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27/06/2023 | FRANCE | N°22NC00963

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 27 juin 2023, 22NC00963


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 29 mars 2021, la commune de Metz a demandé la condamnation de la société Soludec à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 218 448,30 euros au titre du marché conclu avec ladite société.

Par une ordonnance n° 2102184 du 6 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête présentée par la commune de Metz.

Procédure devant la cour :

Par une re

quête et un mémoire enregistrés respectivement les 19 avril 2022 et 3 mars 2023, la commune de Met...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée le 29 mars 2021, la commune de Metz a demandé la condamnation de la société Soludec à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 1 218 448,30 euros au titre du marché conclu avec ladite société.

Par une ordonnance n° 2102184 du 6 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête présentée par la commune de Metz.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement les 19 avril 2022 et 3 mars 2023, la commune de Metz, représentée par Me Nicolas Olszak, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de condamner la société Soludec à lui verser une provision de 1 218 448,30 euros au titre de sa dette résultant du décompte général et définitif de du marché conclu avec ladite société ;

3°) de mettre à la charge de la société Soludec la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière du fait de l'absence de prise en compte de ses conclusions produites postérieurement à la clôture d'instruction en réponse à des conclusions de la société Soludec produites la veille de cette clôture d'instruction ;

- le projet de décompte final, transmis par le titulaire du marché avant la notification du procès-verbal de réception avec réserves ou avant l'établissement du procès-verbal constatant l'exécution des travaux réceptionnés sous réserve, doit être regardé comme prématuré contrairement à ce qu'a considéré le premier juge ;

- elle justifie du caractère non sérieusement contestable de l'obligation et du montant de la créance.

Par des mémoires en défense, enregistrés respectivement les 16 septembre 2022 et 13 mars 2023, la société Soludec, représentée par Me Zimmer, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la commune de Metz ;

2°) de confirmer l'ordonnance du 6 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

Subsidiairement :

3°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt du Conseil d'Etat ;

En tout état de cause :

4°) de mettre à la charge de la commune Metz la somme de 2 500 euros à lui verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêt de la cour du 16 juin 2022 jugeant que la société Soludec a transmis le projet de décompte final de manière prématurée n'est pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, car il fait l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat ;

- en toute hypothèse, l'arrêt de la cour du 16 juin 2022 ne s'est pas prononcé sur la question du caractère définitif du décompte du 20 septembre 2015 qui reste à trancher ;

- le comportement adopté par la commune de Metz est en totale contradiction avec le principe de loyauté des relations contractuelles ;

- en conséquence, il appartient à la cour de rejeter la demande de la commune de Metz comme se heurtant à une contestation sérieuse, subsidiairement de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'une opération de construction d'une salle de musiques actuelles dénommée " La Boîte à Musique ", la commune de Metz a attribué le lot n° 1 " clos couverts et lots architecturaux " à la société Soludec. L'ouvrage a été réceptionné le 26 septembre 2014 avec de nombreuses réserves. Le 15 décembre 2014, la société Soludec a transmis son projet de décompte final à la commune. Le 27 janvier 2015, elle l'a mise en demeure de lui notifier le décompte général du marché. La commune n'ayant pas donné suite à cette mise en demeure, la société Soludec a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande, enregistrée sous le n° 1504187, tendant à ce que la collectivité soit condamnée à lui verser diverses sommes au titre du règlement définitif de son marché. Le 16 décembre 2015, le maire de la commune de Metz a émis à l'encontre de la société Soludec huit titres exécutoires en vue du recouvrement de sommes dues, selon elle, au titre de l'exécution de ce marché. La société Soludec a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une seconde demande, enregistrée sous le n° 1602389, tendant à l'annulation de ces titres exécutoires.

2. Après jonction des deux requêtes, par un jugement du 7 février 2018, le tribunal administratif a condamné la société Soludec à verser à la commune de Metz la somme de 647 158,64 euros HT au titre du solde du marché, annulé les titres exécutoires émis par la commune de Metz et rejeté le surplus des conclusions de la société. Par un arrêt du 22 décembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de la société Soludec et appel incident de la commune de Metz, annulé ce jugement en tant qu'il condamnait la société Soludec à verser à la commune de Metz la somme de 647 158,64 euros, rejeté le surplus des conclusions de la société et dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur l'appel incident de la commune. Par une décision n° 449395 du 10 novembre 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.

3. Par un arrêt n° 21NC02958 du 16 juin 2022, la cour a réexaminé la requête de la société Soludec et a annulé l'article 1er du jugement du 7 février 2018 du tribunal administratif de Strasbourg de Strasbourg condamnant la société Soludec à verser à la commune de Metz la somme de 647 158,64 euros HT au titre du solde du marché litigieux et rejeté la requête de la société Soludec. Par une décision n° 466711 du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi en cassation de la société Soludec tendant à l'annulation de l'arrêt du 16 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Nancy. Entre temps, la commune de Metz avait, le 29 mars 2021, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à condamner la société Soludec à lui verser une provision d'un montant de 1 218 448,30 euros au titre du solde du marché. Elle interjette appel de l'ordonnance du 6 avril 2022 rejetant sa demande.

Sur la demande de provision :

4. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut accorder le juge n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

5. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 8 septembre 2009, auquel renvoie l'article 2 du cahier les clauses administratives particulières du marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final (...) ". Selon l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus ". Selon l'article 13.4.2 du même cahier : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général./ Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général avant la plus tardive des deux dates ci-après :/ - quarante jours après la date de remise au maître d'œuvre du projet de décompte final par le titulaire ;/ (...)/ Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d'y procéder. L'absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord./ Si le décompte général est notifié au titulaire postérieurement à la saisine du tribunal administratif, le titulaire n'est pas tenu, en cas de désaccord, de présenter le mémoire en réclamation mentionné à l'article 50.1.1. ". Aux termes de l'article 41.3 du même cahier : " Au vu du procès-verbal des opérations préalables à la réception et des propositions du maître d'œuvre, le maître de l'ouvrage décide si la réception est ou non prononcée ou si elle est prononcée avec réserves. S'il prononce la réception, il fixe la date qu'il retient pour l'achèvement des travaux. La décision ainsi prise est notifiée au titulaire dans les trente jours suivant la date du procès-verbal. / La réception prend effet à la date fixée pour l'achèvement des travaux (...) ". Aux termes de son article 41.5 : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41.2 ". Selon son article 41.6 : " Lorsque la réception est assortie de réserves, le titulaire doit remédier aux imperfections et malfaçons correspondantes dans le délai fixé par le représentant du pouvoir adjudicateur ou, en l'absence d'un tel délai, trois mois avant l'expiration du délai de garantie défini à l'article 44.1 (...) ". Selon son article 50.1.1 : " Si un différend survient entre le titulaire et le maître d'œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation. Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d'œuvre. Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général. Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif ". Enfin, selon son article 50.3 : " A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. Pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché, le titulaire dispose d'un délai de six mois, à compter de la notification de la décision prise par le représentant du pouvoir adjudicateur en application de l'article 50.1.2, ou de la décision implicite de rejet conformément à l'article 50.1.3, pour porter ses réclamations devant le tribunal administratif compétent. Passé ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette décision et toute réclamation est irrecevable ".

6. D'une part, par un arrêt n° 21NC02958 du 16 juin 2022, devenu définitif, la cour a estimé que la transmission par la société Soludec de son projet de décompte final était prématurée puisqu'opérée à une date à laquelle la réception n'était pas encore intervenue, de même qu'était prématuré l'envoi le 27 janvier 2015 à la commune de Metz de la mise en demeure d'établir le décompte. La cour a, en conséquence, considéré que la demande présentée par la société Soludec devant le tribunal administratif était irrecevable et l'a rejetée.

7. D'autre part, l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties.

8. Il résulte de l'instruction que la commune de Metz a établi un décompte général le 15 septembre 2015, reçu le 8 octobre 2015 par la société Soludec. Ce décompte général fait ressortir un solde de 1 613 174,73 euros TTC en sa faveur. En l'absence de réclamation régulièrement formée par la société Soludec, ce décompte général est devenu définitif, et compte tenu du rejet de la contestation opposée par la société Soludec devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat, la créance de la commune de Metz apparaît comme non sérieusement contestable dans son principe au sens des dispositions citées au point 4. Il suit de là que la commune de Metz est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de provision. Cette ordonnance doit, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité, être annulée. Il convient, en conséquence, d'accorder la provision demandée, dont le montant correspond à celui du décompte, après déduction du règlement opéré par la société générale de la garantie à première demande au titre des réserves (364 310,33 euros) et d'une facture non réglée (30 415,69 euros).

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Metz, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Soludec au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Soludec la somme de 3 000 euros que sollicite la commune de Metz au même titre.

ORDONNE

Article 1er : L'ordonnance n° 2102184 du 6 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La société Soludec est condamnée à verser à la commune de Metz une provision de 1 218 448,30 euros.

Article 3 : La société Soludec versera à la commune de Metz la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Soludec formulées au titre du même article sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Soludec et à la commune de Metz.

La présidente de la Cour,

Signé : S. Favier

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 22NC00963


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 22NC00963
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SELARL SOLER-COUTEAUX ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-27;22nc00963 ?
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