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21/11/1989 | FRANCE | N°89NC00215

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 21 novembre 1989, 89NC00215


Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 02 décembre 1986 et 02 avril 1987 sous le n° 83468 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 02 janvier 1989 sous le n° 89NC00215, présentés pour la société des constructions navales et industrielles de la Méditerranée, société anonyme dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice, tendant à ce que la Cour :
1) annule le jugement en date du 02 octobre 1986 par lequel le tribunal administratif de STRASBOURG l'a cond

amnée à verser au syndicat à vocation multiple de l'agglomération messin...

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 02 décembre 1986 et 02 avril 1987 sous le n° 83468 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 02 janvier 1989 sous le n° 89NC00215, présentés pour la société des constructions navales et industrielles de la Méditerranée, société anonyme dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général en exercice, tendant à ce que la Cour :
1) annule le jugement en date du 02 octobre 1986 par lequel le tribunal administratif de STRASBOURG l'a condamnée à verser au syndicat à vocation multiple de l'agglomération messine la somme de 2 825 494,71 F et a mis les frais d'expertise à sa charge ;
2) ordonne, le cas échéant, une mesure d'expertise afin de rechercher les causes exactes des désordres litigieux ;
Vu le mémoire en défense formant recours incident enregistré le 09 juin 1987, présenté pour le syndicat à vocation multiple de l'agglomération messine et tendant à ce que la Cour :
- rejette la requête de la société CNIM ; - condamne la société à réparer l'intégralité des dommages subis par lui et à lui verser la somme de 3 087 147 ,56 F avec intérêts de droit et capitalisation des intérêts ;
Vu l'ordonnance du 1er décembre 1988 par laquelle le Président de la 4ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis le dossier à la Cour administrative d'appel ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, le décret n° 88-707 du 9 mai 1988 et le décret n° 88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 07 novembre 1989 :
- le rapport de M. JACQ, Conseiller ;
- les observations de Me Y... de la SCP LEMAITRE, MONOD, avocat de la Société C.N.I.M. et de Me X... de la SCP FORTUNET, MATTEI, DAWANCE, avocat du S.I.V.O.M. de l'agglomération messine ;
- et les conclusions de Mme FRAYSSE, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'en vertu d'un marché de travaux publics signé le 26 juillet 1968, la société de constructions navales et industrielles de la Méditerranée (C.N.I.M.) a été chargée par la ville de METZ de la construction d'une usine d'incinération d'ordures ménagères avec récupération d'énergie pour produire de l'électricité ; que par un avenant en date du 10 septembre 1970 cette société a pris en charge le lot initialement confié à la société Lallement-Piguet et relatif à la construction du caniveau et des canalisations reliant l'usine d'incinération à l'usine d'électricité ; que de graves désordres étant apparus en 1979 sur l'ensemble du réseau et ayant entraîné sa mise hors service partielle, le syndicat à vocation multiple de l'agglomération messine, chargé de l'exploitation de l'usine et venant aux droits de la ville de METZ, a demandé au tribunal administratif de STRASBOURG, le 13 octobre 1980, sur le fondement de la garantie décennale, de condamner l'entreprise à réparer le préjudice subi ; que, par le jugement en date du 02 octobre 1986, le tribunal a condamné la société C.N.I.M. à réparer 70 % du préjudice, laissant 30 % des conséquences dommageables à la charge du SIVOM ; que la société C.N.I.M. fait appel de ce jugement et conteste sa responsabilité ; que le SIVOM demande, par voie de recours incident, de condamner l'entreprise à réparer l'intégralité des dommages subis ;
Sur la mise en jeu de la responsabilité décennale :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports de l'expert désigné par le tribunal administratif, que de graves désordres ont affecté le caniveau et les canalisations posés entre les deux usines et destinés au transport de la vapeur produite par l'usine d'incinération ; que ces désordres étaient, par leur importance, de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ; que, dès lors, ils ne relevaient pas de la garantie biennale mais engageaient, vis-à-vis du maître de l'ouvrage, la responsabilité décennale du constructeur prévue par les articles 1792 et 2270 du code civil ; qu'il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal administratif a écarté la fin de non-recevoir tiré de l'expiration du délai de garantie biennale et admis que pouvait être mise en jeu la responsabilité décennale de la société C.N.I.M. ;
Sur les responsabilités encourues :
Considérant qu'il résulte des rapports de l'expert commis par le tribunal administratif, et dont la compétence ne saurait être mis en doute, que les dommages constatés sur l'ensemble du réseau et sur les canalisations sont imputables à de nombreux vices de conception et d'exécution ; qu'en particulier, le profil du radier présentait des anomalies favorisant les concentrations d'eaux d'infiltration ; qu'aucun puits de collecte des eaux n'avait été prévu ; que le conduit vapeur n'avait pas l'écartement imposé par les normes en vigueur entre l'isolant et le radier ; que le système des supports de tuyauterie était rudimentaire et que les purgeurs d'eau condensée présentaient de graves anomalies ; que le dispositif interne des supports de canalisations ne correspondait pas au plan d'exécution ; qu'enfin, le béton utilisé était poreux et inadapté pour ce genre d'ouvrage ;

Considérant qu'en vertu du cahier des charges annexé au marché relatif à la construction de l'usine, la société C.N.I.M. était chargée de la maîtrise d'oeuvre totale ; que l'article 2 de l'avenant en date du 10 septembre 1970 faisait expressément référence aux clauses de ce cahier des charges ; que, dès lors, la société C.N.I.M. qui, après l'éviction de l'entreprise Lallement-Piguet, a reçu l'ordre de service de commencer les travaux de construction du caniveau et des canalisations de liaison, le 20 avril 1970, et a remis le devis descriptif de ces travaux au maître de l'ouvrage, le 15 juillet 1970, doit être regardée comme ayant accepté de prendre entièrement en charge tant la conception que l'exécution de ces travaux ; qu'étant spécialisée dans la construction de ce type d'ouvrages, elle n'a fait de réserves ni sur le tracé du site du caniveau ni sur la conception initiale de l'ouvrage ; qu'elle n'a pas non plus attiré l'attention du maître de l'ouvrage, dans le cadre de son devoir de conseil, sur les inconvénients du projet ; que, par suite, sa responsabilité décennale se trouve engagée, vis-à-vis du SIVOM de l'agglomération messine, à raison des vices de conception et des défauts d'exécution constatés ;
Considérant, toutefois, que, nonobstant les difficultés matérielles inhérentes au dispositif interne du système installé, et même si l'arrêt des purgeurs automatiques d'eau condensée, qui étaient inefficaces, ne peut être regardé comme ayant provoqué les désordres litigieux, le SIVOM, chargé de l'exploitation de l'ouvrage, qui connaissait le tracé du réseau et n'ignorait pas le caractère inondable du site, a négligé d'effectuer les opérations courantes d'entretien, de contrôle et de surveillance de l'ouvrage qui s'imposaient ; qu'il a ainsi commis une faute de nature à atténuer la responsabilité de l'entreprise ; que, dans ces conditions et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise complémentaire sollicitée, le tribunal administratif, contrairement à ce soutiennent les parties en appel, n'a pas fait une appréciation inexacte des responsabilités encourues par elles en mettant à la charge de la société C.N.I.M. 70 % des conséquences dommageables des désordres affectant l'ouvrage et en laissant les 30 % restants à la charge du SIVOM de l'agglomération messine ;
Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant que l'évaluation des dommages subis par le SIVOM de l'agglomération messine devait être faite à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer ; qu'en l'espèce, cette date est, contrairement à ce que soutient la société C.N.I.M., celle du 11 juillet 1984 à laquelle l'expert désigné par le tribunal administratif a déposé son deuxième rapport d'expertise ; que, si l'expert a évalué le coût de réfection du caniveau et des canalisations reliant l'usine d'incinération des ordures et l'usine d'électricité à la somme de 4 308 972,40 F, il résulte de l'instruction, et notamment des pièces versées au dossier d'appel, que les travaux ont été exécutés pour le montant global de 3 867 973,88 F taxe comprise ; qu'il sera fait une exacte appréciation des améliorations apportées au regard des prévisions du marché, par ces travaux de réfection de l'ouvrage, en réduisant ladite somme de 10 % pour la ramener à 3 481 176,50 F ; qu'après application d'un abattement de 30 % tenant compte de la vétusté de l'ouvrage lorsque les désordres sont apparus en 1979, plus de 7 ans après la réception définitive, le montant des travaux de réfection à retenir est de 2 436 823,55 F ; qu'en ajoutant la somme de 123 989,18 F correspondant, taxe comprise, au montant des pertes d'exploitation résultant desdits désordres, le montant du préjudice indemnisable s'élève à 2 560 812,73 F ; que, compte tenu du partage de responsabilité, il y a lieu de condamner la société C.N.I.M. à verser au SIVOM de l'agglomération messine la somme de 1 792 568,91 F taxe incluse ; qu'en conséquence, le jugement attaqué sera réformé en ce sens et le surplus des conclusions de la requête ainsi que le recours incident du SIVOM seront rejetés ;
Sur les frais de constat et d'expertise :
Considérant qu'aux termes de l'article R 180 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel "Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ..." ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de mettre entièrement à la charge de la société C.N.I.M. les frais du constat d'urgence et de l'expertise ordonnés les 23 juillet et 31 juillet 1979 par le président du tribunal administratif de STRASBOURG, ainsi que les frais de l'expertise ordonnée par jugement en date du 1er décembre 1983 du tribunal administratif ; que le jugement attaqué doit être réformé en ce sens ;
Article 1 : L'indemnité de 2 825 494,71 F que la société des constructions navales et industrielles de la Méditerranée a été condamnée à verser au syndicat intercommunal à vocation multiple de l'agglomération messine, par le jugement en date du 02 octobre 1986 du tribunal administratif de STRASBOURG, est réduite à la somme de 1 792 568,91 F.
Article 2 : Les frais du constat d'urgence et de l'expertise ordonnés les 23 juillet et 31 juillet 1979 par le président du tribunal administratif de STRASBOURG, ainsi que les frais de l'expertise ordonnée par jugement du tribunal administratif de STRASBOURG en date du 1er décembre 1983, sont mis à la charge de la société des constructions navales et industrielles de la Méditerranée.
Article 3 : Le jugement du 02 octobre 1986 du tribunal administratif de STRASBOURG est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société C.N.I.M. et le recours incident du SIVOM de l'agglomération messine sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société des constructions navales et industrielles de la Méditerranée et au syndicat à vocation multiple de l'agglomération messine.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 89NC00215
Date de la décision : 21/11/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - DESORDRES DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS - ONT CE CARACTERE.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - RESPONSABILITE DE L'ARCHITECTE.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - RESPONSABILITE DE L'ENTREPRENEUR.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - REPARATION - PREJUDICE INDEMNISABLE - EVALUATION - ABATTEMENT POUR VETUSTE.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - REPARATION - PREJUDICE INDEMNISABLE - EVALUATION - PLUS-VALUES APPORTEES AUX OUVRAGES PAR LA REPARATION DES DESORDRES.


Références :

Code civil 1792, 2270
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R180


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: JACQ
Rapporteur public ?: FRAYSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1989-11-21;89nc00215 ?
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