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23/06/1994 | FRANCE | N°93PA01028

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 23 juin 1994, 93PA01028


VU la requête, enregistrée le 2 septembre 1993, présentée pour M. et Mme X et pour Z, par Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les consorts X demandent à la cour :
1°) d'annuler les jugements des 20 mai 1992 et 2 juillet 1993 par lesquels le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser en raison du préjudice subi du fait du décès de leur fils et frère des suites du syndrome d'immunodéficience humaine ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 2.000.000 de francs au ti

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VU la requête, enregistrée le 2 septembre 1993, présentée pour M. et Mme X et pour Z, par Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; les consorts X demandent à la cour :
1°) d'annuler les jugements des 20 mai 1992 et 2 juillet 1993 par lesquels le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser en raison du préjudice subi du fait du décès de leur fils et frère des suites du syndrome d'immunodéficience humaine ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 2.000.000 de francs au titre du préjudice spécifique de contamination subi par Y, hémophile, décédé le 31 mai 1987, une indemnité de 250.000 F à M. et Mme X au titre du préjudice moral qu'ils ont subi, avec les intérêts de droit à compter du 20 décembre 1989 et capitalisation des intérêts, ainsi qu'une indemnité de 2.000 F à chacun d'entre eux en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 juin 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président--rapporteur,
- les observations de Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour M. et Mme X et pour Z,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que devant le tribunal administratif de Paris, M. et Mme X ont demandé que l'Etat soit condamné à leur verser, d'une part, une indemnité de 1.000.000 de francs en raison du préjudice et des troubles dans les conditions d'existence qu'ils ont subis du fait de la contamination de leur fils Y par le virus d'immunodéficience humaine et de son décès des suites du syndrome d'immunodéficience acquise le 31 mai 1987, d'autre part, une indemnité de 4.500.000 F au titre du préjudice spécifique de contamination subi par ce dernier ; que, par un premier jugement du 20 mai 1992, le tribunal administratif a ordonné une expertise médicale après avoir déclaré l'Etat responsable de la contamination par le virus du syndrome d'immunodéficience acquise des hémophiles ayant reçu des transfusions de produits sanguins non chauffés pendant la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 ; que, par un second jugement rendu après expertise le 2 juillet 1993, le tribunal a rejeté la demande de M. et Mme X ;
Considérant que, par la requête susvisée, M. et Mme X et Z, demi-frère du jeune Y, font appel des deux jugements susmentionnés et demandent que l'Etat soit condamné, d'une part, à leur verser une indemnité de 2.000.000 de francs majorés des intérêts capitalisés au titre du préjudice spécifique de contamination de leur fils et demi-frère, d'autre part, à verser à chacun des deux parents de la victime une indemnité de 250.000 F majorée des intérêts capitalisés au titre du préjudice qu'ils ont subi ;
Sur les conclusions de Z :
Considérant qu'en vertu des principes généraux de la procédure, tels qu'ils sont rappelés à l'article R.228 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le droit de former appel des décisions de justice est ouvert aux personnes qui ont été parties dans l'instance à l'issue de laquelle a été rendue la décision qu'elles attaquent ;
Considérant que Z n'était pas partie à l'instance qui opposait M. et Mme X à l'Etat ; que, dès lors, ses conclusions d'appel dirigées contre les jugements du tribunal administratif ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions de M. et Mme X :
Sur la responsabilité :

Considérant que les articles L.666 et suivants du code de la santé publique dans leur rédaction en vigueur à la date du jugement attaqué et les dispositions du décret du 16 janvier 1954 modifié pris pour leur application ont déterminé les conditions dans lesquelles peuvent être opérés le prélèvement du sang humain et la préparation, la conservation et la délivrance des produits dérivés du sang humain et ont confié à des établissements de transfusion sanguine non lucratifs, placés sous contrôle de l'Etat, l'exécution des missions ainsi définies ; que notamment les attributions des centres de transfusion sont énumérées par le décret susmentionné ; que la composition de leur conseil d'administration est fixée par ledit décret, et que le directeur de chaque centre est agréé par le ministre ; que l'organisation générale de la transfusion sanguine est assurée, dans chaque département, où il ne peut exister en principe qu'un centre de transfusion, sous l'autorité du préfet par le directeur départemental de la santé ; qu'enfin le ministre de la santé est seul chargé, aux termes de l'article L.669, de réglementer les conditions de prélèvement et l'utilisation thérapeutique du sang humain, de son plasma et de leurs dérivés ; qu'ainsi, eu égard tant à l'étendue des pouvoirs que ces dispositions confèrent aux services de l'Etat en ce qui concerne l'organisation générale du service public de la transfusion sanguine, le contrôle des établissements qui sont chargés de son exécution et l'édiction des règles propres à assurer la qualité du sang humain, de son plasma et de ses dérivés, qu'aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués, la responsabilité de l'Etat peut être engagée par toute faute commise dans l'exercice desdites attributions ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur Brunet, épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons de sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous les lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, y compris les cryoprécipités qui, bien que préparés à partir d'un nombre plus limité de donneurs, présentaient les mêmes risques que les autres produits sanguins concentrés non chauffés ; qu'elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ;

Considérant que l'Etat ne peut s'exonérer de la responsabilité ainsi encourue en invoquant des fautes commises dans la prescription et la délivrance des produits sanguins contaminés par les établissements de transfusion sanguine ; qu'il appartient seulement à l'Etat d'exercer, s'il s'y croit fondé, une action récursoire à l'encontre d'un centre de transfusion sanguine sur la base de fautes imputables à celui-ci et ayant concouru à la réalisation du dommage ; qu'il suit de là que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ; que c'est, dès lors, à tort que, par l'article 1er de son jugement du 20 mai 1992, le tribunal administratif a limité la reponsabilité de l'Etat à la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la séropositivité du jeune Y, décédé des suites du syndrome d'immunodéficience acquise le 31 mai 1987, a été révélée le 14 août 1985 et qu'il n'est pas contesté qu'il a régulièrement subi des transfusions de cryoprécipités les 31 mars, 17 avril et 8 juin 1985 ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que, par suite, M. et Mme X sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 2 juillet 1993, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande ;
Sur la réparation :
Considérant que le montant du préjudice et celui de l'indemnité mise à la charge de l'Etat doivent être évalués au jour du présent arrêt ;
En ce qui concerne le préjudice spécifique de contamination du jeune Y :
Considérant, d'une part, qu'eu égard au caractère exceptionnel du préjudice subi par Y, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature qu'il a subis en évaluant le montant de la réparation due à ses ayants droit à la somme de 2.000.000 de francs ;
Considérant, d'autre part, qu'en application des dispositions de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié pris pour son application, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine a informé la cour de céans que, par arrêt du 7 mai 1993, la cour d'appel de Paris a alloué à M. et Mme X et à Z une indemnité de 1.600.000 F au titre du préjudice spécifique de contamination ; qu'ainsi il convient de soustraire cette somme du montant de la réparation fixée ci-dessus ; que, dès lors, l'indemnité due par l'Etat au titre de ce même préjudice est de 400.000 F ;

Considérant, enfin, que les droits à réparation qui sont reconnus à M. et Mme X par le présent arrêt ne peuvent excéder la part du préjudice total correspondant à la proportion de leurs droits sur la créance détenue à l'encontre de l'Etat par les ayants droit du jeune Y ; qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme X détiennent, par la voie successorale, la moitié de ladite créance ; qu'ainsi, il y a lieu de condamner l'Etat à leur verser une indemnité globale de 200.000 F ;
En ce qui concerne le préjudice moral de M. et Mme X :
Considérant que, par arrêt du 7 mai 1993, la cour d'appel de Paris a fixé à 200.000 F les indemnités que le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés devait verser à chacun des époux X en réparation de leur préjudice moral ; que l'indemnité mise à la charge de l'Etat, au titre du même préjudice, n'est pas susceptible d'être supérieure à celle due par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés ; qu'ainsi le préjudice moral de M. et Mme X ayant été intégralement réparé, aucune indemnité complémentaire ne leur est due ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. et Mme X ont droit aux intérêts au taux légal de la somme de 200.000 F à compter du 21 décembre 1989, date de réception par l'Etat de leur demande d'indemnisation ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 2 septembre 1993 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur la subrogation de l'Etat :
Considérant qu'il y a lieu de subroger l'Etat dans les droits de M. et Mme X à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. et Mme X une somme globale de 4.000 F en application des dispositions susvisées ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 20 mai 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt et le jugement du même tribunal du 2 juillet 1993 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme X une indemnité globale de 200.000 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 1989. Les intérêts échus le 2 septembre 1993 seront capitalisés à cette date pour porter eux-mêmes intérêts.
Article 3: L'Etat est subrogé dans les droits de M. et Mme X à l'encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage.
Article 4 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme X une somme globale de 4.000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Les conclusions de M. Z et le surplus de la requête de M. et Mme X sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 93PA01028
Date de la décision : 23/06/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPECIALES - POLICE SANITAIRE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE.

SANTE PUBLIQUE - UTILISATION THERAPEUTIQUE DE PRODUITS D'ORIGINE HUMAINE.


Références :

Code civil 1154
Code de la santé publique L666, L669
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R228, L8-1
Décret 54-65 du 16 janvier 1954
Décret 92-759 du 31 juillet 1992 art. 17
Loi 91-1406 du 31 décembre 1991 art. 47


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. JANNIN
Rapporteur public ?: M. DACRE-WRIGHT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1994-06-23;93pa01028 ?
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