La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/1994 | FRANCE | N°93PA00749

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 19 juillet 1994, 93PA00749


VU la requête enregistrée au greffe de la cour le 9 juillet 1993, présentée pour Mlles Elise et Virginie X..., demeurant respectivement ... (Corrèze) et ... (Bouches-du-Rhône), par Me Francine Y..., avocat au barreau de Brive ; Mlles X... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, déclaré l'Etat responsable de la contamination par le virus du sida des personnes atteintes d'hémophilie à qui ont été transfusés des produits sanguins non chauffés pendant la période comprise entre le 12 mars et

le 1er octobre 1985, d'autre part, ordonné une expertise médicale ...

VU la requête enregistrée au greffe de la cour le 9 juillet 1993, présentée pour Mlles Elise et Virginie X..., demeurant respectivement ... (Corrèze) et ... (Bouches-du-Rhône), par Me Francine Y..., avocat au barreau de Brive ; Mlles X... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris a, d'une part, déclaré l'Etat responsable de la contamination par le virus du sida des personnes atteintes d'hémophilie à qui ont été transfusés des produits sanguins non chauffés pendant la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, d'autre part, ordonné une expertise médicale concernant leur père, M. Robert X..., décédé le 8 février 1991 ;
2°) d'annuler l'ordonnance du 12 octobre 1992 par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a désigné un nouvel expert pour procéder à l'expertise ordonnée par le jugement du 10 juillet 1992 ;
3°) d'annuler le jugement du 9 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de leur père tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant de sa contamination par le virus du sida ;
4°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 10.000.000 de francs, avec les intérêts et les intérêts des intérêts, en réparation du préjudice subi par leur père ;
5°) de condamner l'Etat à leur verser à chacune la somme de 500.000 F, avec les intérêts et les intérêts des intérêts, en réparation du préjudice tant moral qu'économique qu'elles ont subi du fait du décès de leur père ;
6°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article R.222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que les conclusions dirigées par Mlles Elise et Virginie X... contre l'ordonnance du 12 octobre 1992, par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a substitué un nouvel expert à celui qu'il avait initialement désigné pour procéder à l'expertise ordonnée par le jugement dudit tribunal du 10 juillet 1992, ne sont assorties d'aucune motivation ; qu'elles ne peuvent, dès lors, et en tout état de cause, qu'être rejetées comme irrecevables ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur Z..., épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ; que Mlles X... sont, dès lors, fondées à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er de son jugement du 10 juillet 1992, le tribunal administratif de Paris a limité la responsabilité de l'Etat à la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'expert désigné par les premiers juges que la séropositivité de M. Robert X..., décédé le 8 février 1991, a été révélée le 21 août 1985 et qu'il n'est pas contesté qu'il a régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés au cours de la période précitée et notamment les 22 février, 2 mars, 13 mai et 4 juin 1985 ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que Mlles X... sont, dès lors, fondées à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 9 avril 1993, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de leur père tendant à la réparation du préjudice résultant de sa contamination par le virus du sida ;
Sur la réparation :
En ce qui concerne le préjudice subi par M. X... :
Considérant que si M. X... a demandé devant le tribunal administratif que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 10 millions de francs en réparation du préjudice subi par lui du fait de sa contamination par le virus du sida, ses deux filles, qui ont repris l'instance après son décès, ont limité l'indemnisation qu'elles ont réclamée au titre du même préjudice à la somme globale de 500.000 F ; que, dès lors, les conclusions qu'elles présentent à la cour et qui tendent à l'octroi d'une indemnité de 10 millions de francs constituent une demande nouvelle qui n'est pas recevable en appel dans la mesure où elle excède la somme de 500.000 F ;
Considérant que les troubles de toute nature subis par M. X... du fait de sa contamination par le virus du sida lui ont causé un préjudice qui peut être évalué à 2.000.000 de francs, dont il y a lieu de déduire les deux sommes de 125.000 F versées à ses filles par le Fonds de solidarité des hémophiles ; qu'ainsi, en demandant que l'Etat soit condamné à leur verser 500.000 F, Mlles X... n'ont pas fait une évaluation exagérée de ce préjudice ; qu'il convient, dès lors, de faire droit à leur demande ; que les intérêts au taux légal sont dus à compter de la date de réception par l'administration de la demande préalable de M. X... du 28 mai 1990 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 9 juillet 1993 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
En ce qui concerne le préjudice subi par Mlles X... :
Considérant, d'une part, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mlles X... à la suite du décès de leur père en condamnant l'Etat à verser à chacune une indemnité de 60.000 F ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration des demandes préalables des intéressées du 12 juillet 1991 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 9 juillet 1993 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Considérant, d'autre part, que Mlles X... étaient âgées respectivement de vingt et dix-neuf ans lors du décès de leur père ; qu'elles n'établissent ni la réalité ni le montant des pertes de revenus qu'elles auraient subies du fait de ce décès ; qu'elles ne peuvent, dès lors, prétendre à ce titre à aucune indemnisation ;
En ce qui concerne les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze :
Considérant qu'au soutien de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 340.055,22 F, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze produit un décompte des prestations qu'elle a réglées à M. X... ou pour son compte depuis le mois de juillet 1986 jusqu'à son décès ; qu'elle a droit au remboursement par l'Etat de la totalité de ces débours, sous réserve qu'ils puissent être regardés comme une conséquence directe de la contamination de l'intéressé par le virus du sida ; qu'en l'état de l'instruction ce lien de causalité n'est pas établi ; qu'il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze, d'ordonner une expertise par un seul expert qui aura pour mission d'identifier, parmi les prestations servies par ladite caisse, celles qui sont directement imputables à la contamination de M. X... par le virus du sida ;
Sur la subrogation de l'Etat :
Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits de Mlles X... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages ;
Sur l'application des dispositions de l'arti-cle L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circons-tances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Mlles X... une indemnité globale de 6.000 F en application des dispositions susvisées ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 10 juillet 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt et l'article 1er du jugement du même tribunal du 9 avril 1993 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mlles X... une somme globale de 500.000 F qui portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de la demande préalable de M. Robert X... du 28 mai 1990. Les intérêts échus le 9 juillet 1993 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à Mlle Elise X... une somme de 60.000 F et à Mlle Virginie X... une somme de 60.000 F, qui porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration des demandes préalables des intéressées du 12 juillet 1991. Les intérêts échus le 9 juillet 1993 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat est subrogé dans les droits de Mlles X... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages.
Article 5 : L'Etat est condamné à verser à Mlles X... une somme globale de 6.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlles X... est rejeté.
Article 7 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze, procédé à une expertise par un expert désigné par le président de la cour, dont la mission est définie dans les motifs du présent arrêt.
Article 8 : L'expert prêtera serment par écrit. Son rapport sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.
Article 9 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award