VU l'ordonnance en date du 1er décembre 1988 par laquelle le président de la 7ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour administrative d'appel de NANTES le dossier de la requête présentée par M. Jacques HARDY et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 29 mai 1987 sous le n° 88076 ;
VU la requête susmentionnée présentée pour M. Jacques Y... demeurant ..., par Me X... avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrée au greffe de la Cour sous le n° 89NT00191 et tendant à :
- l'annulation du jugement du 17 mars 1987 par lequel le Tribunal administratif d'ORLEANS a rejeté sa requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu, à la taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations à la taxe d'apprentissage auxquelles il a été assujetti au titre des années 1978 à 1980
- et à la décharge des impositions litigieuses
VU le code général des impôts ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, le décret n° 88-7O7 du 9 mai 1988 et le décret n° 88-9O6 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience du 21 juin 1989 :
- le rapport de M. LEMAI, conseiller,
- et les conclusions de M. CACHEUX, commissaire du gouvernement,
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que les conclusions relatives à l'irrégularité du jugement attaqué, en tant qu'il n'a pas répondu à la demande d'expertise formulée dans le mémoire introductif d'instance, ont été présentées par le requérant pour la première fois dans un mémoire en réplique enregistré le 21 avril 1988, c'est à dire après l'expiration du délai d'appel ; que, par suite, elles sont tardives et, dès lors, irrecevables ;
Sur les bénéfices industriels et commerciaux :
Considérant qu'au cours des années 1978 à 1980, M. HARDY écoulait les produits de son exploitation de pépiniériste auprès de grossistes et, au détail, auprès de particuliers, auxquels il revendait également des plants achetés à d'autres producteurs ; qu'il était imposé, d'une part, selon un forfait de bénéfice industriel et commercial à raison de son activité de revente, et, d'autre part, pour la vente des produits de son exploitation, selon le régime forfaitaire agricole au titre des années 1978 et 1979 et selon le régime du bénéfice réel simplifié agricole au titre de l'année 1980 ; que l'administration, estimant que les opérations réalisées par le requérant entraient pour leur totalité dans le champ d'application de l'article 34 du code général des impôts, l'a assujetti à des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu résultant de l'imposition des profits tirés de l'ensemble des ventes pendant la période en cause selon les règles du régime réel simplifié d'imposition des bénéfices industriels et commerciaux ;
Considérant qu'aux termes de l'article 63 du code général des impôts "sont considérés comme bénéfices de l'exploitation agricole ( ...) les revenus que l'exploitation de biens ruraux procure ( ...) aux propriétaires exploitants" ;
Considérant que l'administration, pour soutenir que les ventes de M. HARDY relevaient de l'exercice d'une profession commerciale, se fonde sur la circonstance qu'elles étaient effectuées dans une installation permanente spécialement aménagée pour l'accueil de la clientèle avec le recours à des procédés commerciaux tels que l'utilisation d'une enseigne ou d'un catalogue mis à la disposition des clients ; que, toutefois, cette seule circonstance ne peut faire obstacle à ce que la vente des produits de l'exploitation soit regardée comme le prolongement normal de l'activité agricole ; que, de même, le fait que les ventes entrent dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée est sans incidence sur la qualification de l'activité du requérant au regard de l'impôt sur le revenu ; que, par suite, ce dernier est fondé à soutenir que les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu qui lui ont été notifiées au titre de bénéfices industriels et commerciaux, manquent de base légale ;
Sur la taxe d'apprentissage :
Considérant qu'aux termes de l'article 224 du code général des impôts, la taxe d'apprentissage est due "par les personnes physiques ( ...) lorsque ces personnes ( ...) exercent une activité visée aux articles 34 et 35" ;
Considérant que, comme il vient d'être dit, les ventes des produits de l'exploitation du requérant ne peuvent être regardées comme une activité visée aux articles 34 et 35 ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'un personnel distinct serait affecté à l'activité de revente de plants achetés à l'extérieur, laquelle n'est pas prédominante ; qu'en conséquence, l'assujettissement du requérant à la taxe d'apprentissage manque également de base légale au regard des dispositions précitées de l'article 224 ;
Sur la taxe sur la valeur ajoutée :
En ce qui concerne le principe de l'assujettissement :
Considérant qu'aux termes de l'article 257 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'année 1978 "sont également passibles de la taxe sur la valeur ajoutée ( ...) 4° les opérations réalisées par les exploitants agricoles dont les activités sont, en raison de leur nature ou de leur importance, assimilables à celles exercées par des industriels ou des commerçants, même si ces opérations constituent le prolongement de l'activité agricole" ; que ces dispositions sont reprises au II 1° de l'article 298 bis du code dans sa rédaction applicable aux années 1979 et 1980, sous réserve de la substitution des mots "exploitants agricoles" aux mots "opérations réalisées par les exploitants agricoles" ; que l'article 172 de l'annexe II, pris pour l'application de l'article 257.4° précité et dont les dispositions sont reprises pour les années 1979 et 1980 à l'article 260 A de l'annexe II, prévoit que les ventes de produits agricoles faites par des exploitants agricoles sont passibles de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles sont réalisées, notamment, dans un magasin ou une installation spécialement agencée pour la vente ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les locaux situés à ORLEANS où il est constant que le requérant recevait la clientèle et entreposait une partie des produits destinés à la vente doivent être regardés comme constituant une installation spécialement agencée pour la vente au sens des dispositions précitées ; que, par suite, l'administration était fondée à considérer que les ventes par M. HARDY des produits de son exploitation entraient de plein droit dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ;
En ce qui concerne la détermination de la base taxable :
Considérant qu'étant soumis, à défaut de déclaration pour l'ensemble de la période, à une procédure de taxation d'office, le requérant supporte la charge de prouver l'exagération des bases d'imposition ;
Considérant que l'administration a reconstitué les recettes taxables à partir des crédits des comptes bancaires du contribuable, complétés par une évaluation des dépenses en espèces ainsi que des ventes à d'autres producteurs réglées par compensation ; que si M. HARDY ne conteste pas le caractère irrégulier et non probant de sa comptabilité, ni même, dans son principe, la méthode suivie par le vérificateur, il soutient que des sommes de 109 003 F en 1978 et 50 750 F en 1979, versées sur son livret de caisse d'épargne et sur les livrets de ses enfants qui ont été pris en compte dans les recettes taxables, sont étrangères au fonctionnement de son entreprise ; que l'administration ne produit, alors qu'elle en a la charge, aucun élément de nature à établir l'existence d'une confusion entre les comptes commerciaux du contribuable et les livrets de caisse d'épargne familiaux ; qu'en conséquence, il y a lieu de soustraire des recettes taxables des années 1978 et 1979 respectivement les sommes de 109 003 F et 50 750 F ;
Considérant, toutefois, que lesdites recettes taxables ont été déterminées selon des règles différentes de celles qui sont applicables au régime simplifié d'imposition des exploitants agricoles ; que la Cour ne dispose pas au dossier des éléments lui permettant d'apprécier l'incidence des règles particulières au régime des exploitants agricoles ; qu'ainsi, il y a lieu d'ordonner une mesure d'instruction afin de permettre à l'administration de calculer les cotisations supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'assujettissement au régime simplifié des exploitants agricoles des ventes des produits de l'exploitation du requérant, pour la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1980, compte tenu de l'exclusion des bases taxables des années 1978 et 1979 des sommes respectivement de 109 003 F et 50 750 F ;
Sur le revenu global des années 1978 et 1979 :
Considérant qu'aux termes de l'article L 16 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur, "en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu ( ...) l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements. Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qui font l'objet de sa déclaration. Les demandes d'éclaircissements et de justifications doivent indiquer explicitement les points sur lesquels elles portent et assigner au contribuable, pour fournir sa réponse, un délai qui ne peut être inférieur à trente jours" ; qu'en vertu de l'article L 69 du même livre, est taxé d'office le contribuable qui s'est abstenu de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications ;
Considérant que le ministre fait valoir en appel que les sommes susmentionnées de 109 003 F et 50 750 F qui avaient été comprises dans le calcul des redressements des bénéfices industriels et commerciaux des années 1978 et 1979 étaient imposables, dans le cas où leur origine professionnelle ne serait pas admise, au titre de revenus d'origine indéterminée ; que cette substitution de base légale est possible dès lors que l'imposition de ces revenus d'origine indéterminée relevait de la procédure de taxation d'office ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans le cadre de la reconstitution des recettes à laquelle il a procédé, le vérificateur a adressé au contribuable, sur le fondement des dispositions précitées du livre des procédures fiscales, des demandes de justification des crédits de ses comptes bancaires et de ses livrets de caisse d'épargne portant notamment sur les sommes en cause ; qu'il n'est pas contesté que M. HARDY s'est borné à soutenir, comme il l'a fait ensuite dans ses mémoires devant le juge de l'impôt, que les versements en espèces sur les livrets de caisse d'épargne provenaient d'économies antérieures placées sous forme de bons anonymes réalisés en vue du financement d'un investissement ; que cette justification doit être regardée en raison de son caractère invérifiable comme équivalent à un défaut de réponse ; que le requérant était donc en situation d'être taxé d'office à raison d'un revenu d'origine indéterminée de 109 003 F en 1978 et 50 750 F en 1979 ; qu'il ne produit devant le juge de l'impôt, ainsi qu'il en a la charge, aucun commencement de preuve de la détention des bons qu'il prétend avoir réalisés ; qu'en conséquence le ministre est fondé à soutenir que, le requérant doit être assujetti à des cotisations à l'impôt sur le revenu à raison de revenus d'origine indéterminée d'un montant de 109 003 F en 1978 et 50 750 F en 1979 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. HARDY est fondé à demander la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1980 ainsi que des cotisations à la taxe d'apprentissage auxquelles il a été assujetti au titre des années 1978 à 1980 ; que les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu au titre des années 1978 et 1979 doivent être assises sur des revenus d'origine indéterminée d'un montant respectivement de 109 003 F en 1978 et 50 750 F en 1979 ; qu'il y a lieu de procéder à une mesure d'instruction avant de statuer sur les conclusions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée ;
Article 1 - M. HARDY est déchargé des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l'année 1980 ainsi que des cotisations à la taxe d'apprentissage mises à sa charge au titre des années 1978 à 1980.
Article 2 - L'assiette des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu au titre des années 1978 et 1979 est arrêtée à un montant respectivement de 109 003 F et 50 750 F. M. HARDY est déchargé de la différence entre les cotisations résultant de l'assiette sus-indiquée et les cotisations auxquelles il a été assujetti.
Article 3 - Le jugement du tribunal administratif d'ORLEANS du 17 mars 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles précédents.
Article 4 - Avant de statuer sur les conclusions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée il sera procédé, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, à un supplément d'instruction afin de permettre à l'administration de calculer les cotisations supplémentaires à la taxe sur la valeur ajoutée résultant de l'assujettissement au régime simplifié des exploitants agricoles des ventes des produits de l'exploitation du requérant pour la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1980 compte tenu de l'exclusion des bases taxables des années 1978 et 1979 des sommes respectivement de 109 003 F et 50 750 F.
Article 5 - Le présent arrêt sera notifié à M. Jacques HARDY et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.