VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 juillet 1993, présentée pour la VILLE DE PARIS, représentée par son maire en exercice, par Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la VILLE DE PARIS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à payer à Mme Y... diverses indemnités en réparation de désordres affectant un immeuble sis ... (19ème), et refusé de faire droit à l'appel en garantie formé par la ville contre la Compagnie générale des eaux et la Compagnie des eaux de Paris ;
2°) de rejeter les demandes présentées par Mme Y... devant le tribunal administratif de Paris ;
3°) subsidiairement, de condamner la Compagnie générale des eaux et la Compagnie des eaux de Paris à garantir la VILLE DE PARIS de toutes les condamnations susceptibles d'être mises à sa charge ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 décembre 1995 :
- le rapport de Mme KAYSER, président-rapporteur,
- les observations de Me Z..., avocat, pour Mme Y... et celles de la SCP VIER, BARTHELEMY, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la Compagnie générale des eaux de Paris et la Compagnie des eaux de Paris,
- et les conclusions de M. MERLOZ, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que la VILLE DE PARIS demande l'annulation du jugement du 11 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à payer à Mme Y... la somme de 420.163,40 F majorée d'intérêts de droit, a mis à sa charge les frais d'expertise et rejeté son appel en garantie contre la Compagnie générale des eaux et la Compagnie des eaux de Paris ; que Mme Y... demande à titre principal la confirmation du jugement du 11 décembre 1992 en tant qu'il déclare la VILLE DE PARIS responsable des désordres affectant l'immeuble lui appartenant et situé ... (19°) mais sollicite la réévaluation de l'indemnité qui lui a été accordée, qu'elle estime insuffisante, et, à titre subsidiaire, demande que la VILLE DE PARIS et les deux compagnies des eaux concessionnaires soient déclarées co-responsables et tenues "in solidum" au paiement de dommages et intérêts ; que, d'autre part, la Compagnie générale des eaux et la Compagnie des eaux de Paris concluent au rejet des conclusions de la requête de la VILLE DE PARIS en tant qu'elles sont dirigées à leur encontre ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le jugement du 11 décembre 1992 indique que des observations ont été présentées, au cours de l'audience, pour Mme Y... et pour la VILLE DE PARIS ; que ces mentions impliquent que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'audience du tribunal administratif de Paris a été publique ;
Considérant que le tribunal administratif a, dans le jugement attaqué, indiqué le fondement juridique et les éléments de fait de l'engagement de la responsabilité de la VILLE DE PARIS et a fourni toutes les indications utiles sur l'évaluation du préjudice ; que, dès lors, la VILLE DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé ; Sur le fond :
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que le passage de la Brie est une voie privée ouverte à la circulation publique depuis au moins l'année 1966 et que la VILLE DE PARIS assume son entretien, d'autre part que, en avril 1966, la VILLE DE PARIS a effectué des travaux de raccordement entre la canalisation d'eau du passage de la Brie et celle passant rue de Chaumont ; qu'ainsi la canalisation de distribution d'eau potable du passage de la Brie, qui constitue un branchement du réseau d'alimentation en eau de la commune, implantée dans le sous-sol d'une voie privée ouverte à la circulation publique, présente le caractère d'un ouvrage public ; qu'il s'ensuit que, les dispositions de l'arrêté préfectoral du 9 mars 1973 qui met à la charge des copropriétaires la surveillance et la réparation des conduits d'alimentation générale d'une voie privée, sont sans incidence en l'espèce dès lors qu'il s'agit d'un ouvrage public ; qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la ville est engagée à raison des désordres résultant de l'utilisation de la voie ou du fonctionnement de la canalisation en cause, à moins que les dommages ne soient imputables à une faute des copropriétaires ou à un événement de force majeure de nature à supprimer ou atténuer la responsabilité de la ville ;
Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert désigné par le juge des référés administratif que le sous-sol du passage de la Brie a été fragilisé et déstabilisé sous l'effet, d'une part, des infiltrations d'eau de lavage que font couler les agents de la VILLE DE PARIS chargés du nettoyage de la voie, d'autre part, de l'accumulation de charges roulantes sur une chaussée non conçue pour une circulation automobile et que la déstabilisation progressive du terrain a fini par provoquer des cassures de la canalisation d'eau potable à l'origine des désordres dans l'immeuble appartenant à Mme Y... ; que la VILLE DE PARIS n'est fondée, en l'espèce, à se prévaloir ni de la fragilité du sous-sol, les désordres n'étant apparus qu'après l'ouverture de la voie à la circulation publique, ni de la négligence des propriétaires riverains, ceux-ci ayant dûment signalé les multiples désordres affectant la canalisation entretenue par la ville ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la VILLE DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris l'a déclarée entièrement responsable des désordres survenus à l'immeuble appartenant à Mme Y... ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'en fixant à 132.650,50 F le montant des travaux nécessaires à la remise en état définitive de l'immeuble et à 30.000 F les troubles de jouissance subis par Mme Y..., le tribunal administratif n'a pas fait une appréciation erronée de ces chefs de préjudice ;
Considérant que le tribunal administratif a fixé le coût des travaux déjà effectués de remise en état de l'immeuble de Mme Lagier à 143.324 F, montant évalué par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif ; que, si Mme Y... conteste cette évaluation, elle n'apporte aucun élément permettant à la cour de se prononcer sur l'erreur qu'auraient éventuellement commis les premiers juges en retenant ce montant ;
Considérant que le tribunal administratif a condamné la VILLE DE PARIS à rembourser à Mme Y... les sommes que celle-ci devait, en application d'un jugement du tribunal de grande instance, verser à ses locataires pour les indemniser des travaux de réfection qu'ils ont dû effectuer, ainsi que des pertes de recettes, des troubles de jouissance et des frais de procédure ; que Mme Y... est fondée à demander qu'il soit tenu compte de l'arrêt en date du 6 novembre 1992 par lequel la cour d'appel de Paris a majoré les sommes mises à sa charge par ce jugement ; qu'il ressort des pièces produites en appel et non sérieusement contestées que le total, d'une part, des sommes mises à la charge de Mme Y..., majorée des intérêts pour la période du 6 novembre 1992 au 31 décembre 1993 et calculés selon cet arrêt, soit 113.853,65 F et, d'autre part, des frais de l'expertise ordonnée par les juridictions de l'ordre judiciaire soit 83.439 F, s'élève au montant de 197.292,65 F, et qu'il y a lieu par suite de porter à ce montant la somme de 114.188,90 F allouée à ce titre par le tribunal administratif ;
Considérant que Mme Y... n'apporte aucun élément établissant la réalité et l'importance de la dévalorisation alléguée de son immeuble ou d'une diminution de sa valeur vénale ; que la demande présentée à ce titre doit donc être rejetée ;
Considérant que, ainsi que l'a indiqué le tribunal administratif, Mme Y... pouvait procéder aux travaux nécessaires à la remise en état de son immeuble, au jour du dépôt du rapport d'expertise ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à demander l'indexation du montant des réparations sur l'indice du coût de la construction ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par Mme Y... doit être évalué à la somme de 503.267,15 F et qu'il y a lieu de porter la somme allouée par l'article 2 du jugement attaqué à ce montant ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que le tribunal administratif a, à juste titre, mis les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés administratif, d'un montant de 13.872,64 F, à la charge de la VILLE DE PARIS ;
Sur les intérêts :
Considérant que le tribunal administratif a, à bon droit, fixé le point de départ des intérêts au 31 janvier 1990, date d'introduction de la demande de Mme Y... devant le tribunal ; que la somme de 305.974,50 F portera donc intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 1990 et la somme de 197.292,65 F, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, à compter du 1er janvier 1994 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu de condamner la VILLE DE PARIS à verser à Mme Y... une somme de 10.000 F sur le fondement de ces dispositions ;
Sur l'appel en garantie formé par la VILLE DE PARIS :
Considérant que si la VILLE DE PARIS appelle en garantie la Compagnie générale des eaux et la Compagnie des eaux de Paris, il ressort des pièces du dossier et notamment de la convention du 30 mars 1979 que la Compagnie générale des eaux n'était pas chargée de l'entretien et des réparations des canalisations, et que la Compagnie des eaux de Paris a été chargée des réparations postérieurement à l'apparition des désordres ; qu'il en résulte que l'appel en garantie formé par la VILLE DE PARIS à l'encontre de ces deux compagnies doit être rejeté ;
Article 1er : La somme de 420.163,10 F que la VILLE DE PARIS a été condamnée à verser à Mme Y... par l'article 2 du jugement attaqué est portée à 503.267,15 F.
Article 2 : La somme de 197.292,65 F portera intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1994.
Article 3 : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Paris du 11 décembre 1992 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La VILLE DE PARIS est condamnée à verser à Mme Y... une somme de 10.000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la VILLE DE PARIS est rejeté ainsi que le surplus des conclusions du recours incident de Mme Y....