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16/05/1989 | FRANCE | N°89NC00005

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 16 mai 1989, 89NC00005


VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 10 juillet et 10 novembre 1987 sous le numéro 89293 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 2 janvier 1989 sous le numéro 89NC00005, présentés pour la Commune de DOUCHY-LES-MINES (NORD) représentée par son maire en exercice, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 13 mai 1987 par lequel le tribunal administratif de LILLE a condamné solidairement M. X..., architecte, et l'entreprise CARTIGNY à lui payer une indemnité de 46 380 F en répara

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VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 10 juillet et 10 novembre 1987 sous le numéro 89293 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 2 janvier 1989 sous le numéro 89NC00005, présentés pour la Commune de DOUCHY-LES-MINES (NORD) représentée par son maire en exercice, tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 13 mai 1987 par lequel le tribunal administratif de LILLE a condamné solidairement M. X..., architecte, et l'entreprise CARTIGNY à lui payer une indemnité de 46 380 F en réparation des désordres affectant le bâtiment à usage de perception qu'ils ont réalisé ;
- les déclare responsables de l'intégralité des désordres et les condamne à lui payer la somme de 740 958 F à majorer de la T.V.A. applicable, avec intérêts de droit à compter de la demande de première instance et capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an ;
- subsidiairement, condamne M. X... à supporter la réparation, fixée comme indiquée ci-dessus, des désordres qui seraient regardés comme procédant de vices apparents lors de la réception définitive ;
- condamne l'architecte et l'entreprise à supporter les frais d'expertise ;
VU le mémoire en défense et en appel incident enregistré le 23 mars 1988 présenté pour M. X..., architecte, tendant à ce que la Cour :
- rejette le recours de la commune de DOUCHY-LES-MINES ;
- annule le jugement attaqué en ce qu'il a retenu sa responsabilité envers la commune et condamne celle-ci en tous les dépens, y compris les frais d'expertise ;
VU le mémoire en défense et en appel incident enregistré le 7 juillet 1988 présenté pour la S.A.R.L. CARTIGNY tendant à ce que la Cour :
- rejette le recours de la commune de DOUCHY-LES-MINES ;
- annule le jugement attaqué en ce qu'il a reconnu sa responsabilité envers elle ;
VU l'ordonnance du 1er décembre 1988 par laquelle le Président de la 4ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis le dossier à la Cour administrative d'appel ;
VU le jugement attaqué ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des marchés publics ;
VU le code des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel ;
VU la loi 77-1488 du 30 décembre 1977 ;
VU la loi 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
VU les décrets 88-707 du 9 mai 1988 et 88-906 du 2 septembre 1988 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 2 mai 1989 :
- le rapport de M. FONTAINE, conseiller ;
- les observations de Maître Y... de la SCP MASSE-DESSEN-GEORGES, avocat de la Commune de DOUCHY-LES-MINES, de Maître LE PRADO, substituant Maître BOULLOCHE, avocat de M. X..., et de Maître Z..., substituant Maître ROGER, avocat de la Société CARTIGNY ;

- et les conclusions de Mme FRAYSSE, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, devant le tribunal administratif de LILLE, la commune de DOUCHY-LES-MINES avait soutenu qu'en tout état de cause la responsabilité contractuelle de M. X..., architecte, était engagée pour avoir commis une faute en n'appelant pas son attention sur les défectuosités de nature à faire obstacle à ce que fût prononcée sans réserve la réception définitive des travaux de construction par la S.A.R.L. CARTIGNY d'un bâtiment à usage de perception ; que le tribunal administratif a omis de répondre à ce moyen en ce qui concerne l'ensemble des désordres affectant l'immeuble, à l'exception de ceux relatifs à l'isolation et à la ventilation du logement de fonctions ; que, par suite, le jugement attaqué en date du 13 mai 1987 doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le tribunal administratif par la commune de DOUCHY-LES-MINES ;
Sur les responsabilités encourues :
En ce qui concerne les désordres affectant l'isolation et la ventilation du logement de fonctions :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée en référé le 31 mars 1982, que les traces de condensation et les moisissures constatées dans le logement de fonctions ainsi que les malfaçons affectant la ventilation étaient, par leur importance et leur généralité, de nature à rendre ces locaux d'habitation impropres à leur destination ; que si certains désordres étaient apparents lors de la réception définitive des travaux intervenue le 3 octobre 1978, la gravité de leurs conséquences n'avait pu alors apparaître au maître de l'ouvrage ; que ces désordres, qui sont causés par les ponts thermiques existant au niveau des raccords entre les plafonds et la voûte formant couverture, et qui sont dus à la fois à un vice de conception et à un défaut d'exécution, engagent vis-à-vis de la commune de DOUCHY-LES-MINES, alors même que les locaux n'ont pas cessé d'être habités, la responsabilité solidaire de M. X... et de la S.A.R.L. CARTIGNY sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; qu'il sera fait une exacte appréciation des parts respectives de responsabilité des constructeurs en imputant à l'erreur de conception commise par l'architecte les trois quarts des conséquences dommageables desdites malfaçons, un quart devant rester définitivement à la charge de l'entrepreneur ;
En ce qui concerne la voûte en briques formant la couverture :

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que la voûte en "briques surchistes" formant la couverture de l'immeuble a été réalisée en violation des règles de l'art ; que sous l'effet conjugué de la perméabilité des briques et de l'absence de feutre bitumé entre le voile en béton et les tôles galvanisées formant support, les défectuosités de cette couverture s'aggravent inéluctablement et, à terme, nécessiteront sa réfection complète ; que si l'éclatement des briques dû aux intempéries était apparent et connu du maître de l'ouvrage à la date de la réception définitive, l'ampleur et les graves conséquences du phénomène ne se sont manifestées que postérieurement à la réception ; que ces désordres et malfaçons sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage et à le rendre impropre à sa destination, engageant ainsi, à l'égard de la commune, la responsabilité solidaire des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ;
Considérant que la conception de cette voûte en violation des règles de l'art justifie la mise à la charge définitive de l'architecte des trois quarts des conséquences dommageables des malfaçons susmentionnées ; que le dernier quart doit être supporté par l'entrepreneur qui n'a formulé aucune réserve avant d'exécuter lesdits travaux ;
En ce qui concerne la réfection des peintures du hall d'accueil du public :
Considérant que les désordres affectant les peintures autour des baies du hall d'accueil du public ont fait l'objet d'une réserve expresse au procès-verbal de réception définitive ; qu'ainsi le moyen qu'invoque la commune, tiré de ce que l'architecte n'aurait pas appelé son attention sur ces défectuosités, manque en fait ; que la réserve n'ayant pas été levée, les travaux correspondants ne pouvaient être regardés, à la date d'introduction de sa requête devant le Tribunal administratif, comme ayant été définitivement reçus ; qu'en l'absence de réception définitive sur ce point, la commune n'est pas recevable à rechercher la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale visée aux articles 1792 et 2270 du code civil ;
En ce qui concerne les autres désordres constatés :

Considérant que les désordres affectant les vitrages du hall et des bureaux, les appuis et les châssis, l'étanchéité des doubles-vitrages et des portes-fenêtres, l'isolation du hall et du balcon, les peintures intérieures et les revêtements de faïence des locaux sanitaires, ainsi que le mauvais écoulement des eaux pluviales et les diverses fissurations constatées, avaient été expressément relevés, soit dans le compte-rendu de la réunion du 31 mai 1977 à l'issue de laquelle le maire avait refusé de prononcer la réception définitive des travaux, soit dans le compte-rendu de la réunion du 3 octobre 1978, jour où la réception définitive a néanmoins été prononcée sans réserves sur ces points ; qu'ainsi, à cette dernière date, lesdits désordres étaient apparents et connus du maître de l'ouvrage qui était en mesure d'en apprécier les conséquences ; qu'il suit de là que ces désordres ne pouvaient donner lieu à l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs et que la commune de DOUCHY-LES-MINES n'est pas fondée à se prévaloir de la garantie qui leur incomberait sur le fondement des articles 1792 et 2270 du code civil ; que l'architecte n'ayant pas commis de faute en ne s'opposant pas à la réception des travaux et en s'abstenant d'attirer son attention sur l'existence de désordres qu'elle ne pouvait ignorer, la commune n'est pas davantage fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de M. X... ;
Sur la réparation
Considérant, d'une part, que les travaux de réfection de l'isolation et de la ventilation du logement de fonctions ont été évalués par l'expert à la somme de 46 880 F hors taxe ; qu'en ce qui concerne la voûte formant la couverture de l'immeuble, l'expert a fixé à 552 960 F hors taxe le coût des travaux de réparation conformes aux règles de l'art ; que ces sommes ne sauraient être actualisées dès lors que la commune n'établit ni même n'allègue avoir été, à la date du dépôt du rapport d'expertise, dans l'impossibilité, pour des raisons techniques ou financières, de faire exécuter les travaux de réparation nécessaires ;
Considérant, d'autre part, que le montant du préjudice dont le maître de l'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont édifié correspond aux frais qui doivent être engagés pour les travaux de réfection ; que ces frais comprennent la taxe sur la valeur ajoutée qui est en règle générale un élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître de l'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a perçue à raison de ses propres opérations ; que l'article 256 B du code général des impôts dispose que les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs ; que, dès lors, et bien que les dispositions des articles L.235-13 et suivants du code des communes relatifs au fonds d'équipement des collectivités locales lui permettent d'obtenir le remboursement de la T.V.A. acquittée sur ses dépenses réelles d'investissement, la commune de DOUCHY-LES-MINES est fondée à demander que cette taxe soit incluse dans le préjudice résultant pour elle des désordres affectant l'immeuble construit à usage de perception ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de DOUCHY-LES-MINES est seulement fondée à demander la condamnation solidaire de M. X... et de la S.A.R.L. CARTIGNY au versement de la somme globale de 711 410,24 F taxe comprise ; que, comme il est dit ci-dessus, la charge finale de la condamnation sera supportée aux trois quarts par l'architecte et, pour un quart, par l'entrepreneur ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que la somme due à la commune portera intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 1983, date d'enregistrement de la requête introductive d'instance ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 10 novembre 1987 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que les intérêts échus à cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêt ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'aux termes de l'article R.180 du code des Tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel "Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ..." ; que la commune de DOUCHY-LES-MINES n'a pas succombé dans l'instance qu'elle a engagée contre les constructeurs ; que ses prétentions n'ont pas rendu plus onéreuse l'expertise ordonnée en référé le 31 mars 1982 par le président du tribunal administratif de LILLE ; que, dès lors, et compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus opéré entre l'architecte et l'entrepreneur, les frais de cette expertise seront supportés à concurrence des trois quarts de leur montant par M. X... et, pour un quart, par la S.A.R.L. CARTIGNY ;
Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de LILLE en date du 11 mai 1987 est annulé.
Article 2 : M. X... et la S.A.R.L. CARTIGNY sont condamnés solidairement à verser à la commune de DOUCHY-LES-MINES la somme de 711 410,24 F taxe comprise, avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 1983. Les intérêts échus le 10 novembre 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 3 : La charge définitive de la somme due solidairement par les constructeurs à la commune de DOUCHY-LES-MINES sera supportée à raison des trois quarts par M. X... et, à concurrence d'un quart, par la S.A.R.L. CARTIGNY.
Article 4 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé le 31 mars 1982 seront supportés, pour les trois quarts de leur montant, par M. X... et, pour le dernier quart, par la S.A.R.L. CARTIGNY.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par la commune de DOUCHY-LES-MINES devant le tribunal administratif de LILLE est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de DOUCHY-LES-MINES, à M. X... et à la S.A.R.L. CARTIGNY.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 89NC00005
Date de la décision : 16/05/1989
Type d'affaire : Administrative

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - DESORDRES DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DECENNALE DES CONSTRUCTEURS - ONT CE CARACTERE.

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE - L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - RESPONSABILITE DE L'ARCHITECTE.


Références :

. CGI 256 B
. Code des communes L253-13
. Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R180
Code civil 1792, 2270


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: FONTAINE
Rapporteur public ?: FRAYSSE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1989-05-16;89nc00005 ?
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