(Deuxième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 5 juillet 1994 présentée pour Mme Ginette X... domiciliée ... (Nord) ;
Mme X... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 23 mars 1994 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête tendant à obtenir la décharge :
- de cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1982, 1983, 1984 et 1985 ;
- des compléments de taxe sur la valeur ajoutée afférents aux mêmes années ;
Vu, enregistré au greffe le 6 juillet 1995, le mémoire en réponse, présenté au nom de l'Etat, par le ministre du budget, concluant au rejet de cette requête ;
Le ministre demande en outre à la Cour de supprimer du mémoire d'appel cinq passages qu'il estime injurieux pour l'administration ;
Vu, enregistré au greffe le 3 juin 1996, le mémoire complémentaire par lequel Mme X... confirme les conclusions et moyens initiaux de sa requête ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 1996 :
- le rapport de M. BATHIE, Conseiller,
- et les conclusions de M. COMMENVILLE, Commis-saire du Gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne le droit de communication de l'administration :
Considérant qu'aux termes des articles L.100 et L.101 du livre des procédures fiscales, dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits :
- "L.100" : "A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des impôts" ;
- "L.101" : "L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des impôts toute indication qu'elle peut recueillir de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt ..." ;
Considérant que, par une correspondance du 23 janvier 1986 le ministère public a transmis au service des impôts, en se référant à l'article L.101 du livre des procédures fiscales précité, des procès-verbaux d'interrogatoires faisant suite à une opération de police judiciaire effectuée le 18 avril précédent au bar "Le Quidam", laquelle a permis de constater les faits ayant ultérieurement entraîné la condamnation de l'exploitante, Mme X..., pour un délit de proxénétisme ;
Considérant que le ministère public tenait en tout état de cause des dispositions de l'article L.100 du livre des procédures fiscales, nonobstant la circonstance qu'il ait par erreur fait référence à celles de l'arricle L.101 du même code, la faculté de communiquer à l'administration tout dossier susceptible d'intéresser ses propres attributions ; qu'il n'est pas contesté que les documents transmis étaient de nature à révéler une dissimulation de revenus imposables par l'exploitante de l'établissement précité ; qu'il résulte de ces éléments que le moyen tiré de l'utilisation irrégulière, par l'administration, de son droit de communication auprès des autorités judiciaires, n'est pas fondé ;
En ce qui concerne le détournement de procédure allégué :
Considérant que l'administration a engagé dans le courant de l'année 1986, une vérification de comptabilité à l'encontre de Mme X..., portant sur les bénéfices industriels et commerciaux et la taxe sur la valeur ajoutée de son établissement, depuis le 1er janvier 1981 jusqu'à sa fermeture, intervenue au 19 avril 1985 ; qu'il est constant que, lors de ce contrôle, la contribuable n'a pu produire sa comptabilité, alors saisie pour les besoins de l'instruction pénale susévoquée ; que la vérification de comptabilité envisagée n'a pu, en conséquence, s'effectuer selon la procédure prévue ;
Considérant qu'il incombait à la requérante de prendre toutes initiatives utiles, afin de pouvoir produire les documents comptables nécessaires, en vue du débat contradictoire annoncé par le vérificateur ; qu'en particulier, elle pouvait solliciter du magistrat compétent une copie des documents alors saisis, en application de l'article 97 du code de procédure pénale ; que l'administration fiscale n'était pas tenue de rappeler cette faculté à la contribuable ; que Mme X... n'a ainsi pas établi que l'absence de présentation de sa comptabilité résultait d'un empêchement insurmontable ; qu'en conséquence, doit être regardée comme non fondée son allégation selon laquelle l'administration aurait sciemment engagé la vérification, tout en sachant que celle-ci serait matériellement impossible, afin de justifier les procédures d'office ensuite mises en oeuvre ; qu'il résulte de ces éléments que le moyen tiré d'un détournement de procédure doit être écarté ;
En ce qui concerne les procédures de redressement effectivement mises en oeuvre :
Considérant en premier lieu qu'aux termes de l'article L.8 du livre des procédures fiscales : "Le forfait de bénéfices industriels et commerciaux et de taxe sur la valeur ajoutée ... devient caduc lorsque le montant en a été fixé au vu de renseignements inexacts ..." ;
Considérant que la requérante ne conteste pas utilement, et a d'ailleurs expressément reconnu dans le cadre de l'enquête policière, que son bar "Le Quidam" lui procurait d'importantes ressources liées à la prostitution ; que, pour ce motif, l'administration était fondée à rendre caduc le forfait de bénéfices industriels et commerciaux et de taxe sur la valeur ajoutée de la période 1980-1981, établi sans tenir compte des activités occultes, en application de l'article L.8 précité ;
Considérant en deuxième lieu, que les nouveaux forfaits ont été établis par la commission départementale des impôts, au terme d'une procédure contradictoire, et que le chiffre d'affaires de l'entreprise a été fixé à 510 000 F ; que l'administration a ainsi pu constater que le seuil du régime de forfait, qui ressortait alors à 500 000 F était dépassé, et en l'absence des déclarations rendues obligatoires par le nouveau régime de bénéfice réel auquel se trouvait soumise la contribuable, procéder à une évaluation d'office des bénéfices industriels et commerciaux et à la taxation d'office de la taxe sur la valeur ajoutée, pour les années 1983 et suivantes, conformément aux dispositions alors en vigueur des articles L.73-1 et L.66-3 du livre des procédures fiscales ;
Considérant en troisième lieu qu'en raison de l'impossibilité pratique de procéder à la vérification de comptabilité annoncée, pour les raisons susanalysées, le vérificateur était fondé à procéder à une reconstitution des bases des impositions en litige par voie extra--comptable, et en fonction des renseignements en sa possession ; qu'en particulier, il n'était pas tenu d'ouvrir un débat contradictoire à propos des données transmises par l'autorité judiciaire ;
Considérant qu'il résulte de tous ces éléments que la requérante n'établit aucun vice des procédures suivies en l'espèce en vue de l'établissement des impositions en litige ;
Sur la reconstitution des bases d'imposition :
Considérant qu'il appartient à la requérante d'apporter la preuve de l'exagération des nouvelles bases d'imposition retenues, compte tenu des procédures mises en oeuvre à son égard, conformément aux articles L.191 et L.193 du livre des procédures fiscales ;
Considérant que le vérificateur s'est notamment basé sur un extrait d'interrogatoire de la contribuable par les services de police, dont il ressort que neuf jours d'exploitation produisaient des recettes de l'ordre de 23 000 F ; qu'il a extrapolé cette donnée, en tenant compte de l'évolution plausible de ces ressources, et de la fermeture de l'établissement au 19 avril 1985 ; qu'il a aussi, dans la mesure, où ils étaient connus, utilisé les éléments de calcul utiles comme les frais généraux justifiés, les marges pratiquées, ou la taxe déductible ;
Considérant que Mme X... n'établit pas que la période de référence retenue par le vérificateur serait trop réduite et ne serait pas représentative de l'activité de l'établissement ; que notamment, elle n'apporte pas, à l'appui du moyen selon lequel le personnel employé par l'établissement pendant la période de référence n'aurait pas été représentatif de l'activité de celui-ci pendant l'ensemble de la période vérifiée, de précisions et de justifications de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé ; que, d'une manière générale, les imprécisions dont la méthode de reconstitution peut être entachée, et qui sont exclusivement imputables aux dissimulations de la contribuable, ne suffisent pas à donner à cette méthode le caractère excessivement sommaire qu'invoque Mme X... ; que celle-ci ne propose pas de meilleure méthode à cette fin, et n'a, au demeurant, jamais, fourni d'éléments chiffrés et justifiés de nature à établir la surévaluation de ces bases ; que la contribuable n'a ainsi pas apporté la preuve qui lui incombait, de l'exagération des nouvelles bases d'imposition en litige, sur l'ensemble des années vérifiées ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille lui a refusé la décharge des impositions en litige ;
Sur la demande du ministre de suppression de passages estimés injurieux du mémoire d'appel :
Considérant que le ministre sollicite de la Cour la suppression dans le mémoire d'appel de la requérante, de passages qu'il estime injurieux ; que toutefois aucun des passages cités, replacés dans leur contexte, ne peut être regardé comme excédant les limites de la polémique admissible dans un débat contentieux ; que cette demande de suppression desdits passages du mémoire adverse, doit donc être rejetée ;
Article 1 : La requête susvisée de Mme Ginette X... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions reconventionnelles du ministre du budget tendant à la suppression de passages du mémoire d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Ginette X... et au ministre délégué au budget.