VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 5 décembre 1996, présentée pour M. Loay X..., demeurant chez M. Farouk Y..., ..., par Me d'Z..., avocat ; il demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 9412800/7 du 10 juillet 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable du préjudice que lui a causé la faillite de la Bank of Credit and Commerce international (BCCI), consistant en la perte de ses dépôts dans cet établissement et, d'autre part, soit condamné à lui payer la somme de 250.432,55 F, ainsi que les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 5 juillet 1991 ;
2 ) de faire droit à ses demandes de première instance ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi n 84-46 du 24 janvier 1984 ;
VU la loi n 85-98 du 25 janvier 1985 ;
VU le décret n 84-708 du 24 juillet 1984 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 mars 1999 :
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations de la SCP CELICE-BLANCPAIN-SOLTNER, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que pour demander à l'Etat réparation du préjudice que lui a causé la perte des sommes qu'il a mises en dépôt auprès de l'une des agences françaises et monégasques de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI Overseas), à la
suite de la faillite de cette dernière, le requérant soutient que le comité des établissements de crédit, la Commission bancaire, ainsi que le gouverneur de la Banque de France en sa qualité de président de la Commission bancaire, ont commis des fautes dans l'exercice des pouvoirs qu'ils tiennent de la loi n 84-46 du 24 juillet 1984 ;
Considérant que, dans l'accomplissement de sa mission administrative de surveillance et de contrôle des établissements de crédit, la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée pour faute simple ; que, dans l'exercice par la Commission bancaire de sa fonction disciplinaire de caractère juridictionnel, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée que pour faute lourde ;
Sur le moyen tiré de la carence du comité des établissements de crédit :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 17 alinéa 2 de la loi précitée du 24 janvier 1984 : "Les établissements de crédit dont le siège social est à l'étranger désignent deux personnes au moins auxquelles ils confient la détermination effective de l'activité de leur succursale en France."; qu'aux termes de l'article 19 du même texte : "Le retrait d'agrément est prononcé par le comité des établissements de crédit, soit d'office lorsque l'établissement ne remplit plus les conditions auxquelles l'agrément est subordonné ..." ;
Considérant qu'il est fait grief au comité des établissements de crédit de n'avoir tiré aucune conséquence du défaut d'autonomie de gestion des établissements français et monégasques de la BCCI Overseas, alors que, selon le requérant, cette circonstance révélait une méconnaissance des dispositions de l'article 17 précité ; qu'à supposer toutefois que les personnes à qui a été confiée la direction des établissements concernés n'auraient pas, à la date des faits, été celles qui en déterminaient effectivement l'activité, il n'est pas allégué que cette irrégularité ait été connue du comité des établissements de crédit, et il n'est pas non plus établi qu'elle ait eu un lien avec la dégradation de la situation financière qu'a connue l'établissement à partir de 1989 ; que la responsabilité de l'Etat ne saurait donc être engagée à raison du fait que le comité des établissements de crédit n'a pas mis en oeuvre, à l'encontre desdites agences, la procédure de retrait d'agrément que prévoit l'article 19 précité ;
Sur le moyen tiré de fautes commises par la Commission bancaire dans l'accomplissement de sa mission administrative de surveillance et de contrôle :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, en premier lieu, que la Commission bancaire a diligenté une enquête auprès des établissements français et monégasques de la BCCI en 1987 ; que cette enquête a donné lieu à un rapport remis le 21 septembre 1987, sur les constatations duquel la Commission bancaire s'est fondée pour adresser, le 13 juin 1988, aux dirigeants de l'agence parisienne de la BCCI Overseas une lettre de mise en garde ; que cette mesure contrairement à ce qu'affirme le requérant, a été suivie d'effets ; qu'à supposer qu'au regard des informations contenues dans le rapport, elle aurait été insuffisante pour remédier aux désordres constatés, il est constant que les difficultés de la BCCI Overseas ont été provoquées non pas par ces désordres, mais par la révélation ultérieure de fraudes et de malversations dont le rapport du 21 septembre 1987 ne faisait pas état ; que par suite il ne peut être établi de lien de causalité entre les fautes ainsi alléguées et le préjudice invoqué ;
Considérant, en second lieu, qu'en 1988, certains des dirigeants de la banque exerçant aux Etats-Unis et au Royaume Uni ayant été accusés de pratiquer des activités gravement délictueuses, le service des Douanes a opéré, le 8 octobre 1988, une perquisition dans les locaux de l'agence parisienne ; que l'ensemble du groupe BCCI s'est trouvé dès cette époque confronté à une situation de crise qui n'a cessé de s'aggraver en 1989 et 1990 ; que face à ces éléments nouveaux, qui ont entraîné au niveau du groupe un changement d'actionnaires, de nouveaux apports de capital et la mise en oeuvre d'un audit interne, une seconde enquête a été menée entre le 23 mai et le 20 juillet 1990, laquelle a donné lieu à un rapport remis le 3 septembre 1990 ; que le requérant soutient que la commission bancaire a agi avec retard et lenteur, alors pourtant que la situation dégradée de la banque et les rumeurs de fraude et de malversation dont elle était l'objet étaient connues des autorités françaises depuis octobre 1988 ;
Considérant que les retards et lenteurs allégués ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat que si un lien de causalité direct est établi entre eux et la situation de faillite du groupe constatée le 2 juillet 1991 par le collège des contrôleurs réuni à Londres et qui a motivé la fermeture, le 5 juillet 1991, des guichet français et monégasques de la banque ;
Considérant que si, entre octobre 1988, date à laquelle le caractère frauduleux des activités du groupe BCCI a commencé à être connu des autorités françaises, et le 23 mai 1990, date à laquelle ses inspecteurs ont commencé leur enquête sur place, la Commission bancaire n'a procédé à aucune investigation portant sur l'activité des agences françaises et monégasques, cette inaction ne saurait engager la responsabilité de l'Etat, dès lors que la faillite du groupe BCCI trouve son origine dans des actions frauduleuses conduites au niveau de l'ensemble des établissements et sociétés du groupe, et notamment de l'établissement implanté à Londres, et qu'elle est donc sans lien direct avec la situation propre des établissements relevant de la compétence de la Commission bancaire, ceux-ci ne représentant au demeurant qu'une faible partie des activités totales du groupe ;
Sur le moyen tiré de fautes lourdes commises par la Commission bancaire dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle d'ordre disciplinaire :
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au vu du rapport d'enquête qui lui a été remis le 3 septembre 1990, la Commission bancaire a décidé, le 1er octobre 1990, d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre de la BCCI Overseas ; qu'après avoir entendu, lors de la séance du 26 octobre 1990 le directeur général de la banque pour l'étranger, la commission s'est mise en délibéré le même jour ; que, le 25 janvier 1991, elle a interdit à la BCCI Overseas, à compter de la notification de sa décision, de recueillir de nouveaux dépôts auprès des résidents, et lui a enjoint de limiter son activité de manière à ce que le total de son bilan ne dépasse pas le montant atteint le 31 décembre 1990, et au plus, deux milliards et demi de francs ; que le requérant soutient qu'en prenant cette décision à la date du 25 janvier 1991, la Commission bancaire a exercé son pouvoir disciplinaire avec une lenteur excessive ;
Considérant qu'entre le 3 septembre 1990, date à laquelle la Commission bancaire a pris connaissance des irrégularités relevées par le rapport d'enquête, et le 25 janvier 1991, date à laquelle elle a statué, les agences françaises et monégasques de la banque ont conservé la possibilité de recevoir de nouveaux dépôts malgré une situation déjà dégradée ; qu'un lien de causalité direct existe donc entre, d'une part, la longueur du délai avec lequel la Commission bancaire est intervenue pour limiter le passif de ces établissements et leur interdire de collecter de nouveaux dépôts et, d'autre part, le préjudice constitué pour le requérant par la perte des sommes qu'il aurait déposées auprès de l'une de ces agences entre le 3 septembre 1990 et le 25 janvier 1991 ; que ce retard à statuer peut, nonobstant le caractère définitif acquis par la décision du 25 janvier 1991, engager la responsabilité de l'Etat ; que, par suite, il y a lieu, pour la partie du préjudice que ce retard a pu causer, d'examiner le bien-fondé du moyen tiré de l'existence d'une faute lourde ;
Considérant que la commission a, d'une part, fait preuve d'une diligence normale en engageant des poursuites disciplinaires le 1er octobre 1990, sur la base d'un rapport qui lui a été remis le 3 septembre 1990 ; que, d'autre part, la période comprise entre le 1er et le 26 octobre 1990, qui a correspondu à l'instruction de la procédure disciplinaire, n'a pas été d'une longueur excessive, eu égard au fait que la Commission bancaire était tenue de respecter le principe du contradictoire, soit en l'espèce d'informer les dirigeants de la banque des faits qui leur étaient reprochés et de recueillir leurs observations ; qu'enfin, si le délibéré de la Commission bancaire s'est prolongé pendant trois mois entre le 26 octobre 1990 et le 25 janvier 1991, cette durée n'a pas davantage revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère excessif, dès lors que les résultats de l'enquête diligentée par la Banque d'Angleterre en mars 1991 et conduite par le cabinet PRICE-WATERHOUSE, n'ont été connus par les membres de la commission que le 2 juillet 1991 ; qu'avant de disposer des éléments d'information recueillis lors de cette enquête, et alors que les négociations menées au niveau international avec l'actionnaire principal laissaient espérer une solution négociée, la commission a pu à bon droit considérer que la situation des établissements français et monégasques ne nécessitait pas la prise d'une décision immédiate ; qu'ainsi, la commission bancaire, en attendant jusqu'au 25 janvier 1991 pour prononcer contre la BCCI Overseas l'une des sanctions que prévoit l'article 45 de la loi du 25 janvier 1984, n'a pas commis une faute lourde de nature à engager sa responsabilité ;
Sur le moyen tiré du défaut d'exécution de la décision du 25 janvier 1991 :
Considérant que le requérant soutient qu'à la suite de la décision de la Commission bancaire du 25 janvier 1991, les agences françaises et monégasques ont continué à collecter des fonds auprès des déposants, et que la recapitalisation, à laquelle elles auraient feint de procéder pour se conformer à la décision de la commission, s'est en réalité réduite à un simple jeu d'écritures ; que le requérant n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui de ses allégations ; que, dès lors, il n'est pas établi que la décision de la commission n'aurait pas été exécutée ;
Sur le moyen tiré de ce que le gouverneur de la Banque de France, pris en sa qualité de président de la Commission bancaire n'a pas fait application des dispositions de l'article 52 de la loi du 24 janvier 1984 :
Considérant que le requérant reproche au gouverneur de la Banque de France de n'avoir pas fait application des dispositions de l'article 52 alinéa 1 de la loi susvisée du 24 janvier 1984, aux termes desquelles, dans leur rédaction alors en vigueur : "Lorsqu'il apparaît que la situation d'un établissement de crédit le justifie, le gouverneur de la Banque de France invite les actionnaires ou les sociétaires de cet établissement à fournir à celui-ci le soutien qui lui est nécessaire.";
Considérant que le gouverneur de la Banque de France, en sa qualité de Président de la Commission bancaire, est tenu au respect des dispositions précitées, quelle que soit l'appréciation qu'il puisse porter sur leur utilité et la difficulté de leur mise en oeuvre ; qu'il devait donc en l'espèce inviter l'actionnaire principal de la société BCCI Holding à apporter son soutien aux agences de la BCCI Overseas présentes sur le territoire français et monégasque, dès lors que, comme en l'espèce, la situation de ces établissements le justifiait ; que toutefois le législateur n'ayant pas prévu de sanction à l'encontre du destinataire de l'invitation au cas où celle-ci serait méconnue, il ne peut être tenu pour certain que si une telle invitation avait été adressée, elle aurait été suivie d'effet ; que dès lors, il n'existe pas de lien direct de cause à effet entre l'inaction du gouverneur et le préjudice subi par les déposants ;
Sur le moyen tiré du défaut de dénonciation à l'autorité judiciaire de faits constitutifs d'une infraction pénale :
Considérant que si la Commission bancaire n'a pas saisi l'autorité judiciaire des faits relevés par le rapport d'enquête déposé le 3 septembre 1990, lesquels pourtant étaient susceptibles d'être réprimés sur le fondement des dispositions de l'article 79 de la loi du 24 janvier 1984, il n'est pas établi que des poursuites pénales, à les supposer engagées, auraient conduit les dirigeants ou les actionnaires de la BCCI Overseas à prendre avant le 25 janvier 1991 des mesures utiles à la préservation des intérêts des déposants des agences françaises et monégasques ;
Sur le moyen tiré des modalités d'exécution de la décision de fermeture des guichets :
Considérant qu'aucun texte n'impose à l'administrateur provisoire nommé par la Commission bancaire d'assurer l'information des déposants préalablement à une décision de fermeture des guichets ; que si, par ailleurs, aux termes de l'article 55 de la loi susvisée du 24 janvier 1984, la Commission bancaire "peut porter à la connaissance du public toutes informations qu'elle estime nécessaires", ladite commission n'a commis aucune faute en s'abstenant de porter à la connaissance du public la nature des décisions prises le 4 juillet 1991, eu égard au risque de retrait massif des dépôts qu'aurait provoqué la divulgation d'une telle information ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement faire valoir le préjudice qui aurait résulté pour lui des conditions d'exécution des décisions ainsi prises ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.