VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 12 avril 1996 sous le n 96PA01048, présentée pour Mme Joëlle Y... demeurant Calle Isla de Ons, 6, 2 , y, E-28035 Madrid, Espagne, par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n s 9105730/5 -9409947/5 du 12 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses requêtes tendant, la première, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de rejet du ministre des affaires étrangères de la demande qu'elle avait faite de retrait de la décision, prise par le service culturel de Madrid, de mettre fin à son détachement et de la remettre à la disposition de la mairie d'Angers à compter du 1er janvier 1990 et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui payer l'arriéré de toutes les rémunérations et indemnisations annexes dont elle a été irrégulièrement privée à compter du 1er janvier 1990 ainsi qu'au paiement d'une somme de 10.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; la seconde, tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté ministériel du 7 juin 1994 ayant le même objet que la précédente décision, mais pour produire les mêmes effets à la même date, et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser : 1 ) au titre du traitement de base augmenté de l'indemnité de résidence et de la majoration familiale qu'elle aurait dû percevoir entre le 1er janvier 1990 et le 31 août 1991, la somme de 328.750,82 F majorée des intérêts au taux légal ; 2 ) la somme de 300.000 F en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant du traitement dont elle a été victime de la part de l'administration ; 3 ) la somme de 30.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2 ) de faire droit à ces mêmes demandes, la demande tendant au versement d'une somme au titre du traitement de base dont elle a été indûment privée étant ramenée à 14.357,79 F compte tenu des sommes déjà versées par l'administration qui reste cependant devoir l'indemnité de résidence (151.625,42 F), les majorations familiales (20.856,45 F) et les intérêts sur la totalité des sommes en litige ;
3 ) de condamner l'administration à payer le surplus d'impôt sur le revenu qu'elle a dû supporter à raison de l'importance de la somme (141.911,16 F) versée en une seule fois au titre du rappel ;
4 ) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15.000 F sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;
VU les lois n 83-634 du 13 juillet 1983 et n 84-53 du 26 janvier 1984 ;
VU le décret n 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger ;
VU le décret n 69-697 portant fixation du statut des agents contractuels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 27 janvier 1998 :
- le rapport de M. HAIM, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LAMBERT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, par le jugement attaqué du 12 décembre 1995, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite née du silence gardé pendant plus de 4 mois par le ministre des affaires étrangères sur la demande de Mme Y... et jugé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur ses conclusions tendant au versement des traitements afférents à la période du 1er janvier 1990 au 31 août 1991 ; que la requête présentée par cette dernière devant la cour doit être regardée comme tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision du ministre en date du 7 juin 1994 et rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires, ensemble à l'annulation de ladite décision et à la condamnation de l'Etat à lui verser les indemnités demandées ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
Considérant que la décision de résilier le contrat de Mme Y... et de la remettre à la disposition de son administation d'origine est intervenue pour des motifs touchant à la personne de cette dernière ; qu'une telle décision ne pouvait, par suite, être légalement prise sans que l'intéressée ait été prélablement invitée à prendre communication de son dossier et mise en demeure de discuter les griefs articulés contre elle ; qu'à supposer même que les faits reprochés aient été portés à sa connaissance au cours de l'entretien qu'elle a eu le 9 octobre 1989 avec le secrétaire général de l'ambassade, une telle communication, par son caractère informel même, ne saurait être regardée comme permettant à l'agent concerné de présenter utilement sa défense ou ses observations ou comme établissant qu'elle a été informée de la possibilité de prendre connaissance de son dossier ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme Y... est fondée à soutenir que l'arrêté susvisé du 7 juin 1994 est entaché d'illégalité comme pris à l'issue d'une procédure irrégulière et, par suite, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à son annulation ;
Sur les conclusions aux fins d'indemnisation :
En ce qui concerne le préjudice lié à la privation du traitement et de ses accessoires contractuels :
Considérant que si, en l'absence de service fait, un agent ne peut prétendre au rappel de son traitement, il est fondé à demander la réparation du préjudice financier qu'il a réellement subi du fait du licenciement prononcé à son encontre dans des conditions irrégulières ; qu'en l'absence d'un revenu de remplacement, ce préjudice est égal à la rémunération que Mme Y... aurait perçue en exécution de son contrat et par application des dispositions du décret susvisé du 28 mars 1967 qui le régit à l'exclusion, notamment, des augmentations liées à la progression indiciaire, des suppléments et indemnités divers liés à l'emploi et à la présence à l'étranger et auxquels elle aurait pu prétendre si elle était restée en activité ou, s'agissant d'un agent en position de détachement, de ceux auxquels elle aurait pu prétendre si elle avait été en fonction dans son corps d'origine ;
Considérant qu'il est constant que le 18 juillet 1994 a été mise en paiement la somme de 141.911,16 F correspondant au rappel de traitement augmenté de l'indemnité de résidence et des prestations familiales, au taux applicable aux agents en service à Paris, pour la période du 1er janvier 1990 au 31 août 1991 ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, en l'absence de pertes de rémunération indemnisables, Mme Y... n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice lié à la perte de rémunération ;
En ce qui concerne le préjudice tenant à l'obligation de payer un surplus d'impôt sur le revenu :
Considérant que Mme Y... n'apporte aucun élément de nature à établir l'étendue du préjudice qu'elle allègue et son lien direct avec le versement en une seule fois des sommes dues au titre des traitements afférents à la période du 1er janvier 1990 au 31 août 1991 ; que, dès lors, ses prétentions sur ce point ne peuvent être que rejetées ;
En ce qui concerne l'indemnité demandée au titre du préjudice moral :
Considérant que les griefs articulés à l'encontre de Mme Y... ne sauraient être regardés comme incontestablement établis par la seule production d'un rapport que l'intéressée n'a, ainsi qu'il a été dit, pas eu la possibilité de discuter en temps utile ; qu'ainsi, la révocation dont elle a fait l'objet est intervenue dans des conditions telles que Mme Y... est fondée à soutenir qu'elle lui a causé un préjudice moral lui ouvrant droit à réparation ; qu'il en sera fait une juste évaluation en lui accordant la somme de 8.000 F tous intérêts compris ;
Sur les intérêts
Considérant, en premier lieu, que si l'administration, saisie d'une demande de Mme Y... en date du 7 décembre 1990 valant sommation de payer, a mis en paiement, le 18 juillet 1994, la somme de 141.911,16 F correspondant au rappel de rémunération versé pour la période du 1er janvier 1990 au 31 août 1991, elle n'a pas assorti ladite somme des intérêts au taux légal y afférents lesquels, cependant, sont dus de plein droit dès lors que l'agent a présenté une demande tendant au paiement du principal ; qu'ainsi, Mme Y... a droit, à compter de la date de réception par le ministre de sa demande du 7 décembre 1990, aux intérêts au taux légal sur les salaires impayés échus à la même date ; que, pour les salaires impayés échus à compter de cette date et dus, en vertu de la décision du ministre de les payer, pour la période s'achevant le 31 août 1991, elle a droit aux intérêts à la date de chaque paiement mensuel sur les traitements dus à cette même date ;
Considérant, en deuxième lieu, que lorsque le débiteur s'acquitte de sa dette au principal, interrompant ainsi le cours des intérêts, mais ne paye pas en même temps la somme des intérêts dont il est alors redevable, obligeant ainsi le créancier à former une nouvelle demande tendant au paiement de cette somme, les intérêts qui étaient dus au jour du paiement du principal forment eux-mêmes une créance productive d'intérêts dans les conditions de l'article 1153 du code civil selon lequel "les intérêts sont dus à compter de la sommation de payer" ; que, par sa requête du 29 juillet 1994 confirmée par son mémoire du 16 novembre 1995, c'est-à-dire postérieurement à la mise en paiement du 18 juillet 1994, Mme Y... a demandé le paiement des sommes lui restant dues et des intérêts y afférents ; qu'il y a donc lieu sur ce point de faire droit à sa demande et de condamner l'Etat à lui verser les intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 1994 sur les intérêts sur la somme de 141.911,16 F ayant couru du 7 décembre 1990 au 18 juillet 1994 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Mme Y... la somme de 5.000 F par application des dispositions précitées ;
Article 1er : Le jugement en date du 12 décembre 1995 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme Y... tendant à l'annulation de la décision du ministre des affaires étrangères du 7 juin 1994 et à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices en résultant.
Article 2 : La décision du ministre des affaires étrangères du 7 juin 1994 est annulée.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme Y... en réparation de son préjudice moral, une somme de 8.000 F tous intérêts compris.
Article 4 : L'Etat versera à Mme Y... les intérêts sur la somme de 141.911,16 F dans les conditions suivantes : Sur les sommes correspondant aux rappels de rémunérations impayées échues le 7 décembre 1990, l'Etat versera les intérêts au taux légal à compter de cette dernière date. Sur les sommes correspondant aux rappels des rémunérations impayées postérieurement au 7 décembre 1990, l'Etat versera les intérêts au taux légal à la date de chaque paiement mensuel sur les traitements dus à cette même date.
Article 5 : Les intérêts dus au 29 juillet 1994 porteront eux mêmes intérêts au taux légal à compter de cette date.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : L'Etat versera à Mme Y... la somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.