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19/07/1994 | FRANCE | N°93PA00586

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 19 juillet 1994, 93PA00586


VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 2 juin 1993, présentée pour Mme Z..., demeurant ..., par Me Y..., avocat au barreau de La Rochelle ; Mme Z... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 mars 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable des conséquences dommageables de la contamination de son mari par le virus de l'immunodéficience humaine et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10.000.000 de francs au titre du préjudice spécifique de contamination de s

on mari, 3.000.000 de francs au titre de son préjudice propre, avec...

VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 2 juin 1993, présentée pour Mme Z..., demeurant ..., par Me Y..., avocat au barreau de La Rochelle ; Mme Z... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 mars 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit déclaré responsable des conséquences dommageables de la contamination de son mari par le virus de l'immunodéficience humaine et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10.000.000 de francs au titre du préjudice spécifique de contamination de son mari, 3.000.000 de francs au titre de son préjudice propre, avec intérêts à compter de la date de réception par l'administration de la demande préalable de son époux ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser lesdites indemnités de 10.000.000 de francs et 3.000.000 de francs avec intérêts et capitalisation des intérêts ainsi qu'une indemnité de 10.000 F en application de l'article R.222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 5 juillet 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur,
- les observations de Me GRELLETY, avocat à la cour, pour Mme Z...,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur X..., épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusions sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, comme elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle a été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'expert désigné en première instance que la séropositivité de M. Z..., qui est décédé le 8 janvier 1992, a été révélée lors d'un test pratiqué sur un échantillon de sang prélevé sur lui le 6 août 1985 ; qu'il n'est pas contesté qu'il a régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés tout au long de la période précitée, et notamment avant le 6 août 1985 ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites trans-fusions ; que Mme Z... est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur la réparation :
En ce qui concerne le préjudice spécifique de contamination de M. Z... :

Considérant qu'eu égard au caractère exceptionnel de préjudice de M. Z..., il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature qu'il a subis en fixant le montant de la réparation due à son épouse, qui est sa seule héritière, à la somme de 2.000.000 F, dont il y a lieu de déduire 170.000 F versés à l'intéressée par le Fonds de solidarité des hémophiles ; qu'ainsi, l'indemnité qui doit être mise à la charge de l'Etat s'établit à 1.830.000 F ;
En ce qui concerne le préjudice personnel de Mme Z... :
Considérant d'une part, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme Z... à la suite du décès de son mari en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 120.000 F ;
Considérant, d'autre part, que la perte de revenus subie par Mme Z... du fait du décès de son mari, qui doit être évaluée à 50 % des revenus annuels de celui-ci, se trouve entièrement compensée par les sommes qui lui ont été versées par la caisse interprofessionnelle de prévoyance des cadres et la compagnie Gan Vie ; qu'elle n'a droit, dès lors, à ce titre à aucune indemnisation ;
En ce qui concerne les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime :
Considérant qu'au soutien de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 634.096,05 F, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime produit un décompte faisant apparaître qu'elle a réglé à M. Z... ou pour son compte des prestations en nature de 472.096,87 F et des prestations en espèces de 161.999,18 F entre le 15 janvier 1988 et le 8 janvier 1992 ; qu'elle a droit au remboursement par l'Etat de la totalité de ces débours, sous réserve qu'ils puissent être regardés comme une conséquence directe de la contamination de l'intéressé par le virus du syndrome immunodéficitaire acquis ; qu'en l'état de l'instruction ce lien de causalité n'est pas établi ; qu'il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime, d'ordonner une expertise par un seul expert qui aura pour mission d'identifier, parmi les prestations servies par ladite caisse, celles qui sont directement imputables à la contamination de M. Z... par le virus du syndrome d'immunodéficience acquise ;
Sur les intérêts :
Considérant que la somme de 1.830.000 F due à Mme Z... au titre du préjudice spécifique de contamination de son mari portera intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 1991, date de réception par le ministre de la santé de la demande préalable d'indemnisation présentée par l'intéressé ; que la somme de 120.000 F qui lui est due au titre de son préjudice personnel portera intérêts au taux légal à compter du 12 mars 1992, date d'enregistrement de sa demande au tribunal administratif ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 12 mars 1992 et 2 juin 1993 ; qu'à la première de ces dates il n'était pas dû une année d'intérêts ; qu'en revanche, à la seconde de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il n'y a lieu de faire droit qu'à la seconde de ces demandes ;
Sur la subrogation de l'Etat :

Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits de Mme Z... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages ;
Sur l'application des dispositions de l'ar-ticle L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Mme Z... une somme de 6.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 31 mars 1993 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à Mme Z... une indemnité de 1.830.000 F, qui portera intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 1991, et une indemnité de 120.000 F, qui portera intérêts au taux légal à compter du 12 mars 1992. Les intérêts échus le 2 juin 1993 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat est subrogé dans les droits de Mme Z... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages.
Article 4 : L'Etat versera à Mme Z... une somme de 6.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Z... est rejeté.
Article 6 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime, procédé à une expertise par un expert dont la mission est définie dans les motifs du présent arrêt.
Article 7 : L'expert prêtera serment par écrit. Son rapport sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.
Article 8 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 93PA00586
Date de la décision : 19/07/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS SUSCEPTIBLES D'ENGAGER LA RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RETARDS.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - - CARACTERE DIRECT DU PREJUDICE - EXISTENCE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE.


Références :

Code civil 1154
Code de la santé publique L669
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. JANNIN
Rapporteur public ?: M. DACRE-WRIGHT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1994-07-19;93pa00586 ?
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