Vu le recours, enregistré le 5 décembre 2002 et complété par des mémoires enregistrés les 6 mars 2003, 11 mai 2004, 29 décembre 2004 et 10 mai 2005, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ;
Le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 98-06422, en date du 2 juillet 2002, par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a :
- en son article 2, réduit les bases de l'impôt sur le revenu de M. Y... , au titre des années 1995 et 1996, de, respectivement, 79 980,60 F et 57 285,16 F ;
- en son article 3, indiqué que les éventuels déficits qui résulteraient de l'application de l'article 2 seraient imputables sur les revenus imposables des cinq années suivant l'année d'imposition ;
- en son article 4, accordé à M. la décharge de la différence entre le montant des cotisations à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été primitivement assujetti au titre des années 1995 et 1996 et celui résultant de l'application des articles 2 et 3 ;
2°) de rétablir M. au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1996 à raison des droits dont la décharge a été ordonnée par ledit jugement ;
Il soutient que :
- les dépenses exposées pour remettre en cause les engagements de caution de M. ne peuvent être considérées comme exposées dans l'intérêt de l'entreprise ;
- ces dépenses ne sont pas au nombre des charges déductibles de son revenu global telles que limitativement énumérées à l'article 156 II du code général des impôts ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2003, présenté par M. , tendant au rejet du recours du ministre, par le moyen qu'il est irrecevable pour tardiveté ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés les 20 janvier 2004, 8 juillet 2004, 2 mars 2005 et 20 juin 2005, présentés pour M. , par Me Eric Nonnenmacher, avocat, de la S.C.P. Avocats et Conseils ;
M. demande à la Cour :
- de rejeter le recours du ministre ;
- par la voie d'un recours incident, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires auxquelles il a été assujetti au titre des années 1992, 1993 et 1994, à hauteur de, respectivement, 77 722,31 F (11 848,69 euros), 116 891,43 F (17 819,98 euros) et 96 383,48 F (14 693,57 euros) ;
- de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- le recours du ministre est irrecevable pour tardiveté et le délai de quatre mois prévu en faveur de l'administration est contraire aux stipulations de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'administration ne justifie pas avoir transmis le jugement au ministre ni de la date de cette transmission ;
- il n'est pas établi que l'auteur du recours avait reçu une délégation régulière de signature ;
- lorsque les engagements de caution sont mis en jeu, le salarié concerné doit pouvoir déduire les frais de justice engagés pour limiter l'ampleur de cette mise en jeu ;
- les frais ainsi engagés l'ont été dans l'intérêt de l'entreprise qui est redevable à la caution des sommes versées par cette dernière, en application de l'article 2029 du code civil ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 avril 2006 :
- le rapport de M. Montsec, président,
- et les conclusions de Mme Rousselle, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'administration fiscale a refusé à M. Y... de déduire de ses revenus imposables les frais de justice qu'il aurait exposés de 1992 à 1997, pour un montant total de 640 510,45 F, afin de limiter les engagements de caution qu'il avait souscrits auprès de divers établissements bancaires au profit de la S.A. INDUSTRIE, dont il était le président-directeur-général salarié ; que M. a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été en conséquence assujetti au titre des années 1992 à 1997 ; que, par le jugement attaqué en date du 2 juillet 2002, le Tribunal administratif de Strasbourg a prononcé, en son article 1er, un non-lieu à statuer pour ce qui concerne l'imposition de l'année 1997, a réduit, en son article 2, les bases de l'impôt sur le revenu mis à la charge de M. d'un montant de 79 980,60 F pour ce qui concerne l'année 1995 et d'un montant de 57 285,16 F pour ce qui concerne l'année 1996, a indiqué, en son article 3, que les éventuels déficits qui résulteraient de l'article 2 seraient imputables sur le revenu imposable des cinq années suivant l'année d'imposition, a accordé, en son article 4, la décharge de la différence entre le montant des droits primitivement assignés au titre des années 1995 et 1996 et celui résultant des articles 2 et 3, et a enfin, en son article 5, rejeté pour irrecevabilité le surplus de la demande de M. , relatif aux impositions des années 1992, 1993 et 1994 ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE fait appel de ce jugement, dont il demande l'annulation des articles 2, 3 et 4, et conclut à ce que M. soit rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1996 à hauteur de la décharge ainsi accordée par les premiers juges ; que M. demande, par des conclusions incidentes, que la décharge qu'il sollicitait en première instance lui soit accordée au titre des années 1992, 1993 et 1994 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. au recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE :
En ce qui concerne le délai de recours :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales : « A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts (…), celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. / Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre » ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient M. , le délai supplémentaire de deux mois prévu par les dispositions précitées s'applique lorsque le recours a été présenté non par le ministre lui-même mais, comme en l'espèce, par un fonctionnaire agissant en son nom en vertu d'une délégation de signature ;
Considérant que, si M. soutient que les dispositions de cet article seraient contraires aux stipulations de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ne saurait invoquer utilement lesdites stipulations dans un litige relatif à la contestation de la détermination de l'assiette d'un impôt direct, dès lors qu'elles ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales tiennent compte des nécessités particulières du fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables et justifient le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, délai dont les contribuables peuvent d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée ; que ces dispositions ne confèrent pas ainsi au ministre un privilège qui serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité ;
Considérant que le jugement attaqué du Tribunal administratif de Strasbourg, en date du 2 juillet 2002, a été notifié au directeur des services fiscaux du Bas-Rhin le 9 août 2002 ; que le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE dirigé contre ce jugement a été enregistré au greffe de la Cour, sous forme de télécopie, le 5 décembre 2002, dans le délai d'appel de deux mois qui a commencé à courir à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre ce jugement et le dossier de l'affaire, en vertu des dispositions susmentionnées de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ; que le recours du ministre, qui a été comme il se doit confirmé par la production de l'original du mémoire introductif d'instance le 9 décembre 2002, est ainsi intervenu dans le délai total de 4 mois fixé par lesdites dispositions, sans qu'il y ait lieu de rechercher si le délai de transmission de deux mois du service local au ministre prévu par ce texte a été en l'espèce respecté, ce délai n'étant pas en lui-même prescrit à peine de nullité ;
Considérant qu'ainsi, M. n'est pas fondé à soutenir que le recours du ministre serait irrecevable pour tardiveté ;
En ce qui concerne la qualité pour agir du signataire du recours :
Considérant que le recours présenté au nom du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE a été signé par M. Stéphane X..., sous-directeur, qui, contrairement à ce que soutient à l'instance M. , avait reçu, par arrêté du 9 septembre 2002 publié au Journal officiel de la République française le 28 septembre 2002, une délégation régulière de signature au nom du ministre, pour ce qui concerne les recours relatifs à l'assiette et au calcul de l'impôt formés par l'administration devant le Conseil d'Etat et les cours administratives d'appel ; que M. n'est ainsi pas davantage fondé à soutenir que le recours du ministre serait irrecevable du fait du défaut de qualité pour agir de son signataire ;
Sur les conclusions du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 du code général des impôts : « 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu (…) » ; qu'aux termes de l'article 83 du même code, relatif à l'imposition des revenus dans la catégorie des traitements et salaires : « Le montant net du revenu imposable est déterminé en déduisant du montant brut des sommes payées et des avantages en argent ou en nature accordés (…) 3° Les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi lorsqu'ils ne sont pas couverts par des allocations spéciales (…) » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, si des établissements bancaires, auprès desquels M. s'était porté caution pour des prêts consentis à la S.A. INDUSTRIE, dont il était le président-directeur-général salarié, lui ont réclamé le paiement de diverses sommes en exécution de ces engagements de caution, celui-ci n'a pas versé ces sommes au cours des années en litige ; que M. soutient qu'il était cependant en droit de déduire de ses revenus imposables les frais de justice qu'il aurait exposés afin de réduire le montant de ces engagements de caution, pour un montant global de 640 510 F de 1992 à 1997, et en particulier pour des montants de 133 301 F en 1995 et 95 641,93 F en 1996 ; que, toutefois, ces frais de justice, qui ne sauraient être regardés comme accessoires des engagements de caution dont s'agit, ont été volontairement exposés par l'intéressé afin de protéger son propre patrimoine et ne peuvent être qualifiés de dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu au sens des dispositions précitées ; qu'à supposer même que ces dépenses aient permis comme il l'affirme de réduire sensiblement le montant de ses engagements, et alors même que M. aurait été subrogé dans les droits des créanciers de la société pour les sommes qu'il aurait été amené à verser en exécution desdits engagements, elles ne peuvent pas être regardées comme ayant été effectuées dans l'intérêt de la société ; qu'ainsi, c'est à tort que, pour réduire les bases de l'impôt sur le revenu de M. au titre des années 1995 et 1996 et prononcer la décharge des impositions correspondantes en droits et pénalités, le Tribunal administratif de Strasbourg a considéré que les frais de justice ainsi exposés devaient pouvoir être déduits du revenu imposable de l'intéressé au même titre que les sommes qu'il aurait dû payer en exécution des engagements de caution qu'il avait souscrits ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;
Considérant que M. faisait valoir devant le Tribunal administratif que, faute des actions juridiques qu'il a menées, ses revenus auraient été obérés par des saisies de ses salaires ou des loyers qu'il percevait ; que, toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas elle-même de nature à conférer à ces dépenses, lesquelles constituent un emploi du revenu, le caractère de dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation de ses revenus, au sens des dispositions susmentionnées de l'article 13 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a réduit les bases de l'impôt sur le revenu de M. au titre des années 1995 et 1996, de respectivement 79 980,60 F et 57 285,16 F, et à demander que M. soit rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1996 à concurrence des droits et pénalités dont la décharge lui a été accordée par ledit jugement ;
Sur les conclusions incidentes de M. :
Considérant que M. ne conteste pas l'irrecevabilité qui lui a été opposée en première instance pour ce qui concerne les impositions mises à sa charge au titre des années 1992, 1993 et 1994 ; que ses conclusions incidentes relatives à ces impositions ne peuvent dès lors et en tout état de cause qu'être rejetées ;
Sur les conclusions de M. tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 2 juillet 2002 sont annulés.
Article 2 : M. est rétabli au rôle de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1996 à concurrence des droits et pénalités dont la décharge lui a été accordée par ledit jugement.
Article 3 : L'appel incident de M. et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. Y... .
7
N° 02NC01292