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05/05/1998 | FRANCE | N°94NC01554

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3e chambre, 05 mai 1998, 94NC01554


(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 26 octobre 1994 au greffe de la Cour, présentée pour M. Jean-Paul Z..., demeurant ... (Nord), agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs Jean-François, Mario et Mylène, ayant pour avocat Maître Manuel Y... ;
Il demande que la Cour :
1 / annule le jugement, en date du 7 juillet 1994, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Communauté urbaine de Lille et de la commune d'Halluin à lui verser une somme de 100 000 F ainsi qu'une somme de 50 000

F à chacun des frères et soeur de Jérôme Z..., en réparation du pré...

(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 26 octobre 1994 au greffe de la Cour, présentée pour M. Jean-Paul Z..., demeurant ... (Nord), agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs Jean-François, Mario et Mylène, ayant pour avocat Maître Manuel Y... ;
Il demande que la Cour :
1 / annule le jugement, en date du 7 juillet 1994, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Communauté urbaine de Lille et de la commune d'Halluin à lui verser une somme de 100 000 F ainsi qu'une somme de 50 000 F à chacun des frères et soeur de Jérôme Z..., en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi à la suite du décès de ce dernier, survenu le 26 septembre 1986 lors de l'incendie qui s'est déclaré dans la nuit du 25 au 26 septembre 1986 au n 142 de la rue de Lille à Halluin ;
2 / condamne la Communauté urbaine de Lille et la commune d'Halluin à lui verser les sommes susmentionnées avec intérêts de droit ;
3 / condamne les collectivités susdites à lui verser une somme de 25 000 F au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 avril 1998 :
- le rapport de M. MOUSTACHE, Président,
- et les conclusions de M. VINCENT, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 26 septembre 1986 vers 0 h 30 un incendie s'est déclaré au rez-de-chaussée d'un immeuble, sis ... sur le territoire de la commune d'Halluin (Nord), causant la mort par asphyxie de Mme X... et de son fils Jérôme, alors âgé de 15 ans et demi, qui se trouvaient dans l'appartement de l'étage et n'ont pu être secourus à temps ; que M. Jean-Paul Z..., père de la jeune victime, agissant tant en son nom personnel qu'au nom et pour le compte de ses trois enfants mineurs, demi-frères et soeur de Jérôme, a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à ce qu'en raison des fautes lourdes commises dans l'organisation et le fonctionnement du service de lutte contre l'incendie, la commune d'Halluin et la Communauté urbaine de Lille soient condamnées à lui payer diverses indemnités en réparation du préjudice moral éprouvé par lui-même et ses enfants mineurs à raison du décès de Jérôme ; que la présente requête est dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Lille, en date du 7 juillet 1994, qui a rejeté la demande de M. Jean-Paul Z..., au motif qu'aucune faute lourde n'avait été commise lors des opérations de lutte contre l'incendie et de sauvetage des personnes bloquées dans l'immeuble sinistré ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles R. 155 et R. 156 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel qu'une note produite pendant le délibéré, donc après clôture de l'instruction, n'a pas à être examinée par la juridiction ; qu'ainsi le moyen tiré par M. Z..., dans un mémoire enregistré, au demeurant, après l'expiration du délai d'appel, de ce que le tribunal administratif n'aurait pas répondu à la note en délibéré, présentée à celui-ci le 23 juin 1994, ne saurait être accueilli ;
Sur les conclusions de la commune d'Halluin :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 5215-20 du code général des collectivités territoriales : "Sont transférées à la communauté urbaine les compétences attribuées aux communes dans les domaines suivants : ... 5 Services d'incendie et de secours ...." ; qu'aux termes de l'article L. 5215-22 du même code : "Pour l'exercice de ses compétences, la Communauté urbaine est substituée de plein droit aux communes, syndicats ou districts préexistants constitués entre tout ou partie des communes qui le composent" ; qu'aux termes, enfin, de l'article L. 5215-24 dudit code : "Le transfert de compétences à la Communauté urbaine emporte transfert au président et au conseil de communauté de toutes les attributions conférées ou imposées par les lois ou règlements respectivement au maire et au conseil municipal" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions législatives que les dommages imputables à des défauts d'organisation ou de fonctionnement des services de secours et de lutte contre l'incendie engagent la responsabilité de la Communauté urbaine à l'exclusion de celle de la commune sur le territoire de laquelle est survenu le sinistre ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la Commune d'Halluin tendant à être mise hors de cause dans la présente affaire dès lors qu'il n'est pas contesté que cette dernière est au nombre des communes composant la communauté urbaine de Lille ;
Sur l'appel des consorts Z... :
En ce qui concerne la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les conséquences dommageables de l'incendie, notamment quant au décès par asphyxie de deux des trois personnes bloquées au 1er étage de l'immeuble sinistré, ont été aggravées par les nombreux dysfonctionnements dans l'organisation et le fonctionnement du service de lutte contre l'incendie de la communauté urbaine de Lille et consistant, notamment, dans l'absence, tant au moment du déclenchement des secours à 0 h 37 que lors de l'arrivée de ceux-ci sur les lieux du sinistre à 0 h 44, de tout appel dirigé vers les services médicaux d'urgence, dans l'absence du véhicule de liaison, qui n'est parvenu sur place qu'une demi-heure après l'alerte, empêchant ainsi une meilleure coordination des opérations de secours, ainsi que dans le retard, de près de dix minutes, avec lequel les opérations de sauvetage proprement dit des personnes bloquées dans une des chambres de l'étage ont été entreprises ; qu'en effet, alors qu'il n'est pas sérieusement contesté que les flammes avaient été abattues rapidement, soit alentour de 0 h 50, permettant une pénétration précoce des sapeurs-pompiers dans le rez-de-chaussée de l'immeuble, qui constituait le foyer de l'incendie, ce n'est que dix minutes plus tard environ qu'un pompier régulièrement équipé d'un appareil respiratoire isolant a entrepris de pénétrer à l'étage à la recherche des victimes ; qu'il ressort de l'instruction et notamment du dossier photographique versé aux débats qui révèle que les chambres de l'étage n'ont pas été détruites par le feu et que le pompier susmentionné s'est très rapidement séparé de son masque respiratoire, qu'un investissement plus précoce de l'étage de l'immeuble était possible notamment si la technique dite de "progression par petites lances" avait été utilisée ; qu'en outre il est constant qu'un seul sapeur-pompier muni d'un appareil respiratoire isolant a porté secours aux victimes alors que nul n'ignorait que celles-ci étaient au nombre de trois et que rien ne s'opposait à une pénétration concomitante de plusieurs pompiers équipés, permettant ainsi un dégagement plus rapide des victimes dont seule la première secourue a survécu ; qu'enfin et surtout, s'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la validité de la méthode d'évacuation choisie pour la descente au sol du jeune Jérôme, par nacelle accrochée à une échelle pivotante automatique, le temps qui s'est écoulé entre le moment où celui-ci a été dégagé pour être placé sur le rebord de la fenêtre du 1er étage et celui où il est arrivé au sol pour être pris en charge par l'équipe médicale d'urgence de Tourcoing, soit un laps de près de quatorze minutes pour accomplir une descente de quatre mètres, révèle un grave dysfonctionnement dans l'organisation des opérations de secours aux victimes ; qu'au surplus, il est non moins constant qu'entre le moment où le jeune Jérôme a été pris en charge médicalement et celui de son décès, une seule équipe médicale d'urgence était présente pour prodiguer des soins à deux victimes en état de coma de stade III et IV ;

Considérant que l'ensemble de ces défaillances du service de lutte contre l'incendie ont constitué , dans les circonstances où elles se sont produites et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de la Communauté urbaine de Lille à l'égard des consorts Z... ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin de prescrire les mesures d'instruction sollicitées par les requérants, ces derniers sont donc fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur requête et à demander l'annulation de ce jugement ;
En ce qui concerne le préjudice :
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire et eu égard notamment au caractère particulièrement dramatique de la mort du jeune Jérôme, il sera fait une juste appréciation de la douleur morale éprouvée par les consorts Z... en accordant à M. Z... Jean-Paul, père de la victime, une somme de 100 000 F et une somme de 25 000 F chacun à Jean-François et Mario Z..., demi-frères de la victime ; qu'eu égard à l'âge de la demi-soeur de Jérôme à la date du décès de celui-ci, aucun préjudice indemnisable n'a pu être causé à la jeune Mylène ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que les sommes susmentionnées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception dans les services de la Communauté urbaine de Lille de la demande préalable formulée le 27 décembre 1990 par M. Z... ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 23 février 1994, 27 juin 1995 et 5 septembre 1996 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation";
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. Z... tendant à ce que la Communauté urbaine de Lille soit condamnée à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille, en date du 7 juillet 1994, est annulé.
Article 2 : La commune d'Halluin est mise hors de cause.
Article 3 : La communauté urbaine de Lille est condamnée à payer à M. Jean-Paul Z..., une somme de 100 000 F ainsi qu'une somme de 25 000 F pour le compte de son enfant mineur Mario ; ladite Communauté urbaine versera également une somme de 25 000 F à M. Z... Jean-François.
Article 4 : Les sommes mentionnées à l'article 3 ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la Communauté urbaine de Lille de la demande préalable du 27 décembre 1990 ; les intérêts, échus les 23 février 1994, 27 juin 1995 et 5 septembre 1996 des sommes allouées à chacun des consorts Z... seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La Communauté urbaine de Lille versera en outre à M. Jean-Paul Z... une somme de 15 000 F au titre de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. Z... Jean-Paul, à M Z... Jean-François, à la communauté urbaine de Lille et à la commune d'Halluin.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 94NC01554
Date de la décision : 05/05/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

54-08-01-03 PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - MOYENS RECEVABLES EN APPEL


Références :

Code civil 1154
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R155, R156, L8-1
Code général des collectivités territoriales L5215-20, L5215-22, L5215-24


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. MOUSTACHE
Rapporteur public ?: M. VINCENT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1998-05-05;94nc01554 ?
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