, le ministre de l'intérieur n'a pas fait, en l'espèce, un usage illégal des pouvoirs de police qui lui sont dévolus par la loi du 3 avril 1955, dont les dispositions ont été jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ;

9. Considérant, en sixième lieu, et en tout état de cause, que la possibilité de prendre une mesure d'assignation à résidence sur le fondement de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 n'est pas incompatible, compte tenu des motifs ayant justifié la déclaration de l'état d'urgence, avec les stipulations de l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, selon lesquelles l'exercice de la liberté de circulation " (...) ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui (...) constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l'ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

10. Considérant, en septième lieu, que, si M. B...fait valoir que sa vie quotidienne a été bouleversée et que son activité professionnelle a été réduite du fait de son assignation à résidence, ce qui lui a causé une perte financière, les modalités de cette assignation à résidence fixées par le ministre de l'intérieur ne peuvent être regardées, en l'espèce, comme disproportionnées eu égard à la nature de la menace ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence et aux faits imputés à l'intéressé mentionnés au point 6 ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 juin 2016, à laquelle siégeaient :

- X, président de chambre,

- Y, président-assesseur,

- M, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 juin 2016.

Le rapporteur,

YLe président,

X

Le greffier,

W

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01209

Classement CNIJ :

C


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01209
Date de la décision : 20/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

46-06-01 Outre-mer. Indemnisation des français dépossédés. Conditions générales de l'indemnisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme F...
Rapporteur ?: M. N...
Rapporteur public ?: M. B...
Avocat(s) : NOGUERAS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-06-20;16pa01209 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award