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25/01/1995 | FRANCE | N°92NT00651

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2e chambre, 25 janvier 1995, 92NT00651


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 27 août 1992, présentée pour Mme Y... demeurant ..., par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 87-9428 en date du 30 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray à l'indemniser en raison du préjudice qu'elle et ses enfants ont subi du fait du décès de M. Y... le 3 décembre 1986 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray à lui verser une i

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 27 août 1992, présentée pour Mme Y... demeurant ..., par Me X..., avocat ; Mme Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 87-9428 en date du 30 juin 1992 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray à l'indemniser en raison du préjudice qu'elle et ses enfants ont subi du fait du décès de M. Y... le 3 décembre 1986 ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray à lui verser une indemnité de 100 000 F au titre de son préjudice moral, de 200 000 F au titre du préjudice moral de ses enfants, de 500 000 F au titre de son préjudice économique, ainsi qu'une indemnité au titre du préjudice matériel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 décembre 1994 :
- le rapport de Mme LACKMANN, président rapporteur,
- les observations de Me CHAUMETTE, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Maritime,
- et les conclusions de M. CADENAT, commissaire du gouvernement,

Considérant que le 3 décembre 1986 vers vingt heures, M. Y..., admis le 1er décembre 1986 au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Saint-Etienne du Rouvray pour troubles du sommeil et agressivité, a été retrouvé mort dans sa chambre, étouffé par son drap de lit, allongé devant la porte fermée ;
Sur la régularité des opérations d'expertise :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'expert nommé par un jugement avant dire droit du tribunal administratif de Rouen du 16 octobre 1990 s'est, lors de la réunion des parties au centre hospitalier, entretenu avec les membres du personnel de cet établissement hors de la présence du défendeur de la requérante ; qu'ainsi le caractère contradictoire de l'ensemble des opérations d'expertise n'a pas été respecté ; que, toutefois, cette irrégularité ne fait pas obstacle, à elle seule, à ce que ce rapport d'expertise soit retenu à titre de pièce du dossier ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, lors de son admission, M. Y... était très agité et que cinq infirmiers ont été nécessaires pour le maîtriser ; qu'il a été isolé dans une chambre dont la porte était fermée en permanence et qu'il ne faisait l'objet d'une surveillance qu'à travers le carreau de la porte, les infirmières du pavillon ayant reçu la consigne de ne pénétrer dans sa chambre qu'avec le renfort d'infirmiers qui se trouvaient dans un autre pavillon ; que, de ce fait, les infirmières, après s'être aperçues que M. Y... gisait sur le sol de sa chambre, ont dû attendre près d'un quart d'heure l'arrivée de leurs collègues avant le pouvoir lui porter secours ;
Considérant que la circonstance, alors que l'on n'avait pas utilisé des moyens de contention mécanique pour l'immobiliser, que M. Y... ait été placé dans un pavillon où se trouvaient seules trois infirmières que ne pouvaient le maîtriser ainsi que le retard mis à le secourir sont constitutifs d'un défaut dans l'organisation du service hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray ; que Mme Y... est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande et qu'il y a lieu d'annuler le jugement ;
Sur le préjudice de Mme Y... et de ses enfants :
En ce qui concerne le préjudice subi par Mme Y... :
Considérant, d'une part, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme Y... en raison du décès de son époux en condamnant le centre hospitalier à lui verser à ce titre une indemnité de 40 000 F ;
Considérant, d'autre part, que les revenus de M. Y... s'élevaient à 94 551 F en 1986 ; que la part de ces revenus destinée à Mme Y... doit être évaluée à 35 % soit 33 092,85 F ; qu'eu égard à son âge lors du décès de son mari le capital représentatif de cette rente s'élève à 459 527,21 F ; qu'il y a lieu, enfin, de déduire de ce capital le capital décès de 22 501 F versé par la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen à la requérante ; que le capital finalement dû à Mme Y..., au titre de son préjudice économique s'élève ainsi à 437 026,31 F ;

Considérant enfin que devant le tribunal administratif Mme Y... s'est bornée à demander la réparation de son préjudice matériel sans le chiffrer ; qu'elle demande à la cour la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray à lui verser à ce titre une indemnité de 43 003,52 F ; que ces conclusions sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité totale due à Mme Y... par le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray est de 477 026,31 F ;
En ce qui concerne le préjudice subi par Stéphanie et Guillaume Y... :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par les jeunes Stéphanie et Guillaume, respectivement âgés de cinq et trois ans lors du décès de leur père, en condamnant le centre hospitalier à leur verser une indemnité de 30 000 F chacun ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité totale due par le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray à Mme Y..., au nom de ses enfants mineurs, est de 60 000 F ;
En ce qui concerne les intérêts :
Considérant que les intérêts de l'indemnité totale afférente au préjudice économique sont dûs, non à compter du 3 décembre 1986 comme le demande Mme Y..., mais à compter du 20 mars 1987, date de sa demande préalable auprès du centre hospitalier ;
Sur le préjudice de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen :
Considérant que la caisse primaire d'assurance Maladie de Rouen a droit au remboursement du capital décès qu'elle a dû verser à Mme Y... en raison du décès de son mari ; qu'il y a lieu de condamner le centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray à lui verser une indemnité de 22 501,80 F ;
En ce qui concerne les intérêts :
Considérant que les intérêts de la somme de 22 501,80 F sont dûs à compter du 4 avril 1989, date d'enregistrement du mémoire en intervention de la caisse devant le tribunal ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier spécialisé de Saint-Etienne du Rouvray à verser à Mme Y... une indemnité de 4 000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Article 1er - Le jugement n° 87-9428 en date du 30 juin 1992 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 - Le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray est condamné à verser à Mme Y..., tant en son nom propre qu'au nom de ses enfants mineurs, une indemnité globale de CINQ CENT TRENTE SEPT MILLE VINGT SIX Francs et TRENTE ET UN Centimes (537 026,31 F). La somme de QUATRE CENT TRENTE SEPT MILLE VINGT SIX Francs et TRENTE UN Centimes (437 026,31 F) portera intérêts à compter du 20 mars 1987.
Article 3 - Le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen une indemnité de VINGT DEUX MILLE CINQ CENT UN Francs et QUATRE VINGT Centimes (22 501,80 F) avec intérêts à compter du 4 avril 1989.
Article 4 - Le centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray est condamné à verser à Mme Y... une indemnité de QUATRE MILLE Francs (4 000 F) en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 - Le surplus des conclusions de la requête de Mme Y... est rejeté.
Article 6 - Le présent arrêt sera notifié à Mme Y..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen, au centre hospitalier de Saint-Etienne du Rouvray et au ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 92NT00651
Date de la décision : 25/01/1995
Sens de l'arrêt : Annulation condamnation d'un centre hospitalier
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-01-01-06 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - DEFAUTS DE SURVEILLANCE -Hospitalisation d'un malade mental dans des conditions ne permettant pas de le secourir à temps.

60-02-01-01-01-01-06 Constitue une faute dans l'organisation du service public hospitalier le placement d'un malade agité dans un pavillon d'un centre hospitalier spécialisé auquel étaient seules affectées trois infirmières qui ne pouvaient le maîtriser et qui ont ainsi dû attendre l'arrivée d'infirmiers provenant d'autres pavillons avant de pouvoir, pour lui porter secours, pénétrer dans sa chambre où il a été retrouvé allongé devant la porte fermée, étouffé par son drap de lit.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Président : Mme Lackmann
Rapporteur ?: Mme Lackmann
Rapporteur public ?: M. Cadenat

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;1995-01-25;92nt00651 ?
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