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04/11/2020 | FRANCE | N°19MA05267

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 04 novembre 2020, 19MA05267


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), d'une part, à verser à son fils mineur A... C... une provision de 200 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices, et d'autre part, à lui verser une provision de 13 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices propres.



Par une ordonnance n° 1907059 du 19 novembre 2019, le juge des référés du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner l'assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM), d'une part, à verser à son fils mineur A... C... une provision de 200 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices, et d'autre part, à lui verser une provision de 13 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices propres.

Par une ordonnance n° 1907059 du 19 novembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à verser à Mme E... une provision de 47 200 euros, correspondant, à hauteur de 39 000 euros, aux préjudices de son fils mineur A... C... et, à hauteur de 8 200 euros, à ses préjudices propres, outre une somme de 1 500 euros au titre des frais du litige.

Procédure devant la Cour :

Par une requête n° 19MA05267 et des mémoires, enregistrés le 2 et le 12 décembre 2019, et le 15 janvier 2020, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de réformer cette ordonnance du 19 novembre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a limité à la somme de 47 200 euros la provision au versement de laquelle il a condamné l'AP-HM ;

2°) statuant en référé, de condamner l'AP-HM, d'une part, à verser à Loris C... son fils mineur une provision de 114 087,95 euros, ou, à titre subsidiaire, une provision de 105 161,34 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices, et d'autre part, à lui verser une provision de 13 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices propres ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HM une somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative, ainsi qu'une somme de 2 000 euros à verser à Loris C... au même titre.

Elle soutient que :

- son fils A... C..., né le 21 juin 2006 à l'hôpital Nord, souffrait in utero d'une sténose duodénale, pour laquelle il a été opéré par laparotomie le 23 juin 2006 dans ce même hôpital ;

- les suites immédiates de l'opération ont généré des inquiétudes du personnel infirmier en raison de la diurèse nulle, de l'hypotension artérielle et de la fréquence cardiaque élevée du nouveau-né ;

- le 25 juin 2006, le diagnostic d'insuffisance rénale aiguë a été établi et rattaché par l'équipe médicale à une souffrance aiguë hypovolémique survenue lors de l'intervention du 23 juin ;

- réalisés en parallèle, des examens neurologiques ont révélé que Loris avait également souffert d'un état d'hypoperfusion cérébrale peropératoire ;

- de lourdes séquelles néphrologiques et neurologiques en ont découlé, nécessitant un suivi au long cours, et l'équilibre psychologique de Loris C... été profondément perturbé, de même que sa scolarité qui n'a pu être envisagée qu'avec l'assistance d'une AVS et de diverses adaptations logistiques ;

- le rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a retenu une hypotension prolongée et non traitée durant l'anesthésie du 23 juin 2006, comme cause des lésions rénales et cérébrales de Loris C..., ainsi que la responsabilité de l'anesthésiste ayant réalisé la prise en charge de Loris ;

- le lien de causalité entre les préjudices de Loris C... et la faute de l'anesthésiste étant établi, l'obligation de l'AP-HM envers Mme E... et Loris C... n'est pas sérieusement contestable ;

- les sommes retenues par le premier juge doivent être majorées, dès lors que le rapport d'expertise du 14 septembre 2019 sur lequel il s'est fondé comprenait une erreur de plume que l'expert a rectifié depuis ;

- la somme provisionnelle totale des préjudices extrapatrimoniaux temporaires de Loris C..., comprenant le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique temporaire doit être évaluée à 82 166,45 euros ;

- la somme provisionnelle correspondant à la liquidation des préjudices patrimoniaux temporaires de Loris C... doit être évaluée à 31 921,50 euros, ou, à titre subsidiaire, à 22 994,89 euros, dès lors qu'elle produit les relevés de la CAF attestant le versement de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ;

- la réparation des préjudices de Mme E... doit être évaluée à 13 000 euros à titre de provision.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 et 27 janvier 2020, l'AP-HM, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête, et à titre subsidiaire, à ce que le montant de l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire soit ramené à de plus justes proportions.

Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Mutuelle générale de l'éducation nationale qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la cour a désigné M. Alfonsi, président de la 2ème chambre, pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une intervention en vue de traiter une sténose duodénale, qu'il a subie par laparotomie le 23 juin 2006 à l'hôpital Nord dépendant de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), l'enfant A... C..., né le 21 juin 2006, demeure atteint de séquelles néphrologiques et neurologiques. Sa mère, Mme B... E..., relève appel de l'ordonnance du 19 novembre 2019 en tant que par celle-ci le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a limité à la somme globale de 47 200 euros le montant de la provision à valoir sur la réparation des préjudices de son fils mineur et de ses préjudices propres.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

Sur la responsabilité :

3. Après avoir relevé, au vu des conclusions de l'expert désigné en référé le 29 mars 2019, d'une part, que le jeune A... C... avait été victime d'une hypotension prolongée au cours de l'intervention qui n'avait pas été correctement traitée en post opératoire et, d'autre part, que la faute ainsi commise à l'occasion de la prise en charge de l'enfant lors de l'anesthésie était directement à l'origine des lésions rénales et cérébrales dont il demeure atteint, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que la responsabilité de l'AP-HM était engagée à l'égard de cet enfant et de sa mère pour en conclure que la créance dont cette dernière se prévaut présente un caractère incontestable dans son principe.

Sur les préjudices :

4. Le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

En ce qui concerne Loris C... :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que Loris C... a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne non spécialisée à raison de 3 heures par jour du 21 septembre 2006 au 21 décembre 2006, de 1 heure par jour du 22 décembre 2006 au 3 juin 2008, et de 2 heures par jour du 16 novembre 2017 au 14 septembre 2019. Afin de tenir compte des congés payés et jours fériés prévues par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu de déterminer le montant de l'indemnité correspondant à ce chef de préjudice sur la base d'une année de 412 jours et d'un taux horaire de 13 euros. Il convient de déduire de l'indemnité ainsi calculée l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, d'un montant total de 7 188,35 euros, perçue pour Loris lors des périodes où une assistance tierce personne a été nécessaire, d'après le décompte des prestations correspondantes produit par Mme E.... Les frais liés à l'assistance par une tierce personne au cours des périodes qui viennent d'être rappelées peuvent ainsi être évalués à la somme non sérieusement contestable de 24 155 euros.

6. Mme E... soutient également que l'assistance d'une tierce personne a été nécessaire pour la période du 6 mars 2017 au 4 novembre 2017 à raison de 1h30 par jour consacrée au trajet aller-retour pour les séances de dialyse. Toutefois, et dès lors que l'expert a précisé, s'agissant de cette période, que les dialyses ont eu lieu 3 fois par semaine et que les quotités de temps de tierce de personne " paraissent largement surestimées en dehors des temps de transport ", le préjudice ainsi allégué qui, en l'état de l'instruction, ne présente pas un caractère non sérieusement contestable, ne peut donner lieu à l'attribution d'une indemnité provisionnelle.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 14 septembre 2019, que Loris C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 30 juin 2006 au 21 août 2006, du 28 août 2006 au 31 août 2006, du 5 novembre 2017 au 13 novembre 2017, ainsi que deux jours en post-greffe. S'il n'est pas contesté que Loris a subi d'autres hospitalisations de jour entre le 21 août 2006 et le 6 mars 2017, pour lesquelles le déficit fonctionnel temporaire a été évalué à 100 %, le décompte de ces jours ne peut être établi avec certitude dès lors, d'une part, que le tableau correspondant aux hospitalisations à l'AP-HM ne précise pas s'il s'agit d'hospitalisations de jour ou de simples consultations et, d'autre part, que Mme E... a précisé en appel qu'elle n'était pas en possession des relevés d'hospitalisations effectuées au centre hospitalier de Martigues.

8. S'agissant du déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 55%, Mme E... n'a pas, contrairement à ce que fait valoir l'AP-HM, contesté le bien-fondé des conclusions de l'expert, mais s'est bornée à relever une simple erreur matérielle contenue dans son rapport, que l'expert a d'ailleurs expressément rectifiée les 9 et 11 décembre 2019 en admettant que la période au cours de laquelle un déficit temporaire de 55% devait être retenu courait non du 21 août 2006 au 6 mars 2007 comme indiqué initialement, mais du 21 août 2006 au 6 mars 2017. Il suit de là que la créance détenue sur l'AP-HM doit être regardée comme présentant un caractère suffisamment certain s'agissant du déficit fonctionnel temporaire partiel de 55 % au cours de la période du 21 août 2006 au 6 mars 2017.

9. Il résulte par ailleurs du rapport de l'expert que Loris a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel à 70 % du 6 mars 2017 au 5 novembre 2017, et un déficit fonctionnel temporaire partiel à 40 % du 13 novembre 2017 au 14 septembre 2019, date de remise de l'expertise.

10. Eu égard à ce qui vient d'être dit et, en particulier aux incertitudes en ce qui concerne le nombre de jours d'hospitalisation complète de Loris C..., il y a lieu d'admettre que la créance relative aux déficits fonctionnels temporaire total et partiel présente un caractère non sérieusement contestable dans une limite qu'il convient de fixer, dans les circonstances de l'espèce, à la somme de 43 000 euros.

Quant aux autres préjudices extrapatrimoniaux ;

11. C'est par une juste appréciation des souffrances endurées par Loris C..., évaluées à 6 sur une échelle de 7 en raison des multiples hospitalisations en réanimation et de la période de greffe rénale, que le premier juge a fixé à la somme de 23 000 euros le montant de l'indemnité prévisionnelle à valoir sur la réparation de ce chef de préjudice.

12. C'est également par une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire de Loris C..., évalué à 3 sur une échelle de 7 du 22 juin 2006 au 21 décembre 2006 et du 5 novembre 2007 au 8 janvier 2018, puis évalué à 6 sur une échelle de 7 pour la période de dialyse du 6 mars 2017 au 5 novembre 2017, que le premier juge a fixé à la somme de 8 000 euros le montant de la provision à valoir sur l a réparation de ce chef de préjudice.

13. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le montant des indemnités provisionnelles à valoir sur la réparation des préjudices de l'enfant A... C... qui doivent être versées à Mme E... en sa qualité d'administratrice légale des biens de son fils mineur doit être fixé à la somme de 98 155 euros.

En ce qui concerne les préjudices propres de Mme E... :

14. Au vu des justificatifs qui ont été produits par Mme E..., le premier juge a procédé à une correcte évaluation de l'indemnité provisionnelle représentant les frais de transport qu'elle a exposés pour les multiples trajets qu'elle a dû effectuer en raison des nombreuses hospitalisations de Loris en la fixant à la somme de 5 500 euros.

15. Les deux notes d'honoraires, d'un montant total de 2 700 euros, correspondant au coût de l'assistance d'un médecin conseil pour les opérations d'expertise, justifient l'indemnité provisionnelle, de ce même montant, allouée par le premier juge.

16. En revanche, Mme E..., qui n'établit, ni même n'allègue, que sa mutuelle n'a pas pris en charge les dépenses de santé correspondant aux frais d'ostéopathie, de psychomotricité, d'ergothérapie, d'acupuncture et de psychothérapie, qu'elle évalue à un montant minimal de 4 792 euros, n'est pas fondée à demander le versement d'une provision à ce titre.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est fondée à demander que le montant de l'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation des préjudices de son fils mineur soit porté à la somme de 98 155 euros. Il y a lieu, en revanche, de maintenir à la somme de 8 200 euros le montant de l'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de ses préjudices propres que lui a accordée le juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

Sur les frais du litige :

18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HM le versement à Mme E... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

ORDONNE

Article 1er : L'AP-HM est condamnée à payer à Mme E... :

- en sa qualité de représentante légale de son fils mineur A... C..., une indemnité provisionnelle de 98 155 euros ;

- en son nom propre, une indemnité provisionnelle de 8 200 euros.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 19 novembre 2019 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... est rejeté.

Article 4 : L'AP-HM versera à Mme E... une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... E..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille et à la Mutuelle générale de l'éducation nationale.

Fait à Marseille, le 4 novembre 2020.

6

N°19MA05267


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro d'arrêt : 19MA05267
Date de la décision : 04/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-03-015 Procédure. Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : DELCOURT

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-11-04;19ma05267 ?
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