(Deuxième Chambre)
VU la requête, enregistrée le 16 août 1993, présentée pour la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR représentée par ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité ... (Côte d'Or) ;
La CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement en date du 1er juin 1993 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête tendant à la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été assignée au titre de la période du 1er janvier 1987 au 31 décembre 1989 ;
2°/ d'accorder la décharge demandée ;
3°/ d'accorder le remboursement des frais exposés soit la somme de 50 000F ;
VU le jugement attaqué ;
VU le mémoire en défense enregistré le 30 mars 1994, présenté par le ministre du budget ; le ministre conclut au rejet de la requête ;
VU le mémoire en réplique enregistré le 9 mai 1994, présenté pour la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR ; elle conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
VU le second mémoire en défense enregistré le 10 juin 1994 présenté par le ministre du budget ; il tend aux mêmes fins que le précédent mémoire par les mêmes moyens ;
VU le second mémoire en réplique enregistré le 1er juin 1995 présenté pour la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR ; il conclut aux mêmes fins que la requête et le précédent mémoire par les mêmes moyens ;
VU le troisième mémoire en défense enregistré le 3 août 1995 présenté par le Ministre de l'Economie et des Finances ; il tend aux mêmes fins que les précédents mémoires par les mêmes moyens ;
VU l'ordonnance en date du 16 août 1995 par laquelle l'instruction a été close à compter du 4 septembre 1995 ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code général des impôts ;
VU le livre des procédures fiscales ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 octobre 1995 :
- le rapport de Mme FELMY, Conseiller,
- et les conclusions de M. COMMENVILLE, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR a fait valoir dans un mémoire en réplique enregistré au greffe de la Cour le 9 mai 1994 que le tribunal administratif de Dijon avait omis de statuer sur sa demande reconventionnelle, cette demande a été présentée plus de deux mois après la notification du jugement attaqué soit après l'expiration du délai de deux mois qui lui était imparti ; que la demande est tardive et dès lors non recevable ;
Sur les conclusions principales relatives aux opérations de change manuel :
Considérant que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR conteste le bien-fondé du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé en raison de la position de l'administration consistant, pour l'application de la règle dite du "prorata", posée par l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts et relative à la taxe sur la valeur ajoutée déductible, à ne prendre en compte, dans le calcul des "recettes" visées par ledit article que le montant brut des profits réalisés par la caisse lors des opérations de change manuel, aux lieu et place de la totalité des sommes encaissées à l'occasion de ces transactions ;
Considérant qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts, alors applicable et relatif aux opérations obligatoirement imposables: "I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens meubles et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. II. La livraison d'un bien meuble s'entend du transfert de propriété d'un bien meuble corporel même si ce transfert est opéré en vertu d'une réquisition de l'autorité publique ... III. Les opérations autres que celles définies au II et, notamment, la livraison de biens meubles incorporels, les travaux immobiliers et les opérations de commission et de façon, sont considérées comme des prestations de services" ; qu'aux termes de l'article 266 du même code : "I. La base d'imposition est constituée : a) pour les livraisons de biens et les prestations de services, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contre-partie de la livraison ou de la prestation ..." ; qu'aux termes de l'article 261 C du même code : "Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : 1°) les opérations bancaires et financières suivantes : ... d. Les opérations, y compris la négociation, portant sur les devises, les billets de banque et les monnaies qui sont des moyens de paiement légaux à l'exception des monnaies et billets de collection ..." ; qu'aux termes de l'article 260 B alors en vigueur, du même code : "Les opérations qui se rattachent aux activités bancaires, financières et, d'une manière générale, au commerce des valeurs et de l'argent, telles que ces activités sont définies par décret, peuvent, lorsqu'elles sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, être soumises sur option à cette taxe ..." ; qu'aux termes de l'article 271 du même code : "I. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération" ; qu'aux termes de l'article 212 de l'annexe II du code général des impôts pris sur le fondement de l'article 273 dudit code pour l'application de l'article 271 de celui-ci qui a transposé les dispositions de l'article 19-1 de la 6ème directive du Conseil des communautés européennes en date du 17 mai 1977 : "Les assujettis qui ne réalisent pas exclusivement des opérations ouvrant droit à déduction sont autorisés à déduire une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les biens constituant des immobilisations égale au montant de cette taxe multipliée par le rapport existant entre le montant annuel des recettes afférentes à des opérations ouvrant droit à déduction et le montant annuel des recettes afférentes à l'ensemble des opérations réalisées ..." ; qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 256-1 et du d) du 1° de l'article 261 C du code général des impôts, et de l'article 260 B du même code dans leur rédaction applicable avant le 29 juillet 1991, que les opérations portant sur les devises visées au d) du 1° de l'article 261 C sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée mais peuvent y être assujetties sur option ; que dans ce cas, le montant des recettes provenant de ces opérations doit être pris en compte pour le rapport défini à l'article 212 de l'annexe II précité tant au numérateur qu'au dénominateur ;
Considérant qu'au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, les opérations de change, et notamment de change manuel, même si elles donnent lieu à un contrat d'achat et de vente portant sur les devises, consistent en un échange d'instruments de paiement, dans lequel l'intervention de l'établissement bancaire ne peut être regardée que comme une prestation de service, dont la rémunération est constituée par la commission perçue et le profit de change réalisé ; que c'est cette rémunération, et non le prix total des devises échangées, qui constitue pour l'établissement bancaire qui procède à l'opération tant la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée que la recette ou le chiffre d'affaires au sens de l'article 212 de l'annexe II précité qui a transposé l'article 19-1 de la 6ème directive du conseil des communautés européennes en date du 17 mai 1977, relatif au calcul du prorata de déduction ;
Considérant qu'aux termes de l'article 7-1 de la loi susvisée du 26 juillet 1991, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier : "Pour l'application de l'article 256 du code général des impôts, les opérations mentionnées au d) ... du 1° de l'article 261 C du même code sont considérées comme des prestations de service. Le chiffre d'affaires afférent à ces opérations est constitué par le montant des profits et autres rémunérations. Cette disposition présente un caractère interprétatif sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée" ;
Considérant que cet article, à caractère interprétatif, dans la mesure où il dispose que les opérations mentionnées au d) du 1° de l'article 261 C du code général des impôts, parmi lesquelles figurent les opérations de change, notamment de change manuel, doivent être regardées comme des prestations de services dont le chiffre d'affaires est constitué par le montant des profits et autres rémunérations, se borne à expliciter la règle de droit déjà applicable, avant l'intervention dudit article, aux opérations de change ; que dès lors, l'article 7-1 précité est conforme au droit communautaire ;
Considérant que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR entend sur le fondement des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales se prévaloir de l'instruction administrative du 31 janvier 1979 reprise à la documentation administrative 3 L-5321 du 1er janvier 1984 ;
Considérant, que si l'instruction de la direction générale des impôts 3 L-1-79 en date du 31 janvier 1979, reprise à la documentation administrative 3 L-5321 datée du 1er janvier 1984, qualifie les opérations de change manuel de "livraisons de biens meubles corporels", cette position n'a été admise qu'au point de vue de la territorialité et du fait générateur de l'impôt et ne concerne pas l'assiette de la taxe ou l'étendue du droit à déduction ; que la doctrine selon laquelle, en matière d'opérations de change manuel, le prorata se calcule dans les conditions de droit commun n'ajoute rien à la loi ; que la caisse requérante ne saurait donc s'en prévaloir sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ;
Considérant, enfin, que les impositions litigieuses ayant été établies légalement sur le fondement des dispositions susmentionnées du code général des impôts l'appréciation du bien-fondé de ces impositions ne saurait, dès lors, dépendre du point de savoir si la neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée constitue ou non un principe général du droit ; qu'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité de la loi aux principes généraux du droit ; que, par suite, la caisse requérante, qui n'excipe de l'illégalité d'aucun texte réglementaire, ne peut, en tout état de cause, valablement demander à la Cour de "dire que la neutralité de taxe sur la valeur ajoutée n'a pas valeur de principe général du droit, aussi bien en droit interne qu'en droit communautaire" ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la caisse requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon, a rejeté les conclusions de sa demande ;
Sur les conclusions subsidiaires relatives à un nouveau calcul du "prorata" à raison des recettes afférentes aux opérations exonérées de taxe sur la valeur ajoutée :
Considérant que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR requérante fait valoir que les prêts qu'elle consent à ses clients proviennent en grande partie d'avances que lui fait la Caisse Nationale de Crédit Agricole à raison desquelles elle supporte des charges financières ; que le chiffre d'affaires qu'elle réalise effectivement à l'occasion de ses opérations de prêts ne correspondrait pas au montant des intérêts versés par ses clients mais représenterait ce montant diminué desdites charges ; que, prétendant que pour le calcul du "prorata" défini à l'article 212 de l'annexe II au code le chiffre d'affaires des opérations imposables de plein droit ou par option à la taxe sur la valeur ajoutée est limité au seul "profit brut", elle sollicite que le volume d'affaires afférent aux opérations de prêts, lesquelles sont exonérées, ne figure au dénominateur que pour celui qui résulte de la "marge brute sur intérêts" ;
Considérant que la prestation d'avances effectuée par la Caisse Nationale de Crédit Agricole au profit des caisses régionales, dès lors que la première est une entité juridique différente des secondes, est distincte de la prestation de crédit rendue par celles-ci au profit de leurs emprunteurs avec qui elles sont liées par un contrat de prêt conclu exclusivement avec eux ; qu'ainsi la recette procurée par chacune de ces opérations doit être déterminée indépendamment l'une de l'autre ; que l'intérêt inhérent à l'opération de prêts des caisses régionales est le prix réclamé à leurs clients à raison de la prestation qui leur est consentie ; qu'il constitue la rémunération que perçoivent ces caisses en contrepartie du service rendu ; que cet intérêt répond à la notion de recette telle qu'elle résulte des termes précités de l'article 266-1° a du code général des impôts et de l'article 212 de l'annexe II audit code ; que cette définition s'applique aussi bien aux opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée qu'à celles qui en sont exonérées et recouvre, d'ailleurs, celle de "montant brut du profit" retenue pour les opérations de change manuel ; que cette notion ne saurait être étendue au "bénéfice brut" rapporté par l'opération de prêts et préconisé par la requérante ; que, pour la détermination du pourcentage général de déduction, la recette afférente aux opérations de prêts dont s'agit est donc celle procurée par lesdites opérations soit les intérêts versés par les emprunteurs des caisses régionales sans que puissent être déduites du montant de ces intérêts les charges financières inhérentes aux opérations d'avances qui lient lesdites caisses à la Caisse Nationale de Crédit Agricole ;
Considérant qu'il suit de là que la caisse requérante n'est pas fondée à soutenir que la détermination du volume d'affaires faite par l'administration procéderait de deux méthodes différentes selon qu'il s'agit d'opérations imposables ou d'opérations exonérées ; que, dès lors que l'opération d'avance effectuée par la Caisse Nationale de Crédit Agricole est distincte de celle de prêt consentie par les caisses régionales à leurs clients, la requérante ne saurait valablement alléguer que la "rémunération d'un même crédit" est retenue, pour l'établissement du "prorata", à la fois au niveau de la caisse nationale et à celui des caisses régionales ; que, par suite, le calcul du pourcentage général de déduction procédant de l'application de la loi fiscale, elle ne saurait utilement invoquer que les établissements du groupe bancaire auquel elle appartient seraient traités défavorablement par rapport à d'autres établissements financiers ou bancaires ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la caisse requérante, ne peuvent, être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens:
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation." ;
Considérant que la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Article 1 : La requête présentée par la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'OR et au ministre de l'économie et des finances.