Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 avril 1993, présentée pour la S.C.I. "RESIDENCE DAUPHINE" dont le siège social est ..., par Me X..., avocat ;
La S.C.I. "RESIDENCE DAUPHINE" demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement en date du 23 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et taxes additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1988, 1989, 1990, ainsi que des pénalités y afférentes ;
2 ) de lui accorder la décharge desdites cotisations ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et les lois n 83-1179 du 29 décembre 1983 et 86-1318 du 30 décembre 1986 ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et le protocole additionnel n 1 à cette convention ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 1995 :
- le rapport de M. Chamard, conseiller,
- et les conclusions de M. Cadenat, commissaire du gouvernement,
Considérant que la société civile immobilière "RESIDENCE DAUPHINE", propriétaire à Orléans d'immeubles d'habitation à usage locatif construits avant le 1er janvier 1973 et pour lesquels elle soutient pouvoir bénéficier d'une exonération temporaire de taxe foncière d'une durée de 25 ans qui aurait dû courir jusqu'au 31 décembre 1990, demande la décharge des impositions qui lui sont réclamées à ce titre pour les années 1988, 1989 et 1990, ainsi que l'annulation du jugement en date du 23 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté cette demande ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que la S.C.I. "RESIDENCE DAUPHINE" soutient que le jugement attaqué n'aurait pas répondu à divers moyens ;
Considérant que, sans qu'il soit besoin de statuer sur d'autres omissions alléguées, le jugement attaqué n'a pas répondu aux moyens tirés de la violation de principes généraux du droit international ; qu'ainsi, ledit jugement est entaché d'irrégularité et doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la S.C.I. "RESIDENCE DAUPHINE" devant le tribunal administratif d'Orléans ;
Sur l'application des règles de droit interne :
Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions de l'article 1385-I du code général des impôts, les constructions nouvelles achevées avant le 1er janvier 1973 dont les trois quarts au moins de leur superficie totale sont affectés à l'habitation principale sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés bâties durant les vingt-cinq années qui suivent celle de leur achèvement ; qu'aux termes de l'article 1385-II bis du même code, issu de l'article 14-I de la loi n 83-1179 du 29 décembre 1983 portant loi de finances pour 1984, "à compter de 1984, la durée de l'exonération de 25 ans mentionnée aux I et II est ramenée à 15 ans, sauf en ce qui concerne les logements à usage locatif remplissant les conditions définies à l'article L.411-1 du code de la construction et de l'habitation ..." ; que, d'autre part, aux termes de l'article 20-IV de la loi n 86-1318 du 30 décembre 1986, portant loi de finances rectificative pour 1986 : "Dans le paragraphe II bis de l'article 1385 du même code, les mots : "remplissant les conditions définies à l'article L.411-1 du code de la construction et de l'habitation" sont remplacés par les mots : "appartenant aux organismes visés à l'article L.411-2 du code de la construction et de l'habitation" ; et qu'aux termes de l'article 20-V de la même loi : "Les impositions dues au titre des années antérieures au 1er janvier 1987 en application des paragraphes I à IV sont en conséquence réputées régulières, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée" ; qu'il résulte de ces dispositions que les logements qui, construits avant le 1er janvier 1973 sous certaines conditions, bénéficiaient jusqu'à la promulgation des lois du 29 décembre 1983 et du 30 décembre 1986 précitées, d'une exonération de 25 ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties, sont devenus en principe imposables à ladite taxe, à compter du 1er janvier 1984, dès lors qu'ils n'appartiennent pas aux organismes visés à l'article L.411-2 précité ;
Considérant, en premier lieu, que l'article 20 IV de la loi du 30 décembre 1986 réservant le bénéfice du maintien de l'exonération de 25 ans aux organismes visés à l'article L.411-2 du code de la construction et de l'habitation, lequel donne une liste limitative des organismes à loyer modéré dont il est constant que la S.C.I. requérante ne fait pas partie, le moyen tiré d'une similitude des caractéristiques de fonctionnement de ladite S.C.I. avec celles des organismes H.L.M., telles que mentionnées à l'article L.411-I du même code, est inopérant ;
Considérant, en second lieu, que les règles gouvernant l'établissement de l'impôt sont constituées exclusivement par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour l'année d'imposition en cause ; que le moyen tiré de la violation d'un prétendu contrat par lequel l'Etat se serait engagé à accorder aux investisseurs un avantage fiscal d'une durée de 25 ans est, par suite, inopérant ;
Sur l'application des règles de droit communautaire et international :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ;
Considérant, d'une part, que la société civile immobilière "RESIDENCE DAUPHINE" soutient que la suppression par le paragraphe IV de l'article 20 de la loi n 86-1318 du 30 décembre 1986 de l'exonération temporaire de la taxe foncière sur les propriétés bâties dont elle bénéficiait à raison des immeubles dont elle est propriétaire a pour effet de la priver d'une partie de son patrimoine et que, par suite, ces dispositions méconnaissent les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; que la suppression d'une exonération fiscale ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'à supposer que la société requérante ait entendu, en faisant état de la violation de la convention européenne des droits de l'homme qui résulterait de la discrimination instaurée entre organismes comparables par les mesures législatives précitées, invoquer les dispositions de l'article 14 de ladite convention, il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non discrimination qu'il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par ladite convention et par les protocoles additionnels à celle-ci ; que, dès lors, il appartient au contribuable qui se prévaut de la violation de ce principe d'invoquer devant le juge administratif le droit ou la liberté dont la jouissance est affectée par la discrimination alléguée ; que la société requérante n'a pas précisé devant le premier juge et ne précise pas davantage en appel le droit ou la liberté, reconnus par la convention, qui seraient méconnus par la discrimination qu'elle invoque ; que, par suite, elle doit être regardée comme n'entrant pas, en tout état de cause, dans les prévisions des stipulations de l'article 14 de la convention et ne peut utilement s'en prévaloir ;
Considérant, en troisième lieu, que la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer, pour écarter l'application de la loi qui a abrogé l'exonération fiscale temporaire dont elle bénéficiait, des principes du droit communautaire, notamment les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de respect des droits acquis, dès lors que la taxe foncière sur les propriétés bâties est uniquement régie par la législation définie par le droit interne et ne relève pas, par suite, d'une réglementation communautaire ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander la décharge des impositions litigieuses ;
Article 1er - Le jugement en date du 23 décembre 1992 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 - La demande présentée par la S.C.I. "RESIDENCE DAUPHINE" devant le tribunal administratif d'Orléans est rejetée.
Article 3 - Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière "RESIDENCE DAUPHINE" et au ministre de l'économie et des finances.