Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 15 mai 2002, présentée pour la S.A. MAISON BECK, ayant son siège 2 rue du Héron à Schiltigheim (67300), par Me Goepp, avocat ; la S.A. MAISON BECK demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9804294 en date du 21 mars 2002 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés et pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1987 et à la condamnation de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat ses frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la notification de redressement ne mentionne pas le montant des droits, taxes et pénalités en cause, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales ;
- la notification de redressement est insuffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- la méthode d'évaluation par comparaison mise en oeuvre par l'administration aboutit à un résultat exagéré, contredit par une expertise ;
- le choix des éléments de comparaison est en lui-même critiquable ;
- la méthode est viciée dans son principe dans la mesure où elle ne tient pas compte de la spécificité du bien évalué et des facteurs de dépréciation ;
- la méthode est entachée d'erreurs de faits ;
- le loyer évalué pour la partie privative du bâtiment est excessif ;
- les intérêts de retard appliqués ne sont pas justifiés au regard notamment des dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 19 juillet 2002, présenté pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, tendant au rejet de la requête, par les motifs que la demande tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est irrecevable à défaut d'être chiffrée et que, pour le surplus, aucun des moyens présentés par la S.A. MAISON BECK n'est fondé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 décembre 2005 :
- le rapport de M. Montsec, président,
- et les conclusions de Mme Rousselle, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : «L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…)» ; qu'aux termes de l'article L. 48 du même livre, dans sa rédaction alors applicable : «A l'issue (…) d'une vérification de comptabilité, lorsque des redressements sont envisagés, l'administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la notification prévue à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces redressements (…)» ;
Considérant que la notification de redressement adressée le 25 octobre 1990 à la S.A. MAISON BECK mentionnait la nature et les motifs des redressements et en particulier les raisons pour lesquelles l'administration a estimé que le prix de l'immeuble vendu par la société à son dirigeant, par acte du 23 octobre 1987, avait été sous-évalué par rapport à sa valeur vénale et que cette opération était en conséquence constitutive d'un acte anormal de gestion ; que la méthode mise en oeuvre par l'administration pour évaluer la valeur vénale de l'immeuble était détaillée en annexe à la notification de redressement ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, cette notification de redressement était suffisamment motivée, en droit et en fait, au regard des exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, pour lui permettre de formuler utilement ses observations ;
Considérant, par ailleurs, que ladite notification de redressement comportait mention des redressements appliqués ainsi que des droits et pénalités correspondants ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales manque en fait ;
Sur le bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : «(…) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation» ; qu'à ces résultats d'ensemble doivent être ajoutées les recettes que l'entreprise a abandonnées à des tiers sans que cet abandon soit justifié par l'intérêt de l'entreprise ;
Considérant que, par acte du 23 octobre 1987, la S.A. MAISON BECK a vendu à son dirigeant, M. X, pour un montant de 1 100 000 F, un ensemble immobilier sis ..., comportant une partie à usage commercial et une partie à usage d'habitation ; que le vérificateur, estimant que la valeur vénale de cet ensemble immobilier devait être évaluée à 2 200 000 F, a considéré que cette cession était constitutive d'un acte anormal de gestion ; que la différence entre la valeur vénale de l'ensemble immobilier, ramenée à 2 000 000 F après avis de la commission départementale de conciliation, et le prix stipulé dans l'acte de vente a, dès lors, été réintégrée dans le résultat déclaré par la société en vue de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1987 ;
Considérant que, pour déterminer la valeur vénale du bien cédé, le vérificateur a distingué la partie de ce bien à usage commercial et la partie à usage d'habitation ; que, pour ce qui concerne la partie à usage commercial, il s'est référé à trois exemples de cessions de biens immobiliers de ce type sis dans la même commune de Schiltigheim ; que le vérificateur a fixé la valeur vénale de cette partie de l'ensemble immobilier à 1 200 000 F, en retenant la moyenne arithmétique des prix de cession des trois immeubles de référence, d'une surface utile, dans les trois cas, sensiblement inférieure, avec 520 m2, 164 m2 et 647 m2, à celle de la partie commerciale du bien en cause, dépassant au total 900 m2 de bureaux et ateliers, à supposer même que la surface d'un des immeubles de référence serait, ainsi que l'affirme la société requérante, non comme indiqué de 164 m2 mais de 448 m2 ; que, pour ce qui concerne la partie à usage d'habitation, il s'est référé également à trois exemples de transactions relatives à des appartements situés dans la même commune ; qu'il a, par comparaison à ces trois exemples, fixé la valeur vénale de cette partie de l'immeuble à la somme de 1 000 000 F, ramenée ultérieurement à 800 000 F, suite à l'avis de la commission départementale de conciliation, pour tenir compte des éléments de dépréciation de cette partie de l'immeuble, liée à son intégration dans un bâtiment à usage mixte et plus généralement à sa situation dans une zone artisanale où le règlement de lotissement interdit en principe les constructions à usage d'habitation ; que cette méthode d'évaluation, reposant sur la comparaison avec un nombre suffisant d'exemples de cessions, présentant des caractéristiques les plus proches possible de celles de la cession litigieuse, ne peut être considérée comme viciée dans son principe et a, d'ailleurs, été confortée par une évaluation de la valeur vénale des deux parties de l'ensemble immobilier en fonction de leurs valeurs locatives respectives ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le caractère mixte de l'ensemble immobilier et sa situation dans une zone artisanale ne sont pas de nature à affecter la valeur vénale de la partie commerciale du bien en cause ; qu'il a été suffisamment tenu compte de la perte de valeur vénale induite par ces mêmes contraintes pour ce qui concerne la partie à usage d'habitation, en ramenant pour ce motif, ainsi qu'il est dit ci-dessus, la valeur estimée de cette partie de l'ensemble immobilier d'abord à la somme de 800 000 F, puis, à l'initiative de l'administration, suite à l'intervention d'un jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 5 juin 1996, relatif au litige concernant, pour la même transaction, les droits d'enregistrement, à la somme de 687 000 F, l'administration ayant procédé au dégrèvement correspondant ; que, dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu de retenir les éléments d'évaluation tirés d'une expertise diligentée à la demande la société et alors même que, contrairement à ce que soutient l'administration, le jugement susmentionné du Tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 5 juin 1996 ne saurait avoir autorité de chose jugée en l'absence d'identité d'objet et de parties, l'administration doit être regardée comme ayant établi, ainsi qu'il lui incombe, que la cession du bien en cause au prix de 1 100 000 F était constitutive d'un acte anormal de gestion ; que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation de la valeur vénale de l'ensemble du bien immobilier dont s'agit à la somme de 1 824 000 F serait en l'espèce excessive ;
Sur les intérêts de retard :
Considérant qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : «Le défaut ou l'insuffisance dans le paiement ou le versement tardif de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par la direction générale des impôts donnent lieu au versement d'un intérêt de retard qui est dû indépendamment de toutes sanctions (…)» ;
Considérant que l'intérêt de retard institué par les dispositions susmentionnées de l'article 1727 du code général des impôts vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales ; que, si l'évolution des taux du marché a conduit à une hausse relative de cet intérêt depuis son institution, cette circonstance ne lui confère pas pour autant le caractère d'une sanction, dès lors que son niveau n'est pas devenu manifestement excessif au regard du taux moyen pratiqué par les prêteurs privés pour un découvert non négocié, qui est la seule référence utilisable pour apprécier l'éventuel caractère excessif de l'intérêt de retard ; que, par suite, la seule circonstance qu'il existerait une différence de taux entre, d'une part, l'intérêt de retard institué par l'article 1727 du code général des impôts et, d'autre part, les intérêts légaux ou moratoires tels que mentionnés aux articles L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales ne saurait être utilement invoquée par la société requérante pour justifier en l'espèce une demande de réduction des intérêts de retard qui lui ont été appliqués ; que la société requérante ne peut davantage utilement invoquer l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, qui ne sont pas applicables dans les rapports institués entre la personne publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la S.A. MAISON BECK n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué en date du 21 mars 2002, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les conclusions de la S.A. MAISON BECK tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne sont pas chiffrées ; qu'elles sont donc irrecevables ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la S.A. MAISON BECK est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la S.A. MAISON BECK et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
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N° 02NC00545