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14/11/2018 | FRANCE | N°18NC02750

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 14 novembre 2018, 18NC02750


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SPIE Batignolles Est a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de prescrire une expertise en vue de recenser les points qui lui sont opposés par l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-LISA) pour refuser la réception des travaux exécutés par elle dans le cadre d'un marché conclu le 10 juin 2015 et donner son avis technique sur ces points.


Par une ordonnance n°1805426 du 26 septembre 2018, le juge des référés du tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SPIE Batignolles Est a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de prescrire une expertise en vue de recenser les points qui lui sont opposés par l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-LISA) pour refuser la réception des travaux exécutés par elle dans le cadre d'un marché conclu le 10 juin 2015 et donner son avis technique sur ces points.

Par une ordonnance n°1805426 du 26 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 octobre 2018, l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-LISA), représentée par MeD..., demande à la cour :

A titre principal :

1°) d'annuler l'ordonnance du 26 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

A titre subsidiaire :

2°) de réformer l'ordonnance du 26 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'elle définit les missions confiées à l'expert ;

3°) de décider que les frais d'expertise seront avancés intégralement par la société SPIE Batignolles Est ;

4°) de mettre à la charge de la société SPIE Batignolles Est une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaître du litige qui lui est soumis ;

- la juridiction administrative est en principe incompétente pour connaître des litiges provoqués par des actes ou des actions imputables à des organisations internationales ;

- le contrat qu'elle a conclu avec la société SPIE Batignolles Est est, en tout état de cause, un contrat de droit privé ;

- l'ordonnance attaquée a été prise à la suite d'une procédure méconnaissant le principe du contradictoire ;

- la mission confiée à l'expert doit être modifiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2018, la société SPIE Batignolles Est, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel l'EU-LISA, avec toutes conséquences de droit ;

2°) de réformer l'ordonnance attaquée en modifiant la mission de l'expert prévue au 1° de son article 1er ;

3°) de mettre à la charge de L'EU-Lisa une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge du référé expertise ne peut rejeter sa compétence que dans la mesure où le litige auquel il est soumis est manifestement insusceptible de se rattacher à la compétence de la juridiction administrative ;

- la responsabilité contractuelle de l'UE-LISA est régie par la législation applicable au contrat litigieux ;

- le contrat qui la lie à l'UE-Lisa étant silencieux sur ce point de la législation applicable, il y a lieu de faire application des critères jurisprudentiels pour permettre de déterminer la nature administrative ou privée du contrat ;

- l'UE-LISA ne peut se plaindre d'une méconnaissance du principe du contradictoire dans la mesure où elle n'a pas fait valoir ses observations dans le délai qui lui avait été imparti en première instance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1077/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par contrat de conception détaillée et de réalisation signé le 10 juin 2015, l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (EU-LISA), organe de l'Union européenne, a confié à la société SPIE Batignolles Est un marché de travaux à forfait aux fins de réalisation, dans un ensemble immobilier dont elle est propriétaire à Strasbourg, d'études et travaux de démolition, construction, réhabilitation de plusieurs bâtiments. L'EU-LISA ayant refusé de réceptionner les travaux, la société SPIE Batignolles Est a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à prescrire une expertise en vue de recenser les points qui lui sont opposés par l'Agence pour refuser cette réception et donner son avis technique sur ces points. L'EU-LISA fait appel de l'ordonnance du 26 septembre 2018 par laquelle le juge des référés a fait droit à cette demande.

2. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. ".

3. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription.

4. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " Les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs ". Aux termes de l'article 14 de la même ordonnance : " Sous réserve des dispositions applicables aux marchés de défense ou de sécurité prévues à l'article 16, la présente ordonnance n'est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui présentent les caractéristiques suivantes : (...) 13° Les marchés publics qui sont conclus : / a) Selon la procédure propre à une organisation internationale lorsque le marché public est entièrement financé par cette organisation internationale ; / b) Selon la procédure convenue entre une organisation internationale et l'acheteur lorsque le marché public est cofinancé majoritairement par cette organisation internationale (...) ".

5. En premier lieu, l'EU-LISA, organe de l'Union européenne doté de la personnalité juridique, a le caractère d'une organisation internationale. Dès lors, en application des dispositions précitées du 13° de l'article 14 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, le contrat qu'elle a passé avec la société SPIE Batignolles Est n'est pas un contrat administratif par détermination de la loi.

6. En deuxième lieu, en vertu de l'article 24 du règlement (UE) n° 1077/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 portant création de l'EU-LISA, la responsabilité contractuelle de l'agence est régie par la législation applicable au contrat en question. Aux termes de l'article 15 du contrat litigieux : Loi applicable - Attribution de juridiction : "Le présent contrat est régi par la loi française. / Tout litige ou toute contestation auquel le présent contrat pourrait donner lieu, tant pour sa validité ou son interprétation que pour son exécution, même en cas de pluralité de défenseurs et d'appels en garantie, est soumis au tribunal de commerce de Strasbourg ".

7. Alors même que cet article 15 mentionne, de manière erronée, la compétence du tribunal de commerce de Strasbourg, les parties doivent être regardées comme ayant contractuellement décidé de confier à la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire les litiges nés de l'exécution du contrat les liant.

8. En troisième et dernier lieu, il n'est ni établi, ni même allégué, que le contrat litigieux comporterait des clauses exorbitantes de droit commun.

9. Il résulte de ce qui précède que le litige opposant l'EU-LISA et la société SPIE Batignolles Est, dans le cadre de l'exécution du contrat de conception détaillée et de réalisation, signé le 10 juin 2015, ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité de l'ordonnance attaquée, l'UE-LISA est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 26 septembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande d'expertise présentée par la société SPIE Batignolles Est.

10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande d'expertise de cette dernière et de la rejeter, pour les motifs précédemment exposés, comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'UE-LISA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que réclame la société SPIE Batignolles Est au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société SPIE Batignolles Est, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 1 500 euros à verser à l'UE-LISA.

ORDONNE :

Article 1er : L'ordonnance du 26 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La demande de la société SPIE Batignolles Est est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaitre.

Article 3 : La société SPIE Batignolles Est versera à l'UE-LISA une somme de 1 500 euros (mille cinq cent euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice et à la société SPIE Batignolles Est. Copie en sera adressée à M. B... A..., expert.

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18NC02750


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 18NC02750
Date de la décision : 14/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : UGGC AVOCATS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2018-11-14;18nc02750 ?
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