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23/06/1994 | FRANCE | N°93PA00299

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1e chambre, 23 juin 1994, 93PA00299


VU la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 26 mars et 20 avril 1993, présentés pour Mme X, par Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; Mme X demande à la cour :
1°) d'annuler les jugements des 15 mai 1992 et 15 janvier 1993, par lesquels le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice subi par elle du fait de la contamination de son mari par le virus de l'immunodéficience humaine ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3.508.614 F av

ec les intérêts et la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner ...

VU la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 26 mars et 20 avril 1993, présentés pour Mme X, par Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; Mme X demande à la cour :
1°) d'annuler les jugements des 15 mai 1992 et 15 janvier 1993, par lesquels le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice subi par elle du fait de la contamination de son mari par le virus de l'immunodéficience humaine ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3.508.614 F avec les intérêts et la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 ;
VU le décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 modifié ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience :
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 juin 1994 :
- le rapport de M. JANNIN, président-rapporteur,
- les observations de Me BLANC, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour Mme X,
- et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le risque de contamination par le virus de l'immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine était tenu pour établi par la communauté scientifique dès novembre 1983 et que l'efficacité du procédé du chauffage pour inactiver le virus était reconnue au sein de cette communauté dès octobre 1984, tandis qu'il était admis, à cette époque, qu'au moins 10 % des personnes séropositives contractent le syndrome d'immunodéficience acquise dans les cinq ans et que l'issue de cette maladie est fatale dans au moins 70 % des cas ; que ces faits ont été consignés le 22 novembre 1984 par le docteur Brunet, épidémiologiste à la direction générale de la santé, dans un rapport soumis à la commission consultative de la transfusion sanguine ; qu'eu égard au caractère contradictoire et incertain des informations antérieurement disponibles tant sur l'évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d'être utilisées pour en éviter la transmission, il ne peut être reproché à l'administration de n'avoir pas pris avant cette date de mesures propres à limiter les risques de contamination par transfusion sanguine, notamment en interdisant la délivrance des produits sanguins non chauffés, en informant les hémophiles et leurs médecins des risques encourus, ou en mettant en place des tests de dépistage du virus sur les dons du sang et une sélection des dons ; qu'en revanche il appartenait à l'autorité administrative, informée à ladite date du 22 novembre 1984, de façon non équivoque, de l'existence d'un risque sérieux de contamination des transfusés et de la possibilité d'y parer par l'utilisation des produits chauffés qui étaient alors disponibles sur le marché international, d'interdire, sans attendre d'avoir la certitude que tous le lots de produits dérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux, y compris des cryoprécipités qui, bien que préparés à partir d'un nombre plus limité de donneurs, présentaient les mêmes risques que les autres produits sanguins concentrés non chauffés ; qu'elle pouvait le faire par arrêté ministériel pris sur le fondement de l'article L.669 du code de la santé publique ; qu'une telle mesure n'a été prise que par une circulaire dont il n'est pas établi qu'elle ait été diffusée avant le 20 octobre 1985 ; que cette carence fautive de l'administration est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des contaminations provoquées par des transfusions de produits sanguins pratiquées entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ; que Mme X est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement du 15 mai 1992, le tribunal administratif de Paris a limité la responsabilité de l'Etat à la période comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la séropositivité de M. Y, décédé des suites du syndrome immunodéficitaire acquis le 4 septembre 1988, a été révélée le 20 novembre 1985 et qu'il n'est pas contesté qu'il a régulièrement subi des transfusions de produits sanguins non chauffés et notamment de cryoprécipités au cours de la période précitée ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat est engagée en raison des conséquences dommageables desdites transfusions ; que c'est, dès lors, à tort que, pour rejeter la demande de Mme X dans son jugement du 15 janvier 1993, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur l'absence de lien de causalité entre la faute de l'Etat et la contamination du mari de l'intéressée par le virus de l'immunodéficience humaine ;
Sur la réparation :
Considérant, d'une part, que la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif de Paris ne comportait pas de conclusions tendant à la réparation du préjudice spécifique de contamination subi par son mari, dont les premiers juges se sont estimés saisis à tort ; que, dès lors, les conclusions de la requête tendant à la réparation de ce préjudice sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
Considérant, d'autre part, qu'en application des dispositions de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et de l'article 17 du décret du 31 juillet 1992 modifié pris pour son application, le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus de l'immunodéficience humaine a informé la cour que Mme X avait accepté les offres d'indemnisation de 12.815 F et 120.000 F qui lui avaient été faites, respectivement, en remboursement des frais d'obsèques exposés par elle et en réparation de son préjudice moral ; qu'en outre, par un arrêt du 12 février 1993 devenu définitif, la cour d'appel de Paris a condamné le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés à payer à l'intéressée une somme de 134.725 F en réparation de son préjudice économique ; que les indemnités qui pourraient être mises à la charge de l'Etat au titre de ces trois chefs de préjudice et des troubles subis par l'intéressée dans ses conditions d'existence ne sont pas susceptibles d'être supérieures à celles qu'elle a déjà reçues ; qu'il s'ensuit que, le préjudice personnel de Mme X ayant été intégralement réparé, aucune indemnité complémentaire ne lui est due ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par jugement du 15 janvier 1993, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'arti-cle L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant que l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dispose : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens" ; que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme X la somme qu'elle demande aux titres des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris du 15 mai 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 93PA00299
Date de la décision : 23/06/1994
Type d'affaire : Administrative

Analyses

POLICE ADMINISTRATIVE - POLICES SPECIALES - POLICE SANITAIRE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE.

SANTE PUBLIQUE - UTILISATION THERAPEUTIQUE DE PRODUITS D'ORIGINE HUMAINE.


Références :

Code de la santé publique L669
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Décret 92-759 du 31 juillet 1992 art. 17
Loi 91-1406 du 31 décembre 1991 art. 47


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. JANNIN
Rapporteur public ?: M. DACRE-WRIGHT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;1994-06-23;93pa00299 ?
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