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19/07/1994 | FRANCE | N°92PA01129

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 19 juillet 1994, 92PA01129


VU la requête enregistrée le 9 octobre 1992 au greffe de la cour, présentée pour M. et Mme Z..., demeurant ..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, Florence, par Me Y..., avocat au barreau de Paris ; M. et Mme Z... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 mai 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de réparation du préjudice causé par la mort de leur fils Sébastien ;
2°) d'ordonner telle expertise qui semblera nécessaire aux fins d'examiner les circonstances e

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VU la requête enregistrée le 9 octobre 1992 au greffe de la cour, présentée pour M. et Mme Z..., demeurant ..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, Florence, par Me Y..., avocat au barreau de Paris ; M. et Mme Z... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 mai 1992 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande de réparation du préjudice causé par la mort de leur fils Sébastien ;
2°) d'ordonner telle expertise qui semblera nécessaire aux fins d'examiner les circonstances exactes de la contamination de Sébastien Z... par le virus de l'immunodéficience humaine ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser, d'une part, la somme globale de 2.928.000 F augmentée des intérêts de droit à compter du mois de décembre 1989 et de la capitalisation des intérêts, d'autre part, la somme de 10.000 F en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU le code civil ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur,
- les observations de Me HUBIN PAUGAM, avocat à la cour, pour M. et Mme Z...,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur X..., épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux ; qu'elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;
Considérant que l'Etat ne peut s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue en invoquant des fautes commises dans la prescription et la délivrance des produits sanguins contaminés par les médecins et les établissements de transfusion sanguine ; qu'il appartient seulement à l'Etat d'exercer, s'il s'y croit fondé, une action récursoire à l'encontre des autres personnes ayant concouru à la réalisation du dommage ; qu'il suit de là que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des victimes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Sébastien Z..., qui est décédé des suites du sida le 6 janvier 1991, était encore séronégatif le 29 juillet 1985 et que sa séropositivité a été révélée en juillet 1986 ; que son carnet de santé fait apparaître qu'il a régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés au cours de la période précitée, notamment en juillet, septembre et octobre 1985 ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que, dès lors, ses parents, M. et Mme Jean-Paul Z..., sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;
Sur la réparation :
En ce qui concerne le préjudice de Sébastien Z... :
Considérant qu'eu égard au caractère exceptionnel du préjudice de Sébastien Z..., il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature qu'il a subis en évaluant le montant de la réparation due à ses héritiers à la somme de 2.000.000 F, dont il y a lieu de déduire les indemnités de 1.230.000 F et 170.000 F versées aux intéressés respectivement par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine et les Fonds de solidarité des hémophiles ;
Considérant que les seuls héritiers de Sébastien Z... agissant dans la présente instance sont ses parents et l'une de ses deux soeurs, Florence ; qu'en vertu des dispositions des articles 748 et 752 du code civil, ils sont appelés à recueillir chacun un quart de sa succession ; qu'ainsi l'indemnité que l'Etat sera condamné à leur verser en réparation du préjudice subi par leur auteur s'élève, pour chacun d'eux, à 150.000 F ;
En ce qui concerne les préjudices de M. et Mme Z... et de leur fille Florence :
Considérant que M. et Mme Z... ont reçu du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles 28.757 F en remboursement de frais d'obsèques, 200.000 F chacun en réparation de leur préjudice moral et 100.000 F en réparation du préjudice moral de leur fille Florence ; que les indemnités qui pourraient être mises à la charge de l'Etat au titre des mêmes préjudices ne sont pas susceptibles d'être supérieures à celles qui leur ont ainsi été allouées par le Fonds ; que, ces préjudices ayant été intégralement réparés, aucune indemnité complémentaire ne leur est due ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. et Mme Z... et leur fille Florence ont droit aux intérêts de la somme de 150.000 F, qui leur est allouée à chacun par le présent arrêt, à compter de la date de réception par l'administration de leur demande préalable d'indemnisation du mois de décembre 1989 ;
Sur la capitalisation des intérêts :

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 5 juin 1990, 4 avril 1992 et 9 octobre 1992 ; qu'à la deuxième de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'en revanche, à la première et à la troisième de ces dates, il n'était pas dû une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il n'y a lieu de faire droit qu'à la deuxième de ces demandes ;
Sur la subrogation de l'Etat :
Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits de M. et Mme Z... et de Melle Florence Z... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. et Mme Z... et à Melle Florence Z... une somme globale de 6.000 F en application des dispositions susvisées ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 20 mai 1992 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. Jean-Paul Z..., à Mme Ginette Z... et à Melle Florence Z... une indemnité de 150.000 F chacun, avec les intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de leur demande préalable. Les intérêts échus le 4 avril 1992 seront capitalisés à cette date pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat est subrogé dans les droits de M. et Mme Z... et de Melle Florence Z... à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme Jean-Paul Z... et à Melle Florence Z... une somme globale de 6.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Z... est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 92PA01129
Date de la décision : 19/07/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS SUSCEPTIBLES D'ENGAGER LA RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RETARDS.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - - CARACTERE DIRECT DU PREJUDICE - EXISTENCE.


Références :

Code civil 748, 752, 1154
Code de la santé publique L669
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. JANNIN
Rapporteur public ?: M. DACRE-WRIGHT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1994-07-19;92pa01129 ?
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