Vu l'ordonnance en date du 5 janvier 1989 par laquelle le président de la 5e sous-section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée au Conseil d'Etat par Mme Y... ;
Vu le mémoire introductif d'instance et le mémoire ampliatif présentés pour Mme Y..., demeurant ..., par la S.C.P. Bore et Xavier ; ils ont été enregistrés les 12 février et 10 juin 1988 ; Mme Y... demande au Conseil d'Etat ;
1°) d'annuler le jugement du 16 décembre 1987 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Administration générale de l'assistance publique à Paris soit condamnée à lui verser une indemnité de 464.500 F avec intérêts ;
2°) de condamner l'Administration générale de l'assistance publique à Paris à lui verser une indemnité de 464.500 F avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Administration générale de l'assistance publique à Paris les frais d'expertise ;
Vu le code civil ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 et l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 22 mai 1990 :
- le rapport de Mme Lackmann, conseiller,
- les observations de Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour l'administration générale de l'assistance publique à Paris,
- et les conclusions de M. Dacre-Wright, commissaire de gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme Y... alors agée de 74 ans a subi le 3 avril 1981 à l'hôpital Saint-Louis une opération chirurgicale sous anesthésie locale afin de libérer le canal carpien de son poignet droit ; que l'état de santé de la requérante a brutalement empiré dans les jours suivants l'opération ; que Mme Y... a perdu depuis l'usage de son bras et de sa main droite ; que Mme Y... étant décédée le 31 octobre 1989, sa fille Mme Camille Y... a déclaré reprendre l'instance ;
Sur la responsabilité :
Considérant que le diagnostic erroné de syndrome du canal carpien établi tant par le médecin rhumatologue de l'hôpital Avicenne que par le chirurgien de l'hôpital Saint-Louis, a été porté sans que ces praticiens ne prennent en compte tous les éléments du dossier en leur possession relatant, d'une part, que l'intéréssée avait été atteinte d'un cancer du sein droit traité par une radiothérapie intensive et, d'autre part, la possibilité d'une compression plexique ou radiculaire ; qu'ainsi la prescription d'une anesthésie loco-régionale par injections de novocaine dans le plexus brachial a entraîné une aggravation du syndrome sensitivo-moteur ; que ces faits sont constitutifs d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'administration générale de l'assistance publique à Paris ; que dès lors, Mme Camille Y... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant à ce que l'administration générale de l'assistance publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de l'opération subie par sa mère ;
Sur le préjudice :
Considérant d'une part qu'eu égard aux troubles dans les conditions d'existence, au prétium doloris et au préjudice esthétique subis à l'époque par Mme Y..., il y a lieu de fixer la réparation qui est lui due à ce titre à la somme de 60.000 F ;
Considérant d'autre part que l'état de Mme Y... nécessitait l'assistance d'une tierce personne durant deux heures par jour ; qu'eu égard à son état pathologique préexistant à l'opération litigieuse, la somme due à ce titre doit être fixée à 30.000 F ; que l'indemnité globale due est donc de 90.000 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que les intérêts sont dus à compter du 7 mars 1985, date de réception par l'Administration générale de l'assistance publique de la demande préalable d'indemnisation formée par Mme Y... ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 12 février 1988 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et arrêtés à la somme de 4.597,90 F, à la charge de l'Administration générale de l'assistance publique à Paris ;
Article 1er : Le jugement n° 56561/4 du 16 décembre 1987 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Administration générale de l'assistance publique à Paris est condamnée à verser à Mme Camille Y... une indemnité de 90.000 F avec intérêts à compter du 7 mars 1985. Les intérêts échus le 12 février 1988 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Administration générale de l'assistance publique à Paris.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Camille Y... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Camille Y... et à l'Administration générale de l'assistance publique à Paris.