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19/03/2012 | FRANCE | N°11NC01392

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 19 mars 2012, 11NC01392


Vu la requête, enregistrée le 28 août 2011, présentée pour M. Mohamed A, demeurant ..., par Me Metidji Talbi ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1103665 en date du 22 juillet 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Marne du 19 juillet 2011 l'obligeant à quitter le territoire sans délai, fixant le pays de destination, l'interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et le plaçant en rétention

dans un local non pénitentiaire durant un délai de cinq jours ;

2°) d'annu...

Vu la requête, enregistrée le 28 août 2011, présentée pour M. Mohamed A, demeurant ..., par Me Metidji Talbi ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1103665 en date du 22 juillet 2011 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Marne du 19 juillet 2011 l'obligeant à quitter le territoire sans délai, fixant le pays de destination, l'interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et le plaçant en rétention dans un local non pénitentiaire durant un délai de cinq jours ;

2°) d'annuler les décisions en date du 19 juillet 2011 l'obligeant à quitter le territoire français et lui refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour renouvelable valable un an sur le fondement de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien, injonction assortie d'une astreinte fixée à 150 euros par jour de retard à compter du délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir en application de l'article L. 911-3 du Code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros conformément aux dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ;

M. A soutient que :

- compte tenu de sa rédaction stéréotypée et de l'absence de prise en compte des circonstances particulières de l'espèce, la décision l'obligeant à quitter le territoire est insuffisamment motivée et ne permet pas de vérifier que le préfet a procédé à un examen individuel de sa situation en méconnaissance de l'article 12-1 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- il ne pouvait faire l'objet d'une décision d'obligation de quitter le territoire puisque sa régularisation est de droit après dix ans de résidence en France en application de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien ;

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français a méconnu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il réside en France depuis dix ans ;

- la décision lui refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée dès lors qu'elle n'explique pas les raisons pour lesquelles le préfet n'accorde aucun délai de départ volontaire ;

- à défaut d'avoir été précédée des observations de l'intéressé, elle méconnaît la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 qui nécessite une procédure contradictoire relative au délai de départ volontaire ;

- le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est manifestement incompatible avec les objectifs de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 dans la mesure où le risque de fuite ne saurait être caractérisé en l'absence de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

Vu le mémoire en défense du préfet de la Marne, enregistré le 10 octobre 2011, qui maintient les conclusions qu'il avait présentées devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

Vu, en date du 15 mars 2012, la décision du président du bureau d'aide juridictionnelle accordant à M. A le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 27 février 2012, le rapport de Mme Piérart, président de la Cour ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " (...) les décisions d'éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles " ;

Considérant, d'une part, que la décision portant obligation de quitter le territoire français, après avoir visé les textes applicables, indique que M. A, entré en France en 2001, s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire national au-delà du délai d'expiration de son visa Schengen pendant plus de 9 ans sans avoir entrepris de démarches en vue de régulariser sa situation ; que la décision contestée précise que l'intéressé a travaillé illégalement sous couvert d'une fausse carte de résident ; qu'elle mentionne que, dans les circonstances particulières de l'espèce, une mesure de régularisation apparaît inopportune ; qu'elle ajoute qu'il n'est pas porté d'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A, célibataire, sans enfant et non dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents selon ses déclarations ; que la décision en litige précise enfin que l'intéressé n'allègue pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la Convention européenne des droits de l'Homme en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée au regard des exigences des de l'article 12 paragraphe 1 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutient M. A, cette motivation permet de vérifier que l'administration préfectorale a procédé à un examen particulier de sa situation notamment au regard de la durée de son séjour en France ; que le requérant ne peut faire grief au préfet de ne pas avoir fait état de sa situation de concubinage dès lors qu'il ne l'a pas mentionnée lors de son interpellation mais s'est au contraire déclaré célibataire ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du d) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail, dans sa rédaction issue de l'avenant du 8 septembre 2000 : " Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7: / Les ressortissants tunisiens qui justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis plus de dix ans, le séjour en qualité d'étudiant n'étant pas pris en compte dans la limite de cinq ans (...) " ;

Considérant que si M. A fait valoir qu'il réside en France depuis 2001, les éléments qu'il produit à l'appui de ses allégations sont insuffisants pour établir qu'il avait, à la date de la décision litigieuse, sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ; qu'en particulier, aucune pièce n'est produite au titre des années comprises entre 2001 et 2006 ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 ter précité de l'accord franco-tunisien modifié doit être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que si M. A, ressortissant tunisien, entré régulièrement en France en 2001, soutient sans autre précision vivre en concubinage, il s'est toutefois déclaré célibataire et sans enfant à charge lors de son audition le 19 juillet 2011 par la police judiciaire en résidence à Reims ; qu'il ressort en outre des pièces du dossier que M. A n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Tunisie où résident ses parents selon ses dires et où il a demeuré lui-même sans interruption depuis sa naissance jusqu'à l'âge de 25 ans ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision obligeant M. A à quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu'elle n'a par suite pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

Considérant, en premier lieu, que la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire vise les dispositions des b) et f) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique les motifs pour lesquelles le préfet de la Marne a entendu faire application de ces dispositions, à savoir le maintien de M. A sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa et l'absence de garanties de représentation suffisantes ; que le préfet a ainsi suffisamment motivé la décision attaquée dès lors que celle-ci comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement;

Considérant, en deuxième lieu, que M. A ne peut utilement faire valoir que la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire aurait dû être précédée d'une procédure contradictoire en application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 dès lors qu'aucune disposition de ladite directive ne prévoit l'obligation pour l'administration d'inviter le ressortissant étranger visé par une mesure d'éloignement à émettre ses observations sur le bénéfice ou non d'un délai de départ volontaire ; que, par ailleurs, aucune disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impose le respect du principe du contradictoire préalablement à l'édiction de la décision refusant le délai de départ volontaire ; que, par suite, le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit être écarté comme étant inopérant ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 7 de la directive n°2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " 1. La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 et 4. (...) / 4. S'il existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les Etats membres peuvent s'abstenir d'accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours " ; que le 7) de l'article 3 de la même directive définit ce "risque de fuite" comme " le fait qu'il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l' objet de procédures de retour peut prendre la fuite " ; qu'aux termes du paragraphe II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. (...) " ; que, contrairement à ce que soutient M. A, les dispositions du f) du 3° du paragraphe II de l'article L. 511-1 précité ne sont pas incompatibles avec celles susmentionnées de la directive n°2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, que la loi du 16 juin 2011 précitée a eu pour objet de transposer ; que, par suite, le moyen tiré de l'exception d'inconventionnalité des dispositions du f) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Marne du 19 juillet 2011 l'obligeant à quitter le territoire sans délai, fixant le pays de destination, l'interdisant de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et le plaçant en rétention dans un local non pénitentiaire durant un délai de cinq jours ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A ne peuvent ainsi qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. A la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés en appel et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées à ce titre par le requérant doivent être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Mohamed A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.

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N°11NC01392


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11NC01392
Date de la décision : 19/03/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PIERART
Rapporteur ?: Mme Odile PIERART
Rapporteur public ?: M. WIERNASZ
Avocat(s) : METIDJI TALBI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2012-03-19;11nc01392 ?
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