Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Ateliers bois a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) des Ardennes à lui verser une provision d'un montant de 210 578,77 euros correspondant au solde du lot n° 2 " Charpente métallique galvanisée " du marché de construction d'un bâtiment de stockage implanté sur le port fluvial de Givet.
Par une ordonnance n° 2102262 du 29 novembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a condamné la CCI des Ardennes à verser, à titre de provision, à la société Ateliers bois la somme de 210 578,77 euros TTC, assortie des intérêts à compter du trentième jour suivant l'intervention du décompte général et définitif du marché en litige, dans les conditions déterminées par l'article 10.3 du CCAP dudit marché, et d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement d'un montant de 40 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 décembre 2021, la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes, représentée par Me Mayolet, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 29 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) de rejeter les demandes de la société Ateliers Bois ;
3°) de mettre à la charge de la société Ateliers bois une somme de 1 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, tant au titre de la première instance que de l'instance d'appel.
Elle soutient que :
- il appartenait à la société Ateliers bois de notifier le projet de décompte final au représentant du pouvoir adjudicateur et au maître d'œuvre conformément aux dispositions de l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux ;
- le maître d'œuvre lui a indiqué ne pas avoir été destinataire d'un tel projet de décompte final ;
- les éléments produits par la société Atelier bois ne suffisent pas à établir avec certitude que le projet de décompte final a bien été adressé au maître d'œuvre ;
- les projets de décompte final et général et définitif produits par la société bois n'ont pas été signés par son représentant légal ;
- il n'est pas justifié que le signataire de ces documents avait, en application de l'article 3.4.1 du CCAG travaux, le pouvoir d'engager la société Atelier bois à l'égard des tiers ;
- aucun décompte général et définitif ne peut être intervenu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2022, la société Atelier bois, représentée par Me Barberousse, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes ;
2°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'articles L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a adressé, le 18 décembre 2020, son projet de décompte final à la CCI des Ardennes et au maître d'œuvre, la société l'Atelier matières d'architectures ;
- ce projet de décompte final faisait apparaître un montant total du marché de 421 558,98 euros HT, du fait des études et travaux supplémentaires réalisés à hauteur de 173 332,98 euros H.T ; le solde rentant dû s'élevait à 217 251,08 euros TTC, outre 6 272,80 euros d'actualisation des prix ;
- ces transmissions n'ayant suscité aucune réaction, elle a présenté, le 27 janvier 2021, à la CCI et au maître d'œuvre son projet de décompte général ;
- la CCI ne lui a notifié un décompte général du marché, qui ne retenait aucun des travaux supplémentaires, faisant apparaître un solde de 6 672,31 euros, actualisation du prix inclus que le 25 février 2021, soit plus de 10 jours après l'envoi du projet ;
- la CCI a rejeté le 15 avril 2021, le mémoire de réclamation qu'elle avait présenté ;
- elle produit les lettres de transmission de ses projets de décompte final et de décompte général, ainsi que les certificats de dépôt et accusés de réceptions de ces envois, alors que la CCI fait valoir, pour la première fois en appel, que le maître d'œuvre lui aurait indiqué ne pas avoir été destinataire du projet de décompte final sans pour autant produire le moindre écrit de la part de ce dernier ;
- il appartient à la CCI d'établir que les envois remis à la maîtrise d'œuvre auraient contenu des documents autres que ceux annoncés ;
- dans la mesure où il n'est pas contesté que les projets de décompte émanaient bien de la société Ateliers bois, opérateur économique ayant conclu le marché avec la CCI, la contestation tirée du signataire de ces documents est inopérante ;
- elle bénéficie d'un décompte général définitif tacite intervenu le 11 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. En 2018, la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes a, dans le cadre du développement de l'activité économique fluviale de Givet, décidé d'édifier un nouveau bâtiment de stockage dans l'emprise du port. La maîtrise d'œuvre du projet a été confiée à la société Ateliers matières d'architectures. Le lot n° 2 " Charpente métallique galvanisée " a été attribué, par acte d'engagement notifié le 15 novembre 2018, à la société Ateliers bois pour un montant forfaitaire de 297 871,20 euros TTC. La chambre de commerce et d'industrie fait appel de l'ordonnance du 29 novembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'a condamnée, sur demande de la société Ateliers bois, à verser une provision de 210 578,77 euros TTC en règlement du solde du marché.
Sur la demande de provision :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.
3. D'une part, aux termes de l'article 13.3 du cahier des clauses administratives générales Travaux (CCAG Travaux) applicable au marché : " Demande de paiement finale : 13.3.1. Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées. Le projet de décompte final est établi à partir des prix initiaux du marché, comme les projets de décomptes mensuels, et comporte les mêmes parties que ceux-ci, à l'exception des approvisionnements et des avances. Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l'article 13.1.7 s'ils n'ont pas été précédemment fournis. Le titulaire est lié par les indications figurant au projet de décompte final / 13.3.2. Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir
adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 (...). ". D'autre part, aux termes de l'article 13.4 du CCAG Travaux : " décompte général - solde :(...) / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. / (...) / 13.4.4. Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : / - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; /- du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. ".
4. Il résulte de l'instruction que les travaux du lot n° 2 ont été réceptionnés sans réserve le 4 décembre 2020. Le 18 décembre 2020, la société Atelier bois a adressé son projet de décompte final faisant apparaître un montant total du marché de 421 558,98 euros H.T., majoré par rapport au montant initial en raison d'études supplémentaires d'un montant de 173 332,89 euros H.T. Le 27 janvier 2021, soit à l'expiration du délai de 30 jours à compter de la date de la réception de ce projet de décompte final, la société Atelier bois a, en application des stipulations citées au point 3 de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux, adressé un projet de décompte général à la chambre de commerce et d'industrie et au maître d'œuvre. Ces envois ont été réceptionnés le 1er février 2021. Le maître d'ouvrage n'ayant transmis à l'entreprise son propre décompte général que le 25 février 2021, soit, au-delà du délai de 10 jours prévu par l'article 13.4.4 du CCAG Travaux, la société Atelier Bois a estimé que le projet de décompte général qu'elle avait dressé était devenu tacitement, le 11 février 2021, le décompte général définitif du marché, et ce, bien qu'elle ait parallèlement émis un mémoire de réclamation en réponse au décompte général établi tardivement par le maître d'ouvrage, réclamation rejetée par ce dernier le 15 avril 2021.
5. Pour contester la naissance d'un décompte général tacite, la chambre de commerce et d'industrie fait, en premier lieu, valoir que le projet de décompte final devait être adressé simultanément au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre et que la société Atelier Bois n'établissait pas, par la seule production d'un accusé de réception postal, l'avoir envoyé au maître d'œuvre, qui lui-même affirmait n'avoir rien reçu. Il ressort toutefois des pièces du dossier qu'un courrier du 18 décembre 2020 accompagnant le projet de décompte final a été établi par la société Atelier Bois à l'adresse de la société Atelier matières d'architectures, simultanément avec celui que la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes, maître d'ouvrage, ne conteste pas avoir reçu, et que ce courrier mentionnait une référence " LR+AR 1 A 185 398 4356 2 ", correspondant à celle des documents postaux également produits et attestant d'un envoi le 18 décembre 2021, puis d'une réception par la société Atelier
matières d'architectures le 21 décembre 2021. Dans ces conditions, et en l'absence de toute production susceptible de remettre en cause la réalité ou le contenu de l'envoi, la condition prévue à l'article 13.3.2. du CCAG travaux tenant à l'envoi simultané du projet de décompte au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre doit être regardée comme étant remplie.
6. La chambre de commerce et d'industrie conteste également, et en second lieu, la validité des projets de décompte final puis général établis par la société Atelier bois au motif qu'ils auraient été signés par une personne du service comptabilité qui ne justifiait pas de sa capacité à engager l'entreprise dans les conditions prévues à l'article 3.4.1 du CCAG travaux. Toutefois, ces projets, ont été adressés par courrier à entête de la société Ateliers bois et ne présentaient aucune ambiguïté sur leur origine ou leur objet. Leur établissement ne nécessitait nullement que leur signataire justifie disposer de pouvoirs suffisants pour engager le titulaire vis-à-vis du pouvoir adjudicateur au sens des stipulations de cet article 3.4.1. Dans ces conditions, ces documents constituaient valablement les projets de décompte final puis général, réceptionnés par leurs destinataires les 21 décembre 2020 et 1er février 2021, à la suite duquel, s'agissant du projet de décompte général, le pouvoir adjudicateur n'a pas transmis à l'entreprise son propre décompte général dans le délai de 10 jours prévu à l'article 13.4.4 du CCAG travaux. Ainsi, la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a considéré que le projet de décompte général de la société Atelier bois était devenu tacitement le décompte général définitif le 11 février 2021, et l'a, en conséquence, condamnée à verser à la société Ateliers Bois une provision d'un montant non sérieusement contestable, ni dans son principe, ni dans son montant, de 210 578,77 euros TTC, correspondant au solde du marché à régler figurant dans le décompte général devenu tacitement définitif, déduction faite de la somme versée à l'entreprise le 14 avril 2021 par le maître d'ouvrage.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Ateliers bois, qui n'est la partie perdante ni en première instance, ni dans l'instance d'appel, les sommes que la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette dernière la somme de 1 500 euros à verser à la société Ateliers bois, sur le fondement des mêmes dispositions.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes est rejetée.
Article 2 : La chambre de commerce et d'industrie des Ardennes versera à la société Ateliers bois une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la chambre de commerce et d'industrie des Ardennes et à la société Ateliers bois.
La présidente de la Cour
Signé : Sylvie Favier.
La République mande et ordonne au préfet des Ardennes, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
A. Siffert
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N° 21NC03286