(1ère Chambre)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 10 février 1995, présentée par le MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'INTERIEUR ET DE L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ; le ministre demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9215640/4, en date du 2 décembre 1994, par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société Compagnie financière et industrielle des autoroutes (Cofiroute), d'une part, la somme de 328.869 F majorée des intérêts de droit, d'autre part, la somme de 3.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Cofiroute devant le tribunal administratif de Paris ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU la loi du 30 juin 1881 ;
VU l'article 92 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;
VU le décret du 23 octobre 1935 ;
VU le code pénal ;
VU le code de la route ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 27 juin 1996 :
- le rapport de Mme KAYSER, président-rapporteur,
- et les conclusions de Mme PHEMOLANT, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que, les 1er juillet 1989, 18 janvier 1990 et 28 septembre 1990, des manifestants ont occupé les plates-formes de la Gravelle sur l'autoroute A 81, empêchant notamment la perception des péages ; que, pour demander l'annulation du jugement du 2 décembre 1994, par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à réparer le préjudice invoqué par la société Compagnie financière et industrielle des autoroutes (Cofiroute), le MINISTRE DE L'INTERIEUR soutient que les agissements reprochés aux manifestants ne sont pas constitutifs de délit au sens des dispositions de l'article 92 précité ;
Considérant qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 : "L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens" ;
Considérant que l'article L.7 du code de la route dispose : "Quiconque aura, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, placé ou tenté de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou qui aura employé ou tenté d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 1.000 F à 30.000 F ou de l'une de ces deux peines seulement" ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si les manifestants ont empêché la perception du péage dû par les automobilistes, la circulation n'en a pas été entravée ou gênée, dès lors que le passage des péages entraîne par lui-même un ralentissement, voire un arrêt des véhicules ; que les manifestants ont seulement mis à profit cette circonstance pour exposer leurs doléances ; que, par suite, de tels agissements ne sont pas constitutifs de délit d'entrave ou de gêne à la circulation au sens des dispositions précitées de l'article L.7 du code de la route ;
Considérant, par suite, que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de ce que ces entraves avaient le caractère d'un délit commis par un attroupement pour déclarer l'Etat responsable du préjudice invoqué par la société Cofiroute ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel de Paris, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Cofiroute tant devant le cour que devant le tribunal administratif ;
En ce qui concerne les articles 104 et suivants du code pénal :
Considérant que si l'article 104 du code pénal, applicable à l'époque des faits, interdit sur la voie publique ou dans un lieu public tout attroupement armé et tout attroupement non armé qui pourrait troubler la tranquillité publique, l'article 105 du même code dispose : "Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an toute personne non armée qui, faisant partie d'un attroupement armé ou non armé, ne l'aura pas abandonné après la première sommation" ;
Considérant qu'il n'est même pas allégué que la manifestation susévoquée ait fait l'objet de la part des représentants de la force publique d'une sommation de se disperser ; que, dès lors, les conditions posées pour constituer le délit d'attroupement ne sont pas réunies ;
En ce qui concerne la loi du 30 juin 1881 :
Considérant que les faits sanctionnés par cette loi ne sont punis que de peines de simple police et ne sont pas constitutifs de délits au sens de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 ;
En ce qui concerne le décret du 23 octobre 1935 :
Considérant que si la société Cofiroute se prévaut des dispositions de l'article 4 du décret susvisé aux termes desquelles "ceux qui ont participé à l'organisation d'une manifestation non déclarée ... seront punis d'emprisonnement ... et d'amende", ce délit qui ne concerne que les agissements des organisateurs n'est pas de la même nature que le délit mentionné à l'article 92 précité, qui ne vise que les agissements collectifs ; que, par suite, les dispositions invoquées ne sont pas applicables en l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR est fondé à demander l'annulation du jugement du 2 décembre 1994 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, soit condamné à verser à la société Cofiroute la somme qu'elle réclame au titre des frais qu'elle a exposés ;
Article 1er : Le jugement n° 9215640/4 du tribunal administratif de Paris en date du 2 décembre 1994 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Cofiroute devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Cofiroute sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.