(3ème chambre A)
VU I) enregistrée, sous le n 99PA02164 au greffe de la cour le 8 juillet 1999, la requête présentée pour M. Pierre Y..., demeurant, ..., par Me de X..., avocat ; M. Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9809507/7 en date du 24 juin 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 200.000 F en réparation du préjudice qui résulterait pour lui du retard mis par la juridiction administrative pour juger définitivement une affaire le concernant ;
2 ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 200.000 F ;
3 ) de condamner l'Etat au paiement d'une somme de 20.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU II) enregistrée, sous le n 01PA00227 au greffe de la cour le 6 juin 2000, l'ordonnance en date du 15 mai 2000 par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Paris le jugement de la requête de M. Y... ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 28 juin 2001 :
-le rapport de M. PIOT, premier conseiller,
- les observations de Me de X..., avocat pour M. Y...,
-et les conclusions de M. de SAINT GUILHEM, commissaire du Gouvernement ;
Sur la jonction :
Considérant que les requêtes susvisées présentent à juger le même litige ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer sur l'ensemble par un seul arrêt ;
Sur le fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Y..., habite une maison ancienne, sise à Touquin (Seine-et-Marne) qui a été affectée de désordres à la suite de travaux réalisés sur la voie publique entre les mois d'octobre et décembre 1988 ; qu'il a, le 23 mai 1990, saisi concomitamment le juge des référés du tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à la désignation d'un expert et le tribunal administratif de Versailles d'une demande au fond tendant à obtenir l'indemnisation des préjudices consécutifs auxdits désordres ; que, l'expert désigné par ordonnance en date du 26 décembre 1990 n'a déposé son rapport au greffe du tribunal que le 19 avril 1995 ; que par un jugement intervenu le 7 novembre 1997, le tribunal administratif de Versailles a prononcé la condamnation conjointe de l'Etat et de la société "La Limousine" -auteur des travaux publics litigieux- à verser à M. Y..., d'une part, à titre d'indemnisation une somme de 58.698,30 F assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 mai 1990 et de la capitalisation des intérêts au 18 septembre 1996 et, d'autre part, une somme de 8.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le même jugement mettant les frais d'expertise d'un montant de 19.966,30 F à la charge également conjointe de l'Etat et de la société "La Limousine" ; que ce jugement a été reformé par arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 20 août 1998, par lequel l'indemnité allouée à M. Y... était portée à 78.264,40 F, l'intéressé recevant 6.000 F en remboursement des frais exposés par lui dans l'instance d'appel et non compris dans les dépens ; qu'estimant avoir subi un nouveau préjudice en raison de la durée de la procédure devant la juridiction administrative, M. Y... fait appel du jugement en date du 24 juin 1999 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser, de ce chef, une somme globale de 200.000 F en réparation tant du préjudice matériel que du préjudice moral que lui aurait causé l'attente, pendant huit années au total, de la solution définitive du litige né des travaux publics ci-dessus mentionnés ;
Sur la responsabilité et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes :
Considérant que les stipulations de l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales, applicables au présent litige, imposent aux juridictions nationales de statuer dans un délai raisonnable ; qu'en l'espèce, le temps nécessaire à l'élaboration du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, soit 4 ans et 4 mois, a été anormalement long ; que la première instance s'est encore prolongée de deux ans et 6 mois après le dépôt de ce rapport ; qu'une durée totale de 7 ans et 6 mois pour le jugement en premier ressort d'une requête qui ne présentait pas de difficulté particulière et qui au surplus avait été introduite par une personne âgée, en 1990, de 72 ans, revêt un caractère excessif ; que, dans ces conditions, M. Y... est fondé à soutenir que les stipulations ci-dessus mentionnées de la Convention européenne des droits de l'Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales ont été méconnues et à obtenir, pour ce motif, la réparation du préjudice qu'il a subi ;
Sur le préjudice :
Considérant que l'allongement excessif de la période pendant laquelle M. Y... a attendu la solution du litige a provoqué chez lui une inquiétude et des troubles dans les conditions d'existence dont il sera fait une juste réparation en lui allouant une somme de 30.000 F ;
Considérant, en revanche, s'agissant du préjudice du caractère matériel consistant en troubles de jouissance de sa propriété immobilière, dont il se prévaut également, que ce préjudice a déjà fait l'objet d'une indemnisation dans le cadre du règlement du litige de travaux publics précédemment soumis au tribunal administratif et à la cour administrative d'appel et que, par suite, les conclusions tendant à sa réparation doivent être rejetées ; que doivent également être rejetées les conclusions tendant au remboursement de pertes liées à l'immobilisation de sommes exposées en paiement de frais de procédure et de frais d'expertise, dans la mesure où le caractère certain du préjudice correspondant aux premiers de ces frais n'est pas établi et où les seconds n'ont été avancés que sur une période, nullement excessive, de deux ans et 5 mois ; que si, enfin, M. Y... invoque le dommage qui résulterait pour lui de l'inexécution des décisions du tribunal administratif et de la cour administrative d'appel, il ne peut prétendre à sa réparation dans la présente instance, dès lors que ce dommage est sans lien avec le retard à statuer et que l'intéressé ne justifie pas, par ailleurs, avoir mis en oeuvre les procédures destinées à assurer l'exécution des décisions de justice rendues en sa faveur ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions à fins d'indemnisation ;
Sur les conclusions de M. Y... tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M.MAGIERA la somme de 10.000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er :Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 24 juin 1999 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M.MAGIERA la somme de 30.000 F.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 10.000 F à M. Y... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.