Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon :
- par une requête enregistrée sous le n° 1601414 de condamner la société Demathieu Bard Construction à lui verser, à titre de provision, une somme de 2 450 050,38 euros TTC au titre de l'excédent de dépenses résultant de la passation d'un marché de travaux de substitution d'une partie du marché de conception-réalisation conclu le 7 janvier 2011 ayant pour objet la construction d'un bâtiment regroupant l'institut régional fédératif du cancer (IRFC) et des laboratoires du CHRU.
- par une requête enregistrée sous le n° 1700227, de condamner la société Demathieu Bard Construction à lui verser, à titre de provision, une somme de 730 064,38 euros TTC correspondant au montant de l'avance forfaitaire versée le 26 avril 2011 pour l'exécution du marché de conception-réalisation conclu le 7 janvier 2011.
Par une ordonnance n° 1601414 - 1700227 du 5 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2018, et des mémoires enregistrés les 25 janvier et 1er mars 2019, le CHRU de Besançon, représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 5 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon ;
2°) de condamner la société Demathieu Bard Construction à lui verser, à titre de provision une somme de 2 450 050,38 euros TTC au titre de l'excédent de dépenses résultant de la passation d'un marché de travaux pour l'exécution aux frais et risques d'une partie du marché du groupement ;
3°) de condamner la société Demathieu Bard Construction à lui verser une provision de 730 064,38 euros au titre de l'avance forfaitaire versée le 26 avril 2011 ;
4°) de mettre à la charge de la société Demathieu Bard Construction une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce que soutient la société Demathieu Bard Construction, aucun mode constructif pour les fondations n'était imposé ;
- la décision d'exécution aux frais et risques a été reconnue régulière et bien fondée par les juridictions saisies ;
- les fondations mises en oeuvre par le groupement Verrazzi-Campenon Bernard Franche-Comté l'ont été pour un coût sensiblement identique à celui des fondations qui auraient été effectuées par le sous-traitant retenu par la société Demathieu Bard Construction ;
- les concepteurs du marché de conception réalisation, déjà chargés de la direction de l'exécution des travaux, ont continué leur mission, aucun autre marché de maîtrise d'oeuvre n'a été passé ;
- la société Demathieu Bard Construction a été mise à même de suivre l'exécution du marché de substitution ;
- il a systématiquement adressé à la société Demathieu Bard Construction l'ensemble des comptes-rendus et documents de chantier afin de la mettre en situation de suivre l'exécution du nouveau marché ;
- le décompte final dont se prévaut la société Demathieu Bard Construction est tout sauf certain ;
- les demandes réclamatoires de la société Demathieu Bard Construction sont, pour la plupart, forcloses ou irrecevables avant d'être infondées ;
- les sommes dues, au titre de l'excédent de dépenses lié à la décision d'exécuter une partie du marché aux frais et risques, d'une part, et à l'avance forfaitaire, d'autre part, sont incontestablement dues et ne sont pas sérieusement contestables ;
- l'écart mis en avant par le premier juge entre l'estimation des prestations réalisées respectivement faite par le centre hospitalier et l'entreprise ne saurait justifier un rejet intégral de sa demande ;
- le premier juge n'avait pas à revenir sur le montant des pénalités qu'il avait infligées à l'entreprise ;
- le décompte général notifié à la société Demathieu Bard Construction fait ressortir un excédent de dépenses mis à sa charge de 5 390 029,70 euros TTC ;
- le montant du marché passé avec le groupement Verrazzi-Campenon Bernard Franche-Comté est de 41 396 675 euros HT, valeur novembre 2012 ;
- il est finalement fondé à demander que lui soit versée, à titre de provision, la somme de 898 338,28 euros de TVA et 1 551 712,10 euros HT d'excédent de dépenses ;
- rien ne justifie que la société Demathieu Bard Construction conserve l'avance forfaitaire qu'elle a reçue en 2011.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 novembre 2018 et 12 février 2019, la société Demathieu Bard Construction, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du CHRU de Besançon ;
2°) de confirmer l'ordonnance attaquée ;
3°) de mettre à la charge du CHRU de Besançon le paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si le juge des référés du tribunal administratif lui a accordé une expertise portant sur les comptes entre les parties, confirmée dans son principe par le juge des référés de la cour administrative d'appel, c'est nécessairement parce que les créances entre ces parties se heurtent à des contestations sérieuses ;
- l'arrêt du 19 avril 2016 de la cour administrative d'appel de Nancy ne la prive pas de contester les effets de la mise en régie afin de ne pas supporter injustement les surcoûts d'exécution du marché du groupement s'étant substitué à elle et elle peut en contester le bien-fondé et la régularité de cette sanction à des fins indemnitaires ;
- il est considéré que lorsque le marché de substitution est différent du contrat initial, le maître de l'ouvrage ne peut faire supporter au titulaire les frais et risques de la mesure coercitive ;
- la différence entre les deux marchés résulte d'un manquement du maître de l'ouvrage à ses obligations ;
- le changement du processus de réalisation de l'ouvrage empêche le maître de l'ouvrage de lui faire supporter les conséquences onéreuses de la mise en régie ;
- elle est seule à supporter les conséquences d'une mise en régie alors que les manquements relevaient de missions de conception qui ne lui incombaient pas au sein du groupement de conception-réalisation ;
- le quantum des surcoûts est erroné ;
- les provisions sollicitées par le CHRU sont contestables en raison des sommes qu'elle réclame elle-même dans le cadre de la procédure de décompte final ;
- les provisions sollicitées en raison de la contestation des pénalités " études " et " travaux " infligées sont contestables en ce qu'elles sont non fondées et excessives ;
- le CHRU a déjà bénéficié d'une somme globale de 5 269 263,72 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 7 janvier 2011, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon a confié à un groupement d'entreprises composé de la SA Demathieu et Bard, mandataire, et des sociétés AIA Architectes Ingénieurs Associés, AIA Architectes, AIA Ingénierie et Philippe Donze, la conception et la réalisation d'un bâtiment destiné à regrouper l'institut régional fédératif du cancer et ses laboratoires pour un montant global et forfaitaire de 47 454 184,42 euros TTC. La phase de conception du marché a débuté le 7 janvier 2011 pour s'achever le 16 novembre 2011, date à laquelle devait commencer la phase de réalisation. Lors de l'exécution des travaux, la société Demathieu et Bard, estimant être confrontée à des sujétions techniques imprévues, a, par courrier du 22 mars 2012, demandé au maître d'ouvrage de prendre en charge l'incidence financière de ces sujétions. Le CHRU ayant rejeté cette demande, l'entreprise a, en dépit de la mise en demeure qui lui avait été adressée le 30 mai 2012, refusé de reprendre les travaux qu'elle avait arrêtés dans l'attente de la décision du CHRU. Ce dernier a décidé, le 28 juin 2012, de faire exécuter aux frais et risques du groupement attributaire la partie du marché relative aux phases 7 " Etudes d'exécution et de synthèse ", 9 " Ordonnancement, pilotage et coordination des études et des travaux ", 10 " Réalisation des travaux " et 11 " Essais, établissement du dossier des ouvrages exécutés ". Ces travaux ont été confiés à l'entreprise générale Verazzi-Campenon Bernard Franche-Comté, par un marché du 23 janvier 2013, pour un montant de 49 510 423, 30 euros TTC.
2. Entretemps, et pour sanctionner le retard de l'entreprise dans l'exécution des travaux de fondations et de construction du local témoin, un ordre de service n° 12 du 20 juillet 2012 a mis à la charge de celle-ci des pénalités d'un montant de 2 466 247,92 euros. Le même jour, un ordre de service n° 13 a mis à sa charge des pénalités d'un montant de 1 131 200 euros au titre du retard dans la remise des plans d'exécution des niveaux R-2, R-1 et RDC ainsi que des travaux de synthèse R-2, R-1 et RDC.
3. Par jugement du 19 juin 2014, le tribunal administratif de Besançon a, d'une part, rejeté la demande de dommages-intérêts, présentée au fond par la SA Demathieu et Bard, liée à la mesure coercitive mise en oeuvre à son encontre et, d'autre part, rejeté ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser le solde du marché et à la décharge des pénalités en se fondant sur l'absence de décompte général et définitif du marché. Il a également rejeté, pour le même motif, les conclusions reconventionnelles du centre hospitalier tendant à la condamnation de la SA Demathieu et Bard au versement des pénalités de retard et à une somme correspondant aux excédents des dépenses engagées pour la conclusion du marché de substitution. Par arrêt du 19 avril 2016, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête de la société Demathieu et Bard tendant à l'annulation de ce jugement.
4. Par une ordonnance du 19 juillet 2016, confirmée par une ordonnance du 3 février 2017 du juge des référés de cette cour, devenue définitive, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a condamné la société Demathieu Bard Construction à verser une provision de 5 269 263,72 euros HT au CHRU de Besançon, somme correspondant, d'une part, à la part des dépenses des travaux de fondations et de gros oeuvre résultant de l'exécution du marché de substitution, à hauteur de 2 939 979,32 euros HT et, d'autre part, à hauteur de 2 329 644,40 euros HT, à des pénalités pour non remise de documents et retard de livraison.
5. Par ailleurs, le CHRU a notifié, le 28 juillet 2016, à la société Demathieu Bard Construction, venant aux droits de la SA Demathieu et Bard, le décompte général du marché présentant un solde négatif de 13 902 871,50 euros HT, soit 16 229 691 euros TTC. L'entreprise a contesté ce décompte par un mémoire en réclamation du 13 septembre 2016 qui a été rejeté le 13 octobre 2016 par le maître d'ouvrage. Par une requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Besançon le 11 avril 2017, la société Demathieu Bard Construction a demandé la condamnation du CHRU de Besançon à lui verser la somme de 7 391 718,58 euros HT dans le cadre du règlement du marché.
6. Par ordonnance du 16 janvier 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, à la demande de la société Demathieu Bard construction, prescrit une expertise sur plusieurs points techniques résultant du décompte général arrêté par le maître d'ouvrage, dont le principe a été homologué en appel, mais dont la mission confiée à l'expert a été partiellement censurée.
7. Enfin, par une requête enregistrée le 1er septembre 2016 au greffe du tribunal administratif de Besançon, le CHRU de Besançon a saisi le juge des référés de demandes tendant à condamner la société Demathieu Bard Construction à lui verser, d'une part, une provision de 2 450 050,38 euros TTC au titre de l'excédent de dépenses résultant de la passation du marché de substitution et, d'autre part, une provision de 730 064,38 euros TTC correspondant au montant de l'avance forfaitaire versée pour l'exécution du marché. Le CHRU fait appel de l'ordonnance du 5 septembre 2018 rejetant ces demandes.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
8. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, afin de se conformer aux finalités et aux impératifs de cette procédure nécessitant une décision rapide et nonobstant le caractère provisoire de celle-ci, d'apprécier, en fonction des éléments dont il dispose, si l'obligation du débiteur éventuel de la provision présente un degré suffisant de certitude, après avoir notamment vérifié que les moyens soulevés par le défendeur relatifs au bien-fondé de cette obligation n'apparaissent pas de nature à soulever une question présentant une difficulté sérieuse.
9. Si l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l'établissement du décompte définitif, détermine les droits et obligations définitifs des parties, cette règle ne fait toutefois pas obstacle, eu égard notamment au caractère provisoire d'une mesure prononcée en référé, à ce qu'il soit ordonné à l'une des parties au marché de verser à son cocontractant une provision au titre d'une obligation non sérieusement contestable lui incombant dans le cadre de l'exécution du marché, alors même que le décompte général et définitif n'aurait pas encore été établi. Cependant, dès lors que le décompte général a été notifié à l'entreprise, toute demande de provision portant sur l'un des éléments dudit décompte met nécessairement en cause l'ensemble du décompte et le caractère non sérieusement contestable de la créance ne peut s'apprécier qu'eu égard au solde dudit décompte qui constitue la limite générale des droits financiers des parties.
10. Il résulte de l'instruction que le 20 juin 2016, la société Demathieu et Bard a transmis au CHRU son projet de décompte final présentant, à son profit, un solde total dû au titre du marché de 10 161 088,83 euros dont 3 086 499,85 euros HT (révision des prix comprise) au titre de l'exécution du marché de base. Le 28 juillet 2016, le maître d'ouvrage a notifié à la société Demathieu Bard Construction, venant aux droits de la SA Demathieu et Bard, le décompte général du marché présentant un solde négatif de 13 902 871,50 euros HT, soit 16 229 691 euros TTC. L'entreprise a contesté ce décompte par un mémoire en réclamation du 13 septembre 2016, chiffrant ses réclamations à la somme de 7 391 718,59 euros HT, qui a été rejeté le 13 octobre 2016 par le maître d'ouvrage.
11. La société Demathieu et Bard Construction a saisi au fond le juge du contrat aux fins de déterminer les comptes des parties et d'arrêter le solde du marché, à son profit, à la somme de 7 391 7018,59 euros HT, soit 8 870 062,31 euros TTC. La provision que sollicite le CHRU, pour un montant de 3 180 114,76 euros, est composée, d'une part, du reliquat de l'excédent des dépenses résultant de la passation du marché de substitution pour un montant de 1 551 712,10 euros HT, soit 2 450 050,38 euros TTC, compte tenu de la provision de 2 939 979,32 euros HT déjà accordée à ce titre par l'ordonnance du 19 juillet 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Besançon devenue définitive et, d'autre part, du remboursement de l'avance forfaitaire que l'établissement hospitalier avait versée à l'entreprise, le 23 avril 2011, pour un montant de 730 064,38 euros.
12. Il apparait que l'écart existant entre le solde du marché réclamé par la société Demathieu Bard Construction dans son décompte final et celui arrêté par le CHRU dans le décompte général est particulièrement important. En outre, de nombreuses divergences opposent les parties, qui portent sur des sommes restant dues au titre de prestations réalisées par l'entreprise dans le cadre du marché de base, des avenants et des ordres de service notifiés par le maitre d'ouvrage, sur des demandes de rémunération complémentaire présentées par l'entreprise, sur l'existence d'éventuelles fautes commises par les autres membres du groupement d'entreprises et par le maître d'ouvrage, sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé le suivi de l'exécution du marché de substitution, enfin sur les pénalités de retard infligées à la société Demathieu et Bard pour un montant de 10 211 185,95 euros. Dans ces conditions, l'établissement du solde définitif du décompte général ne peut être apprécié, en l'état du dossier, avec un degré suffisant de certitude et présente, en l'espèce, une difficulté sérieuse ne permettant pas de faire regarder les créances dont se prévaut le CHRU de Besançon comme non sérieusement contestables.
13. Il résulte de ce qui précède que le CHRU de Besançon n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Demathieu Bard Construction, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par le CHRU de Besançon et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Demathieu Bard Construction présentées sur le même fondement.
ORDONNE :
Article 1er : La requête du CHRU de Besançon est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Demathieu Bard Construction présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier régional universitaire de Besançon et la société Demathieu Bard Construction.
Fait à Nancy, le 7 juin 2019
La présidente de la Cour
Signé : Françoise Sichler
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
Le Greffier,
2
18NC02534