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23/06/2020 | FRANCE | N°19MA03066

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 23 juin 2020, 19MA03066


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Saint Vallier de Thiey et la Mutuelle Alsace Lorraine Jura ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société Electricité de France, à leur verser respectivement, à titre de provision, la somme de 31 416,29 euros, en réparation du préjudice subi à la suite d'un glissement de terrain survenu le 13 février 2016 ayant entraîné l'effondrement du chemin communal

dénommé chemin des Sources et des travaux de réparation importants ainsi que ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Saint Vallier de Thiey et la Mutuelle Alsace Lorraine Jura ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société Electricité de France, à leur verser respectivement, à titre de provision, la somme de 31 416,29 euros, en réparation du préjudice subi à la suite d'un glissement de terrain survenu le 13 février 2016 ayant entraîné l'effondrement du chemin communal dénommé chemin des Sources et des travaux de réparation importants ainsi que la somme de 42 983 euros correspondant aux frais de l'expertise judiciaire diligentée par le tribunal.

Par une ordonnance n° 1805326 du 24 juin 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la société EDF à verser à la commune de Saint Vallier de Thiey la somme provisionnelle de 36 095,70 euros et à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura la somme provisionnelle de 42 980,20 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2019, la société Electricité de France, représentée par Me B..., de la SCP B... et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 24 juin 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la commune et son assureur devant le tribunal administratif de Nice ;

3°) de mettre à la charge de la commune et son assureur in solidum le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune doit, à raison de sa qualité d'usager, établir la faute commise par EDF à son préjudice ; et elle est défaillante dans l'administration de la preuve des fautes d'EDF ;

- l'expertise de M. A... est critiquable ; elle est d'ailleurs très fortement contestée point par point, au vu de la contre-expertise, diligentée par EDF ;

- en réalité, les conditions d'engagement de la responsabilité d'EDF ne sont pas remplies ;

- l'obligation d'EDF est donc sérieusement contestable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2019, la commune de Saint Vallier de Thiey et la Mutuelle Alsace Lorraine Jura, représentées par Me C..., demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête, et de confirmer l'ordonnance attaquée en tant qu'elle condamne la société EDF à verser à la commune de Saint Vallier de Thiey la somme provisionnelle de 36 095,70 euros et à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura la somme provisionnelle de 42 980,20 euros ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer l'ordonnance litigieuse en condamnant la société EDF, outre les condamnations de la 1ère instance, à verser à la commune les intérêts légaux sur la somme de 31 416,29 euros à compter de la requête introductive d'instance, ainsi que la somme de 19 800 euros à l'assureur subrogé, au titre des frais de conseil technique ;

3°) de mettre à la charge d'EDF, le versement respectif au profit de la commune et de son assureur des sommes de 2 880 euros et de 6 600 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

*les moyens soulevés par la société Electricité de France ne sont pas fondés :

- les causes du sinistre ont bien été relevées par l'expert dont les conclusions ne sont pas sérieusement remises en cause ; le lien de causalité entre l'ouvrage et le dommage est établi ;

- le régime applicable est celui de la responsabilité sans faute car la commune a la qualité de tiers à l'ouvrage ;

- les conditions du régime de la responsabilité pour faute, seraient en tout état de cause réunies ;

*les préjudices doivent être réactualisés :

- le préjudice de la commune doit être fixé à la somme de 31 416,29 euros (déduction faite de la récupération de la TVA), avec intérêts à compter de la requête introductive d'instance ;

- le préjudice de l'assureur doit être augmenté de 19 800 euros au titre des frais de conseil technique.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Badie, président, juge des référés, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. L'Etat a concédé à la société EDF l'aménagement et l'exploitation de la chute de la Siagne pour l'installation et le fonctionnement de l'usine hydroélectrique sur le cours d'eau de la Siagne dans les départements des Alpes-Maritimes et du Var. Le canal d'amenée, qui surplombe le chemin des Sources, voie communale, est au nombre des ouvrages concédés et comprend un système de drainage des eaux de fuite du canal ainsi que des eaux pluviales. Dans la nuit du

12 au 13 février 2016, une partie de la voie communale s'est effondrée, ce qui a entraîné un glissement de terrain. La société Electricité de France relève appel de l'ordonnance du

24 juin 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à la commune de Saint Vallier de Thiey et à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura une somme provisionnelle à valoir sur l'indemnité due en réparation du préjudice subi du fait de ce glissement de terrain. Par la voie de l'appel incident, la commune et son assureur concluent à la réformation de cette ordonnance pour obtenir une provision complémentaire.

Sur le versement d'une provision :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

Sur les questions préalables :

3. D'une part, il résulte clairement tant de la convention de concession conclue le

25 août 2008 entre l'Etat et EDF que de la convention organisant les aspects fonciers de l'aménagement hydroéléctrique de la Siagne, conclue le 11 janvier 2013 entre la commune de Saint Vallier de Thiey, EDF, l'ONF et la régie des eaux du canal de Belletrud (RECB),

qu'incombent à la société EDF qui bénéficie d'une servitude d'aqueduc et de tréfonds, la garde et l'entretien du canal d'amenée, lequel est un ouvrage public. D'autre part, la commune est tout aussi clairement, en la circonstance, en tant que collectivité dont relève l'entretien de la route endommagée, en situation non d'usager de ce canal d'amenée, mais de tiers à cet ouvrage public d'EDF. Dès lors, la société EDF dont la responsabilité est susceptible d'être engagée même en l'absence de faute, ne peut utilement se prévaloir de ce que la commune ne rapporterait pas la preuve d'une faute de sa part.

Sur l'existence d'une obligation non sérieusement contestable :

4. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont

elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, et ce, avec une certitude suffisante, que les causes de l'effondrement de la voie sont, entre autres, une défaillance dans la conception du système de déversement des eaux des drains réalisés par EDF dans la tête de talus juste sous la route, entraînant des apports d'eau au plus mauvais endroit ainsi qu'une défaillance d'entretien par un processus de fuite du canal EDF au droit du sinistre, qui s'était déjà produit en 2006. Certes, ces conclusions de l'expert désigné par le juge des référés sont fortement contestées par EDF qui a versé au dossier une contre-expertise qui les critique en détail. Cependant, le caractère erroné de ces conclusions n'est pas établi par la société requérante quant à l'origine de l'effondrement partiel initial de la voie communale lequel doit être regardé comme directement imputable à l'ouvrage public de la société EDF. Les arguments invoqués par la société requérante tirés de ce que le sinistre aurait pour origine l'environnement naturel et l'existence de la canalisation dont la RECB est le maître d'ouvrage, faute de remise en cause sérieuse des causes initiales énoncées dans le rapport A... à l'origine des désordres, dans cette configuration et à cet endroit précis de la voie, ne peuvent qu'être écartés.

6. Il résulte de tout ce qui précède que l'existence de l'obligation de la société EDF envers la commune et son assureur présente en l'état de l'instruction un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nice l'a, par l'ordonnance attaquée, condamnée à verser une provision à la commune et à son assureur.

Sur l'appel incident :

7. La commune en défense indique sans que cela soit utilement contesté que le montant auquel a été condamné EDF doit être ramené à 31 416,29 euros. Il y a lieu de faire droit à cette demande et, en outre, à sa demande de versement des intérêts au taux légal à compter du

10 décembre 2018, date d'enregistrement de sa requête introductive d'instance.

8. La somme complémentaire demandée par l'assureur, correspondant à des frais de conseil technique, se rattache à la demande de celui-ci en première instance. Elle n'est pas véritablement contestée. Il y a dès lors lieu de faire droit à cet appel incident. La Mutuelle Alsace Lorraine Jura est donc fondée à demander que l'indemnité provisionnelle, que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser, soit augmentée de la somme de 19 800 euros.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter la requête d'EDF, et de faire droit aux appels incidents de la commune et de son assureur.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société EDF, le versement à la commune et à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura, chacune, de la somme

de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les conclusions présentées par la société EDF, partie perdante à l'instance, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Electricité de France est rejetée.

Article 2 : La société Electricité de France versera à la commune de Saint Vallier de Thiey une somme ramenée à 31 416,29 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du

10 décembre 2018.

Article 3 : La société Electricité de France versera à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura, outre la somme à laquelle elle a été condamnée en première instance, la somme de 19 800 euros.

Article 4 : L'ordonnance n° 1805326 du 24 juin 2019, du juge des référés du tribunal administratif de Nice est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La société EDF versera à la commune de Saint Vallier de Thiey et la Mutuelle Alsace Lorraine Jura, chacune, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Electricité de France, à la commune de Saint Vallier de Thiey et à la Mutuelle Alsace Lorraine Jura.

Fait à Marseille, le 23 juin 2020.

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N° 19MA03066


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