Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 12 septembre 1991 sous le n° 91NT00764, présentée pour M. Jean-Claude Y..., demeurant à Caen (Calvados) ... par Me X..., avocat ;
M. Jean-Claude Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement, en date du 7 mai 1991, par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que la ville de Caen soit déclarée responsable des conséquences dommageables de l'accident qu'il a subi le 6 juin 1984 ;
2°) de condamner la ville de Caen à lui payer 800 F en réparation de son préjudice vestimentaire, avec intérêts de droit à compter de la première réclamation ;
3°) de condamner la ville de Caen à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article R.222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
4°) avant dire droit sur le préjudice corporel, de désigner un expert médical en vue de déterminer celui-ci ;
5°) de condamner la ville de Caen à lui payer, d'ores et déjà, une provision de 10 000 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 mars 1993 :
- le rapport de M. Bruel, conseiller,
- et les conclusions de M. Lemai, commissaire du gouvernement,
Sur la régularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif :
Considérant que, selon les dispositions de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, l'assuré social ou son ayant-droit, qui a été victime d'un accident n'entrant pas dans la catégorie des accidents de travail, doit indiquer sa qualité d'assuré social lorsqu'il demande en justice la réparation du préjudice qu'il a subi ; que cette obligation, sanctionnée par la possibilité reconnue aux caisses de sécurité sociale et au tiers responsable de demander pendant deux ans l'annulation du jugement prononcé sans que le tribunal ait été informé de la qualité d'assuré social du demandeur, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des caisses de sécurité sociale dans les litiges opposant la victime et le tiers responsable de l'accident ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier de première instance que, saisi par M. Jean-Claude Y... d'une demande dirigée contre la ville de Caen, tendant à la réparation du préjudice subi par l'intéressé du fait d'un accident survenu le 6 juin 1984, le tribunal administratif n'a pas communiqué cette demande à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados dont relève M. Jean-Claude Y... ; qu'il a ainsi méconnu la portée des dispositions législatives susrappelées qui lui faisaient obligation de mettre en cause ladite caisse ; qu'il y a lieu, dès lors, pour la cour, soulevant d'office cette irrégularité, d'annuler le jugement rendu le 7 mai 1991 par le tribunal administratif de Caen ;
Considérant que, la cour ayant mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. Jean-Claude Y... devant le tribunal administratif de Caen ;
Sur la demande de M. Jean-Claude Y... :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 6 juin 1984, M. Jean-Claude Y..., qui se trouvait sur le parking de la mairie de Caen (Calvados), zone interdite au public en raison des mesures de police prises par la municipalité à l'occasion de la visite de la reine d'Angleterre lors des cérémonies commémoratives du débarquement, a été mordu par un chien policier démuselé et laissé en liberté par un gardien de la paix chargé d'une mission de surveillance ; que M. Jean-Claude Y... recherche la responsabilité de la ville de Caen à raison des conséquences dommageables de cet accident ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.131-2 du code des communes : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend, notamment : ... 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics." ; qu'aux termes de l'article L.132-8 du même code : "Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, tel qu'il est défini à l'article L.131-2 2° et mis par cet article en règle générale à la charge du maire, incombe à l'Etat seul dans les communes où la police est étatisée. Dans ces mêmes communes, l'Etat a la charge du bon ordre quand il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes. Tous les autres pouvoirs de police énumérés à l'article L.131-2 sont exercés par le maire y compris le maintien du bon ordre dans les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ..." ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la mission de maintenir le bon ordre dans les endroits où il se fait occasionnellement de grands rassemblements d'hommes est transférée à l'Etat dans les communes où, comme c'est le cas à Caen, la police est étatisée ;
Considérant que la réception organisée le 6 juin 1984 à l'hôtel de ville de Caen en l'honneur de la visite de la reine d'Angleterre, dans le cadre de la célébration du quarantième anniversaire du débarquement, présentait le caractère d'un grand rassemblement d'hommes occasionnel ; que, par suite, alors même que cette manifestation constituait une cérémonie publique, la responsabilité de l'Etat était seule susceptible d'être engagée à raison de l'accident subi par M. Jean-Claude Y... ; que, dès lors, la demande de M. Jean-Claude Y... et, par voie de conséquence les conclusions de la caisse de sécurité sociale, doivent être rejetées ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la ville de Caen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à M. Jean-Claude Y... la somme qu'il demande au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er - Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 7 mars 1991 est annulé.
Article 2 - La demande présentée par M. Jean-Claude Y... devant le tribunal administratif de Caen et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados sont rejetées.
Article 3 - Les conclusions de M. Jean-Claude Y... tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.
Article 4 - Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Claude Y..., à la ville de Caen, à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et au ministre de l'intérieur.