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24/10/1989 | FRANCE | N°89NC00293;89NC00854

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 24 octobre 1989, 89NC00293 et 89NC00854


Vu : 1°) la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 19 mai et 1er septembre 1987 sous le numéro 87505, et au greffe de la Cour administrative d'appel le 30 janvier 1989 sous le numéro 89NC00854, présentés pour le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, représenté par son directeur en exercice, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 24 mars 1987 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne l'a déclaré responsable des conséquences dommageables résultant pour M. Roland X... de

son hospitalisation du 19 au 21 mars 1979 audit centre hospitalier, ...

Vu : 1°) la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 19 mai et 1er septembre 1987 sous le numéro 87505, et au greffe de la Cour administrative d'appel le 30 janvier 1989 sous le numéro 89NC00854, présentés pour le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, représenté par son directeur en exercice, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 24 mars 1987 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne l'a déclaré responsable des conséquences dommageables résultant pour M. Roland X... de son hospitalisation du 19 au 21 mars 1979 audit centre hospitalier, l'a condamné à lui verser une indemnité provisionnelle de 50 000 F, a ordonné avant dire droit une expertise afin d'évaluer les divers préjudices subis par lui et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
- déclare la requête de M. X... irrecevable sur le fondement de la prescription quadriennale ;
- subsidiairement, rejette cette requête et la demande d'allocation provisionnelle et, en tout état de cause, réduise sensiblement le montant de l'allocation accordée par le tribunal ;
2°) la requête sommaire , le mémoire ampliatif et la demande de sursis à exécution enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 3 mars et 21 avril 1988 sous le numéro 95796, et au greffe de la Cour administrative d'appel le 2 janvier 1989 sous le numéro 89NC00293, présentés pour le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, représenté par son directeur en exercice, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 15 décembre 1987 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne l'a condamné à verser, d'une part, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne la somme de 253 819,35 F en remboursement de ses débours, d'autre part, à M. X... la somme de 840 000 F avec intérêts légaux à compter de la réception de sa demande préalable en date du 27 juillet 1984, en réparation des conséquences dommageables résultant de son hospitalisation du 19 au 21 mars 1979, et a mis à sa charge les frais d'expertise ;
- ordonne le sursis à exécution de ce jugement ;
- rejette lesdites demandes et, en tout état de cause, réduise les indemnités accordées ;
Vu les ordonnances des 1er décembre 1988 et 24 janvier 1989 par lesquelles le Président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis les dossiers à la Cour administrative d'appel ;
Vu les jugements attaqués ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n°87-1127 du 31 décembre 1987, le décret n°88-707 du 9 mai 1988 et le décret n°88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 10 octobre 1989 :

- le rapport de M. FONTAINE, conseiller ;
- les observations de Maître ANCEL, avocat de M. X... ;
- et les conclusions de Mme FRAYSSE, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes du centre hospitalier de Châlons-sur-Marne sont relatives aux conséquences dommageables de l'hospitalisation de M. X... dans cet établissement du 19 au 21 mars 1979 ; qu'elles ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par un même arrêt ;
Considérant que M. X..., artisan boucher, a été victime d'un accident de la circulation le 19 mars 1979 alors qu'il conduisait une bétaillère sur la R.N.3 en direction de Châlons-sur-Marne ; qu'atteint de contusions abdominales, d'une luxation du pied et d'une fracture de la jambe gauche assortie de nombreuses plaies, il a été opéré, le même jour, au centre hospitalier de cette ville ; que le surlendemain, une gangrène gazeuse ayant été constatée, il a été transféré au centre hospitalier de Reims où il a été amputé de sa jambe ;
Sur la prescription quadriennale :
Considérant qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : "sont prescrites ...toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis" ;
Considérant que c'est à bon droit que le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne a opposé la prescription quadriennale à la demande de réparation présentée par M. X... au titre des pertes de revenus qu'il a subies pendant l'année 1979 et dont l'existence et l'importance se sont révélées au cours de cet exercice ; que si l'intéressé a déposé plainte, le 23 avril 1979, contre le chirurgien qui l'a opéré à la suite de son accident et s'est constitué partie civile, cette action, qui n'était dirigée contre aucune collectivité publique, ne peut être regardée comme un recours de nature à interrompre le cours de la prescription quadriennale au sens des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 ;
Considérant, en revanche, que pour les dommages dont l'importance ne s'est manifestée dans toute son ampleur qu'au cours des années suivantes, le délai de prescription quadriennale n'a pas commencé à courir, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, le 1er janvier 1980 mais le 1er janvier de l'année suivant celle au cours de laquelle les lésions ont été consolidées ; que l'expert commis par le tribunal ayant fixé la date de consolidation au 19 mars 1983, la demande d'indemnité adressée par M. X... au centre hospitalier le 27 juillet 1984 n'était pas atteinte par la prescription en ce qui concerne les pertes de revenus subies depuis le 1er janvier 1980 et la réparation de son incapacité permanente partielle, de son préjudice esthétique, des troubles dans ses conditions d'existence et des souffrances physiques endurées ; que, sur ces derniers points, le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué en date du 24 mars 1987, le tribunal administratif a écarté l'exception tirée de la déchéance quadriennale ;
Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports de deux des trois collèges d'experts désignés au cours de l'instance pénale engagée par M. X..., que le chirurgien qui a réduit les fractures et suturé les plaies qu'il présentait sur sa jambe gauche ne s'est enquis des circonstances de l'accident de circulation dont il avait été victime ni avant de pratiquer ces interventions ni le lendemain, alors que la victime se plaignait de vives douleurs locales et présentait une température élevée ; qu'il s'est abstenu de prescrire l'antibiothérapie qu'imposaient des signes généraux d'infection et qui eut pu prévenir la complication gangréneuse qui devait aboutir à la perte de la jambe gauche ; que ces faits ont constitué, dans les circonstances de l'espèce, une faute lourde d'ordre médical qui a compromis les chances qu'avait M. X... de recouvrer un usage normal de sa jambe après son accident ; qu'il suit de là que le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'amputation subie par M. X... à la suite de son hospitalisation dans ses services ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert commis par le tribunal administratif que M. X..., qui était âgé de 27 ans lorsqu'il a été opéré, reste atteint des séquelles propres à une amputation haute de la cuisse qui lui occasionnent une incapacité permanente partielle de 65 % directement imputable aux conséquences dommageables de la faute commise ; qu'il a dû abandonner son activité d'artisan boucher ; que compte tenu du revenu moyen qu'il tirait de son commerce dans la période précédant son accident, la perte de revenus que M. X... a subie pendant la période non prescrite d'incapacité temporaire totale, qui s'étend du 1er janvier 1980 au 19 mars 1981, et la période d'incapacité temporaire partielle, qui s'est achevée le 19 mars 1983, justifie l'allocation, de ce chef d'une indemnité limitée à 210 000 F ; que le tribunal administratif a fait une juste appréciation de l'atteinte portée à son intégrité physique et des troubles de toute nature apportés dans ses conditions d'existence en fixant à 400 000 F ce chef de préjudice, dont 50 000 F représentent l'indemnité de caractère personnel visée à l'article L.397 du code de la sécurité sociale ; qu'il a fait, une exacte appréciation des souffrances endurées, qualifiées d'assez importantes par l'expert, et du préjudice esthétique, estimé moyen, en évaluant ces deux chefs de préjudice à 90 000 F ;

Considérant que le préjudice subi comprend, en outre, la somme de 163 151,35 F correspondant aux frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation, de réadaptation fonctionnelle, de transport et d'appareillage pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, à qui le centre hospitalier n'a pas expressément opposé la prescription quadriennale ; qu'il y a lieu d'y ajouter, dans la limite d'un capital représentatif de 90 668 F, les coûts de renouvellement et de réparation de l'appareillage de M. X... qui constituent un préjudice certain ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le montant global du préjudice que le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne doit être condamné à réparer s'élève à la somme de 953 819,35 F ;
Sur les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne justifie du règlement de 163 151,35 F de frais divers ; qu'elle a droit au remboursement des frais d'appareillage dans la limite d'un capital de 90 668 F ; qu'ainsi la créance de la caisse primaire s'élève à 253 819,35 F ; que cette somme est inférieure à la fraction de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier sur laquelle elle peut s'imputer en application de l'article L.397 précité ; que, dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne ladite somme de 253 819,35 F ;
Sur les droits de M. X... :
Considérant qu'après prélèvement des sommes revenant à la caisse primaire, l'indemnité restant due à M. X... au titre du préjudice corporel s'élève à 560 000 F ; que, compte tenu des préjudices à caractère personnel d'un montant global de 140 000 F et de la provision de 50 000 F accordée par le jugement en date du 24 mars 1987, le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne doit être condamné à verser à M. X... la somme totale de 650 000 F ; qu'il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué en date du 15 décembre 1987 ;
Considérant que c'est à bon droit que le tribunal administratif a fixé le point de départ des intérêts de la somme due à M. X... à la date de réception par le Centre hospitalier de la demande préalable qui lui a été adressée le 27 juillet 1984 par l'intéressé ; que, par contre, ce dernier n'a demandé la capitalisation des intérêts que le 7 octobre 1987 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande, en application de l'article 1154 du code civil, et de réformer en conséquence le jugement du 15 décembre 1987 qui a fixé, à tort, au 14 Mai 1987 la date de capitalisation ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 1er du décret n°88-907 du 2 septembre 1988 :
Considérant que M. X... n'apporte aucune justification à l'appui de ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier au versement d'une indemnité de 100 000 F, par application des dispositions de l'article 1er du décret n°88-907 du 2 septembre 1988 ; que, par suite, ces conclusions ne peuvent être accueillies ;
Article 1er : L'indemnité que le centre hospitalier de Châlons-sur-Marne a été condamné à verser à M. Roland X... par le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 15 décembre 1987 est ramenée de 840 000 F à 650 000 F. Les intérêts dûs sur cette somme et échus le 7 octobre 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-même intérêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 15 décembre 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : La requête n°89NC00854 du centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, le surplus des conclusions de sa requête n°89NC00293 et le surplus des conclusions de M. Roland X... sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Châlons-sur-Marne, à M. X... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 89NC00293;89NC00854
Date de la décision : 24/10/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-02-02-04 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ACTES MEDICAUX - ABSENCE DE FAUTE LOURDE - EXECUTION DU TRAITEMENT OU DE L'OPERATION


Références :

Code civil 1154
Code de la sécurité sociale L397
Décret 88-907 du 02 septembre 1988 art. 1
Loi 68-1250 du 31 décembre 1968 art. 1, art. 2


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: FONTAINE
Rapporteur public ?: FRAYSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1989-10-24;89nc00293 ?
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