VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 22 juillet 1996 présentée pour la société "GARAGE ABC", ayant son siège social ..., et M. Jean-Paul A..., demeurant à la même adresse, par Me Y... et Me Z..., avocats ; la société "GARAGE ABC" et M. A... demandent à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 94-1961 du 16 avril 1996, par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à payer une somme de 14.000.000 F à la société "GARAGE ABC" et une somme de 2.000.000 F à M. A... ;
2 ) de condamner l'Etat, le Conseil supérieur de l'Ordre des Experts-comptables et le Conseil régional de l'Ordre des Experts-comptables à verser à M. A... une somme de 12.754.806,20 F et à la société "GARAGE ABC" la somme de 14.499.370,33 F ;
3 ) de condamner le ministre de l'économie et des finances à verser à la société "GARAGE ABC" et à M. A... la somme de 30.000 F, en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU l'ordonnance n 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés et réglementant les titres et les professions d'expert-comptable et de comptable agréé ;
VU le décret n 45-2370 du 15 octobre 1945 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'ordonnance du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 février 1999 :
- le rapport de M. DEMOUVEAUX, premier conseiller,
- les observations de la SCP HUGLO-LEPAGE et associés, avocat, pour la société "GARAGE ABC" et M. A...,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Sur les conclusions dirigées contre l'Etat :
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'aux termes de l'article 17 premier alinéa de l'ordonnance en date du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés, dans sa rédaction issue de la loi du 31 octobre 1968 : "Les experts-comptables, les experts-comptables stagiaires et les comptables agréés, qu'ils soient des personnes physiques ou groupés en personnes morales, sont tenus, pour garantir la responsabilité civile qu'ils peuvent encourir en raison des travaux mentionnés aux articles 2, premier alinéa et 8 ci-dessus, de souscrire une police d'assurance, selon les modalités visées par décret ... Les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les personnes visées à l'alinéa précédent, et non couvertes par la police d'assurance, sont garanties par une caisse instituée auprès du conseil supérieur de l'ordre et dotée de la personnalité morale". ; qu'aux termes de l'article 16 du décret susvisé du 15 octobre 1945, en ses dispositions relatives aux attributions du comité national du tableau : " ...Est également radiée d'office du tableau et suivant la même procédure toute personne physique ou morale qui vient à ne plus satisfaire aux conditions exigées pour être inscrite au tableau, réserve étant faite toutefois des questions touchant à la moralité, qui relèvent de la procédure disciplinaire.";
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées, éclairées par les travaux préparatoires, qu'en imposant aux experts comptables l'obligation de souscrire une police d'assurance selon des modalités fixées par décret, le législateur a entendu garantir les clients du risque d'insolvabilité de l'expert, en cas de condamnation pécuniaire de ce dernier au titre de sa responsabilité civile ; qu'afin d'éviter que des disparités apparaissent dans les contrats d'assurance ainsi souscrits, il a prévu que les modalités de ces contrats seraient fixées par décret ; qu'il a également confié au pouvoir réglementaire la mission de fixer les modalités d'organisation et de fonctionnement de la caisse de garantie prévu par l'article 17 de l'ordonnance susvisée ; qu'en revanche, il n'a pas prévu la mise en place d'un dispositif de contrôle et de vérification systématique du respect par les experts comptables de l'obligation d'assurance auxquels ils sont assujettis ;
Considérant qu'il suit de là qu'en n'ayant pas, à la date des faits, pris de décret en vue d'instituer un système de contrôle systématique du respect par les experts-comptables de leur obligation légale d'assurance, l'Etat n'a pas méconnu l'étendue de la mission qui lui a été confiée par le législateur ; que, dans l'état du droit alors applicable, il appartenait à chaque client de vérifier par lui même que l'expert-comptable auquel il avait choisi de s'adresser avait bien souscrit une police d'assurance de responsabilité civile, conformément aux dispositions précitées de l'article 17 de l'ordonnance susvisée ; que si, postérieurement à la date des faits et sans y être tenus par les dispositions précitées de l'ordonnance susvisée, l'Etat a décidé d'adopter par décret des mesures destinées à prévenir tout manquement à l'obligation légale d'assurance imposée aux experts-comptables, cette circonstance ne saurait avoir pour effet de faire naître rétroactivement à la charge de l'Etat une obligation de prendre de telles mesures ;
Mais considérant qu'il résulte également des dispositions précitées que l'Etat avait l'obligation de prendre le décret relatif à l'organisation et au fonctionnement de la caisse de garantie, prévu par l'article 17 alinéa 2 de l'ordonnance susvisée ; que ce décret n'est jamais intervenu, alors pourtant qu'il présentait un caractère indispensable pour la mise en place d'une telle caisse ; que les requérants sont, dès lors, fondés à soutenir qu'en ne prenant pas ledit décret d'application, le Gouvernement a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant que si l'Etat pourrait être tenu de réparer le préjudice résultant de l'impossibilité pour les requérants, en raison du fait qu'ils se sont adressés à un expert-comptable inscrit au tableau mais dépourvu d'assurance, de recueillir les fruits de l'action en responsabilité civile engagée contre ce dernier, il ne résulte pas de l'instruction que les requérants se soient heurtés à une telle impossibilité ; qu'en effet, ils n'établissent ni n'allèguent que le cabinet FICA ou M. X... aient été condamnés à leur verser une indemnité à raison des fautes professionnelles que ces derniers auraient commises à leur endroit ; qu'en admettant que les requérants, sachant que l'expert, non assuré et déclaré en liquidation de biens, ne pourrait de ce fait verser la totalité de la somme demandée, eussent été fondés à renoncer en partie à la demande indemnitaire qu'ils ont présenté contre lui, ils ne produisent non plus aucune décision du juge judiciaire reconnaissant que la responsabilité civile de l'expert-comptable serait, ne fût-ce qu'en son principe, engagée à leur égard ; que, dès lors, le préjudice allégué ne saurait être tenu pour direct et certain, étant précisé qu'il n'appartient pas au juge administratif de se substituer au juge judiciaire pour établir, au vu d'un rapport d'expert, la responsabilité professionnelle d'un expert-comptable et pour évaluer le préjudice qui en résulte ;
Considérant qu'il suit de là que les conclusions dirigées contre l'Etat doivent être rejetées ;
Sur les conclusions dirigées contre le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables :
Considérant qu'aux termes de l'article 33 de l'ordonnance susvisée du 19 septembre 1945 : "Il est créé auprès du ministre de l'économie et des finances un Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés ..."; qu'aux termes de l'article 37 du même texte : "Le Conseil supérieur a seule qualité pour exercer, devant toutes les juridictions, tous les droits réservés à la partie civile, notamment par voie de citation directe devant les tribunaux répressifs relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des professions relevant de sa compétence ..." ;
Considérant, d'une part, qu'il ne résulte pas de ces dispositions, non plus que d'aucune autre, que le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables ait disposé, à la date des faits, d'un pouvoir de contrôle ou de surveillance, en ce qui concerne l'obligation faite aux experts-comptables de souscrire une assurance tendant à garantir leur responsabilité civile ; que par suite il n'a commis aucune faute en manquant à une mission de surveillance dont il n'avait pas la charge ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions susrappelées de l'article 17 de l'ordonnance susvisée que les modalités d'organisation et de fonctionnement de la caisse de garantie dont elles prévoient la création sont fixées par un décret en Conseil d'Etat ; que le conseil supérieur n'est pas tenu de se substituer au pouvoir réglementaire pour la création et l'organisation de cette caisse ; que, par suite, sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement de la faute qu'il aurait commise en ne prenant pas les mesures nécessaires à cette création ; que si, en 1994, un fonds de garantie a été créé à l'initiative des instances de l'Ordre et en dehors de toute obligation légale, cette circonstance ne saurait avoir pour effet d'étendre les obligations du Conseil supérieur au-delà de ce que prévoient les textes applicables ;
Sur les conclusions dirigées contre le Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables d'Ile-de-France :
Considérant qu'aux termes de l'article 31 de l'ordonnance susvisée : "Le Conseil régional a seule qualité pour : 1 surveiller dans sa circonscription l'exercice des professions d'expert-comptable et d'expert agréé ; 2 assurer la défense des intérêts matériels de l'ordre et en gérer les biens ; 3 représenter l'Ordre dans sa circonscription dans tous les actes de la vie civile, mais sans pouvoir se constituer partie civile, ce droit étant réservé au Conseil supérieur ; 4 prévenir et concilier toutes contestations ou conflits d'ordre professionnel ; 5 statuer sur les demandes d'inscription au tableau ;
6 surveiller et contrôler les stages ; 7 fixer et recouvrer le montant des cotisations qui doivent être versées par les membres de l'Ordre pour couvrir les frais de fonctionnement administratif de l'Ordre ; 8 saisir le Conseil supérieur de toutes requêtes ou suggestions concernant les professions d'expert comptable et de comptable agréé. Le conseil régional, en tant que représentant de l'Ordre dans la circonscription, peut, notamment : délibérer sur toute question intéressant les professions relevant de sa compétence ; saisir la chambre régionale de discipline de la région, ou de toute autre région, des fautes professionnelles relevées à l'encontre des membres de l'Ordre ; créer dans sa circonscription, après avis du Conseil supérieur, des organismes de coopération, de mutualité, d'assistance ou de retraite au bénéfice de ses membres ou de leur famille." ;
Considérant, en premier lieu, que ces dispositions ne mettent pas à la charge du conseil régional la mission d'organiser un système de vérification systématique du respect de l'obligation légale d'assurance des experts-comptables, telle que prescrite par l'article 17 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 ; que par suite aucune faute de nature à engager la responsabilité du Conseil régional de l'Ordre ne saurait lui être imputée à raison du défaut de mise en oeuvre d'un tel système ;
Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil régional de l'Ordre avait la faculté, même en dehors de toute obligation légale, de vérifier par lui-même le respect par les experts-comptables de leur obligation légale d'assurance, il n'a pu causer aux requérants, en s'abstenant de manière générale d'user de cette faculté, un préjudice spécial ;
Considérant, en troisième lieu, que s'il résulte des dispositions précitées que le conseil régional peut saisir la chambre régionale de discipline de tout manquement à l'obligation légale de souscription d'assurance dont il est informé, il ne résulte pas de l'instruction qu'à l'époque des faits, le Conseil régional ait eu connaissance du défaut de souscription d'une assurance de responsabilité civile de la part de M. X... ; qu'il ne peut donc lui être reproché d'avoir tardivement engagé la procédure disciplinaire au terme de laquelle M. X... a été radié du tableau de l'Ordre le 11 mai 1984 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que l'Etat, le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et le Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables d'Ile-de-France, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, soient condamnés à verser aux requérants la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société "GARAGE ABC" et M. A..., par application des mêmes dispositions, à payer au Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables et au Conseil régional de l'Ordre des experts-comptables d'Ile-de-France la somme qu'ils demandent, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de la société "GARAGE ABC" et de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.