(4ème chambre A)
VU la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 6 mai et 15 octobre 1997, présentés pour M. X..., demeurant ..., représenté par Me GARREAU, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; M. X... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 décembre 1996 qui a rejeté sa demande qui tendait à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 16 juin 1989 refusant sa demande de détachement auprès du département des Alpes- maritimes, de la décision du 3 octobre 1989 rejetant son recours gracieux ainsi que sa demande de condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis ;
2 ) d'annuler les décisions susvisées des 16 juin et 3 octobre 1989 ;
3 ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1.586.199,18 F, augmentée des intérêts capitalisés, ainsi que la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 82-595 du 10 juillet 1982 relative aux présidents des chambres régionales des comptes et au statut des membres des chambres régionales des comptes ;
VU la loi n 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
VU le décret n 85-986 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, et notamment son article R.81 ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 25 janvier 2000 :
- le rapport de M. AUPOIX, premier conseiller,
- les observations de la SCP PEIGNOT-GARREAU, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. X...,
- et les conclusions de M. BROTONS, commissaire du Gouvernement ;
Sur la compétence du tribunal administratif de Paris :
Considérant que M. X..., titulaire du grade d'attaché principal de préfecture, a été nommé conseiller de chambre régionale des comptes par décret du 27 août 1993 ; qu'aux termes de l'article 19 du décret du 16 novembre 1982 susvisé : "Les autres candidats nommés conseillers en application des articles 13, 14 et 15 de la loi n 82-595 du 10 juillet 1982 sont classés dans leur grade à l'échelon comportant un traitement légal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui dont ils bénéficiaient dans leur corps ou leur emploi d'origine" ; que, par suite, à compter de la date de sa nomination dans le corps des conseillers de chambre régionale des comptes, M. X... appartenait à un corps dont les membres sont nommés par décret du Président de la République et qu'il n'appartenait en conséquence qu'au Conseil d'Etat de connaître des conclusions présentées par le requérant qui tendaient à être indemnisé du préjudice subi du fait de l'irrégularité alléguée des conditions de son reclassement dans ledit corps ; que, par suite, c'est à tort que les premiers juges ont statué sur ces conclusions ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler, dans cette mesure, le jugement attaqué et de renvoyer lesdites conclusions au Conseil d'Etat ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant, en premier lieu, que si le requérant soutient que le jugement attaqué ne viserait pas l'ensemble des mémoires échangés entre les parties ainsi que les moyens développés par ces dernières, il ressort de l'examen de la minute dudit jugement que cette argumentation manque en fait et doit être rejetée ;
Considérant, en second lieu, que si le requérant soutient que les premiers juges auraient omis de répondre au moyen invoqué tiré de l'exception d'illégalité du II du décret du 16 septembre 1989 susvisé, un tel moyen doit être écarté comme manquant en fait ;
Sur la légalité des décisions attaquées :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : "L'accès de fonctionnaires de l'Etat à la fonction publique territoriale et de fonctionnaires territoriaux à la fonction publique de l'Etat, ainsi que leur mobilité au sein de chacune de ces deux fonctions publiques, constituent des garanties fondamentales de leur carrière. A cet effet, l'accès de fonctionnaires de l'Etat à la fonction publique territoriale et des fonctionnaires territoriaux à la fonction publique de l'Etat s'effectue par voie de détachement suivie ou non d'intégration" ; qu'aux termes, par ailleurs, du 2 de l'article 14 du décret du 16 septembre 1985 susvisé : "Le détachement d'un fonctionnaire ne peut avoir lieu que dans l'un des cas suivants. Détachement auprès d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public en relevant" ;
Considérant que M. X..., alors attaché principal de préfecture, a sollicité son détachement, en vertu des dispositions légales et réglementaires susvisées auprès du département des Alpes-maritimes, en vue d'occuper un emploi d'adjoint au directeur du développement économique ; qu'il résulte des termes des décisions attaquées que le ministre de l'intérieur, pour rejeter cette demande, s'est fondé sur "la situation globale des effectifs et des contraintes que les mesures de gel d'emploi font peser sur la gestion du personnel" ;
Considérant qu'à l'appui de sa demande de détachement auprès du département des Alpes-maritimes, M. X... faisait état, notamment, de l'état de santé de son conjoint ; que, par suite, en se fondant uniquement sur un critère de principe tiré de la situation globale des effectifs du corps auquel appartient M. X..., sans examiner individuellement les différents motifs de la demande de détachement dont il était saisi, le ministre de l'intérieur a, dans les circonstances de l'espèce, commis une erreur de droit ;
Sur les conclusions indemnitaires :
Considérant, en premier lieu, que le requérant sollicite le versement d'une somme de 38.632,26 F correspondant à la différence entre les traitements qu'il a effectivement perçus entre le 1er août 1989 et le 26 août 1993 et ceux qu'il aurait pu percevoir au titre de la même période, s'il avait été placé en position de détachement ; que toutefois, nonobstant l'avis favorable émis par le préfet du Val-de-Marne à la demande de détachement du requérant et, d'autre part, l'état de santé de son épouse, M. X... ne justifie pas qu'il aurait obtenu le détachement sollicité, lequel ne constitue qu'une simple possibilité soumise à l'appréciation de l'administration ;
Considérant, en deuxième lieu, que le requérant sollicite, au titre de la période susvisée, la condamnation de l'Etat à lui verser un complément de primes, chiffré à 22.566,93 F, correspondant aux primes qu'il aurait pu percevoir en qualité d'administrateur territorial ; qu'en l'absence de toute certitude sur la possibilité qu'aurait eue l'intéressé d'être affecté sur un tel emploi, un tel chef de préjudice, purement éventuel, ne peut qu'être rejeté ;
Considérant, en troisième lieu, que le requérant sollicite la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 50.000F en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chances sérieuses d'avancement tant au sein de la fonction publique de l'Etat que de celle territoriale ; qu'en l'absence de tout droit à être nommé aux grades de directeur de préfecture ou de directeur territorial, le requérant n'établit pas, dans les circonstances de l'espèce, que le refus de détachement en litige l'aurait privé d'une chance sérieuse d'avancement ; que ce chef de préjudice doit être rejeté ;
Considérant, en dernier lieu, que le requérant sollicite, en réparation des troubles divers dans les conditions d'existence subis, une somme de 200.000 F ; qu'il sera, dans les circonstances de l'espèce, fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 50.000 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. X... a droit aux intérêts de la somme de 50.000 F à compter du 14 septembre 1993, date de la réception par l'administration de sa réclamation préalable indemnitaire du 11 septembre 1993 ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été sollicitée les 11 septembre 1993, 13 septembre 1994, 13 septembre 1995, 12 septembre 1996, 6 mai 1997 et 17 septembre 1998 ; que les 13 septembre 1995, 6 mai 1997 et 17 septembre 1998, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ; qu'en revanche, il y a lieu de rejeter les demandes susvisées des 11 septembre 1993, 13 septembre 1994 et 12 septembre 1996 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur la demande d'injonction :
Considérant qu'aux termes du 1er alinéa de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt." ;
Considérant que M. X... sollicite, sur le fondement des dispositions précitées, que soit prononcé son détachement auprès du département des Alpes-maritimes, ainsi que sa radiation des cadres à compter du 1er août 1991 ; que, toutefois, l'exécution du présent arrêt n'implique pas nécessairement que l'administration fasse droit à la demande de détachement sollicitée par M. X... ; que, par suite, lesdites conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur l'allocation de sommes non comprises dans les dépens :
Considérant que l'Etat succombe dans la présente espèce ; qu'il y a lieu, en conséquence, de condamner l'Etat à verser à M. X... une somme de 10.000 F sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 décembre 1996 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. X... tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice subi du fait de son reclassement dans le corps des chambres régionales des comptes sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Article 3 : Les décisions susvisées du ministre de l'intérieur en date des 16 juin 1989 et 3 octobre 1989 sont annulées.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. X... une somme de 50.000 F qui sera majorée des intérêts légaux à compter du 14 septembre 1993. Les intérêts échus les 13 septembre 1995, 6 mai 1997 et 17 septembre 1998 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux mêmes intérêts.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : L'Etat est condamné à verser à M. X... une somme de 10.000 F sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.