(4ème Chambre A)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 7 septembre 1998, présentée pour Melle Frédérique X..., demeurant 12, les Bordes, 77120 Amillis, par Me Y..., avocat ; Melle X... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 24 juin 1998 qui a rejeté sa demande qui tendait à l'annulation de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne en date du 23 décembre 1996 rejetant sa demande de carte de résident, ensemble la décision du 24 janvier 1997 rejetant son recours gracieux ;
2 ) d'ordonner au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer une carte de résident sous astreinte de 200 F par jour de retard ;
3 ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6.000 F sur le fondement de dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
C VU les autres pièces du dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
VU l'ordonnance n 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers ;
VU le décret n 46-1574 du 30 juin 1946 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 novembre 1999 :
- le rapport de M. AUPOIX, premier conseiller,
- et les conclusions de M. BROTONS, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, par une décision en date du 23 décembre 1996, le préfet de Seine-et-Marne a refusé de délivrer à Melle X... la carte de résident qu'elle avait demandée sur le fondement de l'article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 au motif qu'elle ne justifiait pas d'une présence habituelle en France depuis qu'elle avait atteint au plus l'âge de dix ans ; que, par une seconde décision du 24 janvier 1997, il a rejeté le recours gracieux formé par l'intéressée contre ce refus ; que Melle X... demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Melun rejetant ses conclusions tendant à l'annulation de ces deux décisions ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant que Melle X... est entrée à l'âge de 16 ans en France, où elle réside avec sa mère, conjointe d'un ressortissant français et qui a elle même acquis la nationalité française en octobre 1994 ; que, par ailleurs, à la date des décisions attaquées, Melle X... était inscrite en première année de classe de BTS, après avoir obtenu en juillet 1996 le baccalauréat professionnel avec la mention assez bien ; qu'il n'est pas allégué ni établi qu'elle aurait conservé des attaches familiales dans son pays d'origine ; que, dans ces conditions, et nonobstant la production de faux certificats de scolarité portant sur les années 1987 à 1991, les décisions du préfet de Seine-et-Marne ont, dans les circonstances de l'espèce, porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises ont, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête que la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande et à demander l'annulation des décisions du préfet de Seine-et-Marne des 23 décembre 1996 et 24 janvier 1997 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'aux termes du premier aliéna de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ( ...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt" ;
Considérant qu'il y a lieu, sur le fondement des dispositions précitées et en l'absence de tout changement de circonstance de droit ou de fait allégué par le ministre défendeur, d'ordonner au préfet de Seine-et-Marne de délivrer à Melle X... la carte de résident qu'elle sollicite ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 F par jour de retard à défaut pour l'Etat de justifier avoir exécuté le présent arrêt dans un délai de trois mois suivant sa notification ;
Sur l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant que l'Etat succombe dans la présente instance ; que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel s'opposent, en tout état de cause, à ce que l'Etat obtienne la condamnation de Melle X... à lui verser une somme sur ce fondement ; qu'il y a lieu, en revanche, de condamner, sur le fondement des mêmes dispositions, l'Etat à verser à Melle X... la somme de 6.000 F ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun en date du 24 juin 1998 et l'arrêté du Préfet de Seine-et-Marne du 23 décembre 1996 ainsi que la décision du 24 janvier 1997 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Seine-et-Marne de délivrer à Melle X... une carte de résident, dans le délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt sous peine d'astreinte de 100 F par jour de retard.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Melle X... une somme de 6.000 F sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Les conclusions présentées par le ministre de l'intérieur tendant à la condamnation de Melle X... à lui verser une somme sur le fondement des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.