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16/05/2012 | FRANCE | N°12NC00040

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 16 mai 2012, 12NC00040


Vu la requête, enregistrée le 6 janvier 2012, présentée pour M. Abderrahmane A, demeurant au centre de rétention, 2 rue du chemin vert à Metz (57070), par Me Werthe ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1106053 en date du 6 décembre 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du préfet du Doubs du 14 juin 2011 en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination et, d'autre part, de l'arrêté

du 1er décembre 2011 par lequel le préfet du Doubs l'a placé en rétention dan...

Vu la requête, enregistrée le 6 janvier 2012, présentée pour M. Abderrahmane A, demeurant au centre de rétention, 2 rue du chemin vert à Metz (57070), par Me Werthe ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1106053 en date du 6 décembre 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du préfet du Doubs du 14 juin 2011 en tant qu'il l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination et, d'autre part, de l'arrêté du 1er décembre 2011 par lequel le préfet du Doubs l'a placé en rétention dans un local non pénitentiaire pour une durée de cinq jours ;

2°) d'annuler les décisions l'obligeant à quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et ordonnant son placement en rétention administrative ;

3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

M. A soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé s'agissant de la décision de placement en rétention ;

- sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 14 juin 2011 n'était pas tardive dès lors que la circonstance que le pli recommandé lui notifiant ledit arrêté a été retourné à la préfecture avec la mention " non réclamé " ne suffit pas à démontrer qu'il aurait été informé que le pli était à sa disposition au bureau de poste ;

- il était fondé à exciper de l'illégalité de l'arrêté du 14 juin 2011, lequel n'était pas devenu définitif, pour contester la légalité de l'arrêté du 1er décembre 2011 le plaçant en rétention administrative ;

- il a été contraint de quitter le domicile conjugal en raison de l'attitude de son épouse de sorte qu'un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " aurait dû lui être délivré pour des raisons humanitaires en raison des circonstances particulières ayant entraîné la rupture de la communauté de vie ;

- il a démontré sa volonté et ses capacités d'intégration dans la société française ;

Vu le jugement et les arrêtés attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 février 2012, présenté par le préfet du Doubs, qui conclut à ce que le jugement attaqué soit confirmé et à ce que M. A soit débouté de ses demandes ; le préfet du Doubs soutient que :

- l'arrêté préfectoral du 14 juin 2011 est réputé avoir été notifié le 18 juin 2011, jour de la présentation du pli au domicile de M. A avant qu'il ne soit retourné avec la mention " non réclamé ", de sorte que la demande en annulation dudit arrêté, présentée au Tribunal le 28 septembre 2011, est tardive ;

- sa décision de placement en rétention, laquelle vise les textes dont il est fait application et mentionne les faits qui la fondent, est suffisamment motivée ;

- le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 14 juin 2011 est irrecevable ;

- il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. A dès lors que l'intéressé ne démontre pas que la rupture de la communauté de vie est due à des violences et qu'il ne réside en France que depuis deux ans ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 6 mars 2012, présenté pour M. A, par Me Werthe, qui persiste dans ses premières conclusions ; M. A soutient que le Tribunal administratif de Besançon, qui a statué sur la décision de refus de séjour sans examiner la recevabilité des conclusions en annulation, n'a pas considéré sa requête comme tardive ;

Vu, en date du 19 janvier 2012, la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle admettant M. A au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables aux Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser, sur sa proposition, le rapporteur public de prononcer des conclusions à l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 avril 2012 :

- le rapport de Mme Piérart, président de la Cour ;

Considérant que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. CHIAMDI dirigée contre la décision du préfet du Doubs du 14 juin 2011 portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi et contre l'arrêté du 1er décembre 2011 ordonnant son placement en rétention administrative ;

Sur les conclusions relatives à l'arrêté du 14 juin 2011 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire et fixe le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 775-1 du code de justice administrative alors en vigueur, applicable au contentieux des décisions relatives au séjour assorties d'une obligation de quitter le territoire français prises antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2011-819 du 8 juillet 2011 : " Les requêtes dirigées contre les décisions relatives au séjour mentionnées au I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile assorties d'une obligation de quitter le territoire français sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du présent code (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 775-2 du même code dans sa version alors en vigueur : " Le délai de recours est d'un mois à compter de la notification de la décision attaquée (...) " ; qu'il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action introduite devant une juridiction administrative, d'établir que l'intéressé a reçu notification régulière de la décision le concernant ; qu'en cas de retour à l'administration du pli contenant la décision, cette preuve peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve établissant la délivrance par le préposé du service postal, conformément à la réglementation en vigueur, d'un avis d'instance prévenant le destinataire de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste ;

Considérant que pour juger que la demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 14 juin 2011, enregistrée le 28 septembre 2011 au greffe du Tribunal administratif de Strasbourg, avait été introduite après l'expiration des délais fixés par les articles R. 775-1 et R.775-2 du code de justice administrative, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur la circonstance que l'arrêté attaqué devant être regardé comme ayant été régulièrement notifié à M. A le 18 juin 2011, date de présentation du pli recommandé avec demande d'avis de réception à l'adresse à laquelle le requérant avait fait suivre son courrier avant qu'il ne soit retourné le 5 juillet 2011 à la préfecture par les services postaux avec la mention " non réclamé " ;

Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que le préfet du Doubs a produit, à l'appui de la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande tendant à l'annulation de son arrêté du 14 juin 2011, copie de l'enveloppe et de l'avis de réception retournés à la préfecture, expédiés à l'adresse donnée par M. A à laquelle il faisait suivre son courrier, laissant apparaître les mentions " distribué le 18 juin 2011 ", " non réclamé " et " réexpédition " ; que ces mentions, si elles établissent la date à laquelle le pli contenant l'arrêté préfectoral litigieux a été présenté au domicile de l'intéressé, ne suffisent pas à elles seules à prouver la remise d'un avis de passage ; que le préfet ne produit en appel aucun élément de preuve de nature à établir la délivrance d'un tel avis de passage ; qu'ainsi, la notification de l'arrêté du 14 juin 2011 ne pouvant être regardée comme régulière et de nature à faire courir le délai du recours contentieux, M. A est fondé à soutenir que la tardiveté a été opposée irrégulièrement à sa demande et que cette dernière était recevable à la date à laquelle elle a été enregistrée au greffe du Tribunal ;

Considérant qu'il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 14 juin 2011 en ce qu'il oblige M. A à quitter le territoire français et fixe le pays de destination, et de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur la demande présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 313-12 du même code : " (...) Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° de l'article L. 313-11 est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger en raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, l'autorité administrative peut accorder le renouvellement du titre (...) " ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation, M. A excipe de l'illégalité de la décision lui refusant le renouvellement de sa carte de séjour portant mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'une ressortissante française ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date des décisions en litige, M. A ne vivait plus avec son épouse qui a introduit une requête en divorce auprès du Tribunal de grande instance de Montbéliard le 4 février 2011 ; qu'ainsi, l'intéressé ne remplissait plus la condition de vie commune avec son épouse exigée par les dispositions précitées pour obtenir le renouvellement de son titre de séjour ; que si M. A soutient en des termes vagues et généraux que la communauté de vie a été rompue à son initiative en raison des violences que lui faisait subir son épouse, il n'établit pas le bien-fondé de ses allégations ; que, par suite, le préfet du Doubs, en refusant d'user de son pouvoir discrétionnaire pour renouveler le titre de séjour de M. A, n'a pas méconnu les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 313-12 susmentionnées ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 sur le fondement du troisième alinéa de cet article peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) " ;

Considérant que si le requérant fait valoir qu'il a travaillé en qualité de manoeuvre, démontrant ainsi sa volonté et ses capacités d'intégration dans la société française, il est constant qu'il n'a pas sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions précitées ; que, par suite, M. CHIAMDI, qui ne se prévaut en tout état de cause d'aucune considération humanitaire ni d'aucun motif exceptionnel, ne peut utilement invoquer la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'appui du moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant refus de séjour ;

Sur l'arrêté du 1er décembre 2011 ordonnant le placement en rétention administrative :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 551-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision de placement est prise par l'autorité administrative, après l'interpellation de l'étranger (...). Elle est écrite et motivée. (...) " ;

Considérant que la décision de placement en rétention administrative du 1er décembre 2011, qui se réfère aux articles L. 551-1 à L. 551-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique qu'en raison des contraintes matérielles relatives à l'organisation de son départ, M A ne peut quitter immédiatement le territoire national ; qu'elle relève en outre que le risque de fuite est caractérisé dès lors que l'intéressé, qui n'a pas déféré à la mesure d'éloignement du 14 juin 2011, s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français ; qu'ainsi, la décision de placement en rétention litigieuse énonce les considérations de fait et de droit sur lesquels elle se fonde ; que, par suite, c'est à bon droit que le premier juge, qui a suffisamment motivé sa décision, a écarté le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision ordonnant le placement en rétention administrative comme manquant en fait ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. A n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français prise le 14 juin 2011, l'exception d'illégalité de ladite décision soulevée à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 1er décembre 2011 ordonnant son placement en rétention administrative ne peut qu'être écartée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 6 décembre 2011, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 14 juin 2011 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixe le pays de renvoi et, d'autre part, de l'arrêté préfectoral du 1er décembre 2011 le plaçant en rétention dans un local non pénitentiaire pour une durée de cinq jours ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de M. A tendant à ce que la Cour ordonne au préfet du Doubs de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir ne peuvent ainsi qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg du 6 décembre 2011 est annulé, en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions de la requête de M. A tendant à l'annulation des décisions en date du 14 juin 2011 par lesquelles le préfet du Doubs l'a obligé à quitter le territoire et a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné.

Article 2 : Les conclusions présentées devant le Tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation des arrêtés du préfet du Doubs en date du 14 juin et du 1er décembre 2011 et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Abderrahmane A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

Copie sera adressée au préfet du Doubs.

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N°12NC00040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12NC00040
Date de la décision : 16/05/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PIERART
Rapporteur ?: Mme Odile PIERART
Rapporteur public ?: Mme GHISU-DEPARIS
Avocat(s) : DSC AVOCATS - SCP DUFAY SUISSA CORNELOUP WERTHE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-05-16;12nc00040 ?
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