VU la requête enregistrée au greffe de la cour le 19 mai 1993, présentée pour M. Jean-Marie X..., demeurant rue de Charbottonnes, St Jean St Nicolas, à Charbottes (Hautes-Alpes), par Me Y..., avocat au barreau de Marseille ; M. X... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'il a subi du fait de sa contamination par le virus du sida à la suite de transfusions de produits sanguins ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 2.550.000 F avec les intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5.000 F au titre des frais irrépétibles ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la responsabilité
Considérant que, par un premier jugement du 15 mai 1992, le tribunal administratif de Paris a déclaré que la responsabilité de l'Etat était engagée en raison des transfusions de produits sanguins non chauffés effectuées du 12 mars au 1er octobre 1985 et a ordonné, avant dire droit sur la demande de M. X..., une expertise médicale ; que, par un 2ème jugement du 9 avril 1993, le tribunal a rejeté cette demande au motif que le lien de causalité entre la contamination de M. X... par le virus de l'immunodéficience humaine et l'administration de produits sanguins entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 ne pouvait être regardé comme établi ; que si M. X... a contesté la période de responsabilité de l'Etat citée dans le jugement attaqué, il n'a dirigé aucune conclusion contre le jugement du 15 mai 1992 ; que, dans ces conditions, le lien de causalité entre la faute de l'Etat et les conséquences dommageables de la contamination de l'intéressé par le virus de l'immunodéficience humaine doit être apprécié au regard de la période fixée par le tribunal administratif ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'expert désigné par les premiers juges que la séropositivité de M. X..., qui est décédé le 21 septembre 1993, a été révélée le 29 août 1985 et qu'il n'est pas contesté qu'il a régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés au cours de la période précitée et notamment entre le 12 mars et le début du mois d'août 1985 ; qu'ainsi la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que c'est, dès lors, à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'intéressé ;
Sur la réparation due aux héritiers de M. X... :
Considérant qu'eu égard au caractère exceptionnel du préjudice de M. X... il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature qu'il a subis en évaluant le montant de la réparation due à ses héritiers à la somme de 2.000.000 F ; qu'en revanche, à défaut d'être assorties de justifications, les conclusions de la requête tendant à l'octroi d'une somme de 50.000 F en remboursement des frais de déplacement exposés par l'intéressé pour se rendre à Paris, à l'hôpital Cochin, ne peuvent qu'être rejetées ;
Mais considérant qu'en application des dispositions de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié pris pour son application, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine a informé la cour que M. X... avait accepté l'offre d'indemnisation de 1.530.000 F qui lui avait été faite au titre de son préjudice spécifique de contamination ; qu'en outre il a reçu une somme de 180.000 F des Fonds de solidarité des hémophiles ; qu'il y a lieu de déduire ces deux sommes du montant de la réparation fixée ci-dessus ; qu'ainsi l'indemnité due par l'Etat aux héritiers de M. X... s'établit à 290.000 F ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de la santé de la demande préalable d'indemnisation présentée par l'intéressé ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes :
Considérant qu'au soutien de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 246.071,02 F, la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes produit des décomptes des frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et d'hospitalisation qu'elle a exposés pour le compte de M. X... entre le 23 octobre 1990 et le 22 septembre 1993 ; qu'elle a droit au remboursement par l'Etat de la totalité de ces débours, sous réserve qu'ils puissent être regardés comme une conséquence directe de la contamination de l'intéressé par le virus du sida ; qu'en l'état de l'instruction ce lien de causalité n'est pas établi ; qu'il y a lieu, dès lors, avant de statuer sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, d'ordonner une expertise par un seul expert qui aura pour mission d'identifier, parmi les prestations servies par ladite caisse, celles qui sont directement imputables à la contamination de M. X... par le virus du sida ;
Sur la subrogation de l'Etat :
Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits des héritiers de M. X... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser 5.000 F aux héritiers de M. X... en application des dispositions de l'article L.8-1 code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 9 avril 1993 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer aux héritiers de M. X... une indemnité de 290.000 F avec les intérêts au taux légal à compter de la date de réception par le ministre de la santé de la demande préalable d'indemnisation présentée par l'intéressé.
Article 3 : L'Etat est subrogé dans les droits des héritiers de M. X... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur des dommages.
Article 4 : L'Etat versera aux héritiers de M. X... une somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, procédé à une expertise par un expert dont la mission est définie dans les motifs du présent arrêt.
Article 7 : L'expert prêtera serment par écrit. Son rapport sera déposé au greffe de la cour dans le délai de trois mois suivant la prestation de serment.
Article 8 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.