(Troisième Chambre)
VU la requête, enregistrée le 15 décembre 1994, présentée pour la SOCIETE D'AMENAGEMENT URBAIN ET RURAL (SAUR) ayant son siège à Challenger - ... à Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines) ;
La société appelante demande à la Cour :
- d'annuler ou à tout le moins de réformer le jugement en date du 29 juillet 1994 du tribunal administratif de Dijon, en tant qu'il déclare la société S.A.U.R. seule responsale des préjudices subis par M. Y... du fait d'une pollution de son terrain sis à Saint-Léger-les-Domart ;
- d'ajouter à la mission d'expertise, prescrite par ce même jugement, l'examen de l'origine et de la date d'apparition des désordres, afin que soient mieux déterminées les responsabilités encourues et l'imputabilité des désordres constatés ; condamner M. Y... à payer à la société SAUR une somme de 15 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU, enregistré au greffe le 15 mai 1995, le mémoire en réponse, présenté au nom de la commune de Saint-Léger-Les-Domart, concluant à la confirmation du jugement attaqué et, à titre subsidiaire, à ce que l'Etat garantisse la commune de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre ;
VU, enregistrées au greffe le 22 mai 1995, les observations formulées au nom de l'Etat par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire selon lesquelles le jugement attaqué n'apparaît pas contradictoire avec les engagements résultant du contrat d'affermage conclu en l'espèce, dans la mesure où le fermier qui a pris en charge les installations, est responsable de leur fonctionnement, même si elles étaient initialement défectueuses ;
VU, enregistré au greffe le 7 juin 1995, le mémoire en réponse présenté au nom de l'Etat par le ministre de l'agriculture et de la pêche, concluant au rejet de l'appel en garantie de la commune ;
VU, enregistré au greffe le 27 mars 1997, le mémoire complémentaire par lequel la S.A.U.R. confirme les conclusions et moyens de sa requête d'appel ;
VU le jugement attaqué ;
VU les autres pièces du dossier ; VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 avril 1997 :
- le rapport de M. BATHIE, Conseiller ;
- les observations de Me X..., pour la S.CP. MILON, avocat de la société S.A.U.R. ;
- et les conclusions de M. STAMM, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'audience publique ayant précédé le jugement attaqué : " ... lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent présenter leurs observations ...." ;
Considérant que ces dispositions sont destinées à provoquer un débat contradictoire sur les moyens que le juge doit relever de sa propre initiative ; qu'en conséquence, le président de la formation de jugement doit veiller, lorsqu'il met en oeuvre l'article R.153-1 précité, à ce que les parties au litige disposent d'un délai raisonnable, avant l'audience publique, pour discuter, de manière contradictoire, la pertinence du moyen relevé d'office qui leur est notifié ; qu'au besoin, il y a lieu de reporter la date de l'audience publique au terme de laquelle l'instruction se trouve close, conformément à l'article R.155 du code précité ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que le 2 juin 1994, le président de la formation de jugement a notifié aux parties, en application de l'article R.153-1 sus-mentionné, un moyen d'ordre public tiré de ce que la requête de M. Y... ne pouvait rechercher que la responsabilité de la société S.A.U.R. en sa qualité de titulaire d'un contrat d'affermage, et non pas celle de la commune, maître d'ouvrage des installations dont le fonctionnement défectueux était mis en cause ; que si la lettre de notification accordait un délai de quinze jours aux destinataires pour formuler leurs observations, il est constant que l'audience publique entraînant la clôture de l'instruction comme précédemment indiqué, demeurait fixée au 7 juin 1994, réduisant de fait ce délai ; qu'au surplus, l'instruction se trouvait close depuis le 24 mai 1994 et a été rouverte par une ordonnance datée du 7 juin 1994, jour prévu pour l'audience publique ; qu'il ressort de ces éléments que les parties au litige n'ont pu engager un véritable débat contradictoire sur le moyen d'ordre public qui leur avait été notifié dans les conditions susanalysées ; que pour ce seul motif, la société S.A.U.R. est fondée à soutenir que le jugement attaqué est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et à en solliciter l'annulation partielle en tant que ledit jugement se prononce, par ses articles 1 et 2, sur les responsabilités des personnes mises en cause par M. Y... ;
Considérant que, sauf en ce qui concerne l'évaluation du préjudice subi par M. Y..., l'affaire est en état d'être jugée ; qu'il y a lieu, dans cette mesure, d'évoquer et de statuer sur les conclusions dont était saisi le tribunal administratif ;
Sur la recevabilité des conclusions de la requête de M. Y... envers la société S.A.U.R. :
Considérant que si la requête introductive d'instance de M. Y... était dirigée exclusivement contre la commune de Saint-Léger-Les-Domart, dans le dernier état de ses conclusions formulées par un mémoire reçu au greffe du tribunal administratif le 7 juin 1994, alors que l'instruction n'était pas close, l'intéressé recherchait la responsabilité conjointe de la collectivité précitée et de la société S.A.U.R. ; que le dommage invoqué étant imputé à un ouvrage public, ces nouvelles conclusions n'étaient pas soumises à un délai déterminé ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposé par la société S.A.U.R. à la requête de M. Y..., au motif que sa responsabilité n'aurait pas été expressément engagée en temps utile par l'intéressé, doit être écartée ;
Sur la responsabilité de la société S.A.U.R. :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, notamment au cours de l'année 1987, le terrain que M. Y... venait d'acquérir, en vue d'y aménager un établissement piscicole et un parcours de pêche, a été pollué par les débordements d'un déversoir d'orage, collectant à la fois les eaux pluviales et les eaux usées de la commune de Saint-Léger-Les-Domart ; qu'en outre, les stations d'épuration qui traitaient les effluents, devenues obsolètes, avaient été supprimées et que le degré de pollution de ces derniers s'était sensiblement aggravé, par suite de déversements mal contrôlés en amont ;
Considérant, en premier lieu, que M. Y... qui est un tiers à l'égard du système d'assainissement de la commune, a droit à réparation pour tout dommage anormal, directement causé par les ouvrages publics ; que les éléments sus-mentionnés permettent de regarder comme établi le principe de ce droit à réparation de M. Y..., à raison de la pollution subie par son terrain ;
Considérant, en deuxième lieu, que la commune de Saint-Léger-Les-Domart avait alors confié l'exploitation et l'entretien de son système d'assainissement à la société S.A.U.R., selon le mode de l'affermage ; que, en dehors du cas de son insolvabilité, qui n'est nullement alléguée en l'espèce, le fermier est seul responsable de tels dommages, causés par les ouvrages publics dont il assure l'exploitation, à un tiers ; qu'en outre, il ressort des articles 2 et 4 du contrat d'affermage que la société fermière est responsable du bon fonctionnement du service qu'elle exploite à ses risques et périls ; que, dès lors, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que M. Y... aurait dû diriger son action en responsabilité contre le maître d'ouvrage ;
Considérant, en troisième lieu, que la responsabilité du fermier envers un tiers est engagée sans qu'il soit besoin de démontrer une faute dans l'exploitation de l'ouvrage ; que le moyen tiré par la S.A.U.R. de ce qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée dans sa propre gestion des installations, est donc inopérant ;
Considérant, en quatrième lieu, que M. Y... ne pouvait totalement ignorer les risques de pollution du terrain qu'il avait acquis et devait d'autant plus s'en préoccuper qu'il envisageait d'installer des équipements nécessitant un système d'alimentation en eau spécialement étudié ; que d'ailleurs, une première demande d'autorisation d'une exploitation piscicole s'est heurtée à un refus préfectoral ; que cependant l'ampleur de cette pollution, due en dernier lieu au déversement de véritables égouts, ne peut être regardée comme normalement envisageable pour le voisinage d'un réseau d'assainissement communal ; que le défaut de prévoyance imputable à M. Y... justifie seulement, dans ces conditions, que sa responsabilité soit retenue, à proportion de 50 % dans le préjudice qu'il invoque ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de prescrire une expertise sur ce point, que la société S.A.U.R. doit être reconnue seule responsable, à concurrence de 50 %, des conséquences dommageables causées à M. Y... par des déversements d'eaux polluées provenant des ouvrages d'assainissement voisins de son terrain ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, en application de ces dispositions, de condamner M. Y... à payer à la société S.A.U.R. une somme destinée à compenser les frais qu'elle a engagée dans la présente procédure d'appel ;
Article 1 : Les articles 1 et 2 du jugement susvisé du 29 juillet 1994 du tribunal administratif d'Amiens sont annulés.
Article 2 : La société S.A.U.R. est déclarée responsable de 50 % des préjudices subis par M. Y.... Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. Y... devant le tribunal administratif, est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties dans la présente instance d'appel est rejeté.
Article 4 : Les parties sont renvoyées devant le tribunal administratif d'Amiens afin qu'il soit statué sur le montant de l'indemnité due par la S.A.U.R. à M. Y..., dans les conditions fixées à l'article 2 ci-dessus.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société S.A.U.R., à la commune de Saint-Léger-Les-Domart, à M. Y... et au ministre de l'agriculture et de la pêche. Copie en sera adressée, pour information, au ministre de l'intérieur.