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08/04/2022 | FRANCE | N°21NT03186

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 08 avril 2022, 21NT03186


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA de Kerroc'h a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 9 avril 2019 par laquelle le président de la région Bretagne lui a retiré le bénéfice de l'aide au maintien de l'agriculture biologique et lui a appliqué des pénalités complémentaires ainsi que sa décision du 9 juillet 2019 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°1904472 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 9 avril et 9 juillet 2019 du président d

e la région Bretagne.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA de Kerroc'h a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 9 avril 2019 par laquelle le président de la région Bretagne lui a retiré le bénéfice de l'aide au maintien de l'agriculture biologique et lui a appliqué des pénalités complémentaires ainsi que sa décision du 9 juillet 2019 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n°1904472 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions des 9 avril et 9 juillet 2019 du président de la région Bretagne.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 novembre 2021 et le 28 février 2022, la région Bretagne, représentée par son président en exercice par la SELARL Ares, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 septembre 2021 ;

2°) de prononcer un non-lieu à statuer sur la décision contestée du 9 avril 2019 en tant qu'elle applique une pénalité ;

3°) de rejeter la demande présentée par la SCEA de Kerroc'h devant le tribunal administratif de Rennes ;

4°) de mettre à la charge de la SCEA de Kerroc'h une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est irrégulier pour avoir omis de prononcer un non-lieu à statuer dès lors que la sanction prononcée à l'encontre de la SCEA de Kerroc'h, qui ne porte que sur la campagne 2015, ne trouvait plus à s'appliquer ;

- ce jugement est également irrégulier faute pour le tribunal de ne pas avoir recherché si, en l'absence d'organisation de la procédure contradictoire préalable, la SCEA de Kerroc'h avait été privée d'une garantie alors qu'il avait été soutenu en défense qu'elle avait été avertie de la mesure envisagée par un courrier du 22 mai 2016 ; le tribunal administratif a ainsi méconnu son office ;

En ce qui concerne la légalité de la décision en litige :

- il n'y a plus lieu de statuer sur la décision contestée du 9 avril 2019 en tant qu'elle

applique une pénalité ;

- cette décision n'est pas entachée d'un vice de procédure pour avoir méconnu le principe du contradictoire dès lors que l'autorité administrative était en situation de compétence liée à la date à laquelle elle a été prise, qu'elle ne constitue pas le retrait d'une décision créatrice de droits et qu'elle a été prise dans le respect des règles définies à l'article 63-1° du règlement (UE) n°1306/2013 ; à supposer même que les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration étaient applicables, la méconnaissance du principe du contradictoire n'était pas de nature à entraîner l'annulation de la décision contestée ;

- les autres moyens soulevés en première instance par la SCEA de Kerroc'h, et que la cour devra examiner au titre de l'effet dévolutif de l'appel, ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 février et 9 mars 2022, la SCEA de Kerroc'h conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la région Bretagne la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête de la région Bretagne n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 1305/2013 du 17 décembre 2013 ;

- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Marie représente la région Bretagne et de Me Barbier représente la SCEA de Kerroc'h.

Une note en délibéré, présentée pour la SCEA de Kerroc'h, a été enregistrée le 25 mars 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La SCEA de Kerroc'h, qui exerce une activité de type polyculture-élevage sur la commune de Sizun (Finistère), a déposé, le 9 juin 2015, une demande d'engagement au titre du maintien de l'agriculture biologique. Le préfet du Finistère et le président de la région Bretagne ont réservé, le 5 avril 2019, une suite favorable à cette demande. A la suite d'un contrôle administratif, le président de la région Bretagne a décidé, le 9 avril 2019, du non-paiement de l'annuité de l'aide au titre de la campagne 2015 au motif que le bénéficiaire n'avait pas respecté totalement ses engagements, un écart de 87 % étant constaté et assortissait cette décision de pénalités à concurrence de l'anomalie constatée. La SCEA de Kerroc'h a formé un recours gracieux contre cette décision, qui a été rejeté le 9 juillet 2019. La région Bretagne relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 septembre 2021 qui, à la demande de la SCEA de Kerroc'h, a annulé ses décisions des 9 avril et 9 juillet 2019.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, la régularité d'un jugement ne dépendant pas de son bien-fondé, la région Bretagne ne saurait utilement alléguer de ce que le jugement est irrégulier faute pour le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments avancés par les parties, d'avoir annulé la décision contestée pour vice de procédure en l'absence de respect de la procédure contradictoire sans avoir préalablement recherché si, dans les circonstances de l'espèce, ce vice avait eu une influence sur le sens de la décision ou s'il avait privé la société intimée d'une garantie.

3. D'autre part, si la décision contestée est assortie de pénalités, il résulte de l'instruction que celles qui ont été infligées à la SCEA de Kerroc'h au titre de la campagne 2015, pour un montant de 1 402,57 euros, lui ont été, par la suite, remboursées par une décision intervenue au plus tard le 21 septembre 2020, date d'établissement du relevé de situation relatif à la campagne 2018. L'absence de mise en œuvre des pénalités est, par ailleurs, confirmée par la " lettre de fin d'instruction " des aides relatives à la campagne 2015, datée du 20 septembre 2021, qui n'en fait plus état. Il suit de là que la décision en tant qu'elle est assortie de pénalités avait été ainsi implicitement mais nécessairement retirée. Dans ces conditions, le tribunal administratif, qui disposait de cette information, devait, après avoir constaté que les conclusions tendant à l'annulation de la décision contestée en tant qu'elle est assortie de pénalités étaient devenues sans objet, prononcer un non-lieu à statuer sur ces conclusions.

4. Il résulte de ce qui précède que l'Office est seulement fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision contestée en tant qu'elle est assortie de pénalités. Le jugement attaqué doit, par suite, être annulé dans cette mesure. Il y a lieu d'évoquer les conclusions de la demande devenue sans objet au cours de la procédure de première instance et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

5. La requête du ministre de l'agriculture et de l'alimentation tend également à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a annulé sa décision du 9 avril 2019 en tant qu'elle décide de ne pas procéder au paiement de l'annuité résultant de sa décision du 5 avril précédent. Cette requête conserve, dans cette seule mesure, un objet et doit être examinée par la cour.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de non-paiement d'une annuité :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 5 avril 2019, le préfet du Finistère et le président de la région Bretagne ont accepté la demande d'engagement déposée le 9 juin 2015 par la SCEA de Kerroc'h. Cette décision prévoit, dans le cadre du maintien de l'agriculture biologique " BR_MAB " au titre de la campagne 2015, le versement d'une aide d'un montant annuel de 11 999,80 euros pour une surface de 83,16 hectares et vaut, ainsi qu'elle le mentionne, " engagement juridique dans cette mesure ". La décision contestée du 9 avril 2019 décide du non-paiement d'une annuité de cette aide au motif que l'instruction de la demande a fait apparaître que son bénéficiaire ne respectait pas le seuil de chargement minimal requis par le cahier des charges de la mesure souscrite, à savoir un seuil de 0,2 UGB d'animaux certifiés " agriculture biologique " par hectare de surface de prairies engagées, sur 72,67 ha de prairies engagées, ce qui représente un écart de 87 %. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des lettres de fin d'instruction, qu'en exécution de cette décision de non-respect d'engagement du 9 avril 2019, l'administration n'a versé l'aide au titre de l'annuité 2015 que partiellement. En décidant du non-paiement partiel de l'aide octroyée par la décision du 5 avril 2019, qui vaut engagement juridique, la décision contestée du 9 avril 2019 doit être regardée comme ayant procédé implicitement mais nécessairement au retrait partiel de la décision du 5 avril 2019. Dans ces conditions, la décision de ne pas procéder au paiement prévu par une décision valant engagement juridique présente le caractère d'une décision défavorable retirant une décision créatrice de droits au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Une telle décision doit alors être motivée et être précédée, sauf si elle répond à une demande de paiement formée par le bénéficiaire, d'une procédure contradictoire. Au surplus, la décision contestée en étant assortie d'une pénalité supplémentaire à concurrence du montant correspondant à la quantité en anomalie et en mettant à la charge de l'Agence du service de paiement (ASP) le soin de recouvrir les sommes indûment perçues assorties de pénalités impose à son bénéficiaire des sujétions au sens des mêmes dispositions et doit être, également pour ce motif, être motivée et précédée d'une procédure contradictoire.

8. En l'espèce, la décision contestée a été prise à la suite d'une instruction opérée de son propre chef par l'administration, et non pas en réponse à une demande de paiement que la SCEA de Kerroc'h aurait déposée en l'assortissant des justificatifs nécessaires pour permettre à l'administration d'apprécier qu'elle avait bien respecté ses engagements. Cette décision a ainsi eu pour effet de remettre en cause partiellement le bénéfice d'une aide agricole, sans que la société intimée ait été mise à même de présenter des observations. La région Bretagne ne saurait sérieusement soutenir que la SCEA de Kerroc'h a pu présenter de telles observations suite au courrier du 22 mars 2016 des services de la direction départementale des territoires et de la mer du Finistère dès lors que ce courrier ne peut être regardé comme invitant l'intéressée à présenter ses observations sur le retrait éventuel de la décision du 5 avril 2019 qui est postérieure de près de trois ans à ce courrier et qui a eu pour effet de créer une situation juridiquement constituée au profit de la SCEA de Kerroc'h. Par suite, la décision du 9 avril 2019 est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière.

9. Toutefois, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Le respect, par l'autorité administrative compétente de la procédure prévue par les dispositions de l'article L. 121-1 constitue une garantie pour le bénéficiaire de l'aide agricole que l'administration envisage de retirer. Dans les circonstances de l'espèce, alors que la demande formée par la SCEA de Kerroc'h a fait l'objet d'une instruction qui a duré plusieurs années, laquelle a notamment donné lieu au courrier précité des services de l'Etat du 22 mars 2016 portant sur le contrôle des conditions d'éligibilité, l'aide a été néanmoins octroyée le 5 avril 2019. Dans ces conditions, la SCEA de Kerroc'h, qui n'a pas été en mesure de présenter ses observations sur les motifs retenus par le président de la région Bretagne pour retirer l'aide, doit être effectivement regardée comme ayant été privée de cette garantie. La décision du 9 avril 2019 est ainsi entachée d'illégalité.

10. En second lieu, si la région Bretagne soutient qu'elle se trouvait en situation de compétence liée pour retirer l'aide agricole dès lors qu'il avait été constaté que les animaux utilisant lesdites prairies ne répondaient pas au cahier des charges de l'agriculture biologique, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 4 de leur décision.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le président de la région Bretagne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision du 9 avril 2019.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties à l'instance la charge des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes est annulé en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande de la SCEA de Kerroc'h en tant qu'elle demande l'annulation des pénalités dont était assortie la décision du 9 avril 2019.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande présentée par la SCEA de Kerroc'h devant le tribunal administratif de Rennes en tant qu'elle demande l'annulation des pénalités dont est assortie la décision du 9 avril 2019.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la région Bretagne est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la SCEA de Kerroc'h tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au président de la région Bretagne et à la SCEA de Kerroc'h.

Copie en sera adressée, pour son information, au préfet de la région Bretagne.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2022.

Le rapporteur

M. L'hirondel

La présidente

C. Brisson

La greffière

A. Martin

La République mande et ordonne préfet de la région Bretagne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03186


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03186
Date de la décision : 08/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BRISSON
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SELARL BARBIER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-08;21nt03186 ?
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