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23/07/2019 | FRANCE | N°19MA01328

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 23 juillet 2019, 19MA01328


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société Electricité de France à lui verser une provision de 169 909,93 euros à valoir sur l'indemnité due en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'un glissement de terrain survenu les 12 et 13 février 2016.

Par une ordonnance n° 1803379 du 27 février 2019,

le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la société Electri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la société Electricité de France à lui verser une provision de 169 909,93 euros à valoir sur l'indemnité due en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'un glissement de terrain survenu les 12 et 13 février 2016.

Par une ordonnance n° 1803379 du 27 février 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la société Electricité de France à verser à la RECB une provision de 169 909,93 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2019, la société Electricité de France, représentée par la SCP Piquemal et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 27 février 2019 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la RECB devant le tribunal administratif de Nice ;

3°) de mettre à la charge de la RECB le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la RECB, qui a la qualité d'usager du canal d'amenée d'eau, seul ouvrage public mis en cause, n'établit pas l'existence d'une faute ;

- aucun défaut de conception du " drain " ne peut lui être reproché ;

- aucun défaut d'entretien du canal ne peut lui être reproché ;

- elle n'avait aucune obligation de réaliser des travaux de confortement de la route après l'affaissement survenu en 2006 ;

- l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage n'est pas établie dès lors que le " drain " n'est pas à l'origine du glissement de terrain et que le canal d'amenée d'eau ne présente pas de fuites ;

- l'environnement naturel est à l'origine du dommage ;

- elle n'avait pas à adresser une réclamation à la RECB ;

- elle a subi des dommages du fait d'une rupture de la canalisation d'eau exploitée par la RECB, ouvrage public à l'égard duquel elle a la qualité de tiers ;

- l'implantation de cette canalisation en cet endroit constitue une faute de conception ;

- l'action des agents de la RECB est à l'origine de la rupture de la canalisation d'eau ;

- la RECB s'est engagée par convention à ne pas rechercher la responsabilité d'EDF pour les dommages qui pourraient être occasionnés aux dispositifs de prélèvement d'eau du fait des installations de la requérante ;

- la RECB ne pouvait lui réclamer la somme de 23 9638,77 euros hors taxes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2019, la Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB), représentée par la société d'avocats Plenot et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 6 000 euros soit mis à la charge de la société Electricité de France en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Electricité de France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Le président de la Cour a désigné M. Vanhullebus, président, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. L'Etat a concédé à la société EDF l'aménagement et l'exploitation de la chute de la Siagne pour l'installation et le fonctionnement de l'usine hydroélectrique sur le cours d'eau de la Siagne dans les départements des Alpes-Maritimes et du Var. Le canal d'amenée, qui surplombe le chemin des Sources, voie communale, est au nombre des ouvrages concédés et comprend un système de drainage des eaux de fuite du canal ainsi que des eaux pluviales et de fonte. La Régie des eaux du canal de Belletrud (RECB), établissement public local à caractère industriel ou commercial auquel a été transférée la compétence de la commune de Saint-Vallier de Thiey en matière de production et de distribution d'eau, a implanté en 2013 une canalisation d'adduction d'eau brute dans l'emprise du chemin des Sources jusqu'à l'usine de traitement en eau potable. L'effondrement d'une partie de la voie communale dans la nuit du 12 au 13 février 2016 a entraîné un glissement de terrain et la rupture de la canalisation d'adduction d'eau ainsi que du réseau de télécommunications par fibre optique exploités par la RECB. La société Electricité de France fait appel de l'ordonnance du 27 février 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à la RECB une provision de 169 909,93 euros à valoir sur l'indemnité due en réparation du préjudice subi du fait du glissement de terrain survenu les 12 et 13 février 2016.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

3. Il résulte avec une certitude suffisante de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nice dont le caractère erroné n'est pas établi par la société requérante, que l'effondrement partiel de la voie communale est directement imputable aux ouvrages publics de la société EDF dès lors, d'une part, que les eaux de drainage du canal d'amenée sont rejetées par une canalisation en tête de talus juste sous la route sur un terrain déjà fragile et, d'autre part, que le canal d'amenée présente des fissures à l'origine de fuites. Les moyens invoqués par la société requérante tirés de ce que le sinistre aurait pour origine l'environnement naturel et l'existence de la canalisation dont la RECB est le maître d'ouvrage ne peuvent qu'être écartés.

4. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

5. La RECB, qui alimente les usagers en eau à partir de la prise d'eau qu'elle a aménagée au niveau d'un bassin de décantation au lieudit " La Moute ", ne recourt qu'en secours au droit que la société EDF lui a consenti de prélever de l'eau brute sur le canal d'amenée de la chute hydroélectrique par une station de pompage située au quartier Saint Jean, sur le territoire de la commune de Saint-Vallier de Thiey, dans la limite d'un débit d'eau instantané de 30 l/s et d'un volume annuel porté à 500 000 m3 en contrepartie d'une participation de la RECB aux charges de l'aménagement au titre du transport de l'eau dans les ouvrages d'EDF par une convention d'occupation temporaire du 3 juin 2014 qui prévoit que les deux ouvrages de prise d'eau ne peuvent pas fonctionner simultanément. Il ne résulte pas de l'instruction que la RECB prélevait de l'eau du canal d'amenée exploité par la société EDF lorsque le sinistre, qui n'est pas né à l'occasion de l'exécution des contrats conclus entre cette société et la RECB, s'est produit. La RECB avait ainsi la qualité de tiers par rapport aux ouvrages publics dont la société requérante a la garde.

6. Il résulte de ce qui a été indiqué au point précédent que la société EDF dont la responsabilité est engagée même en l'absence de faute, ne peut utilement se prévaloir de ce que la RECB ne rapporterait pas la preuve d'une faute de sa part.

7. Au surplus, à supposer que la RECB puisse être regardée comme ayant la qualité d'usager du canal d'amenée lors de la survenue du sinistre, il incombe dans cette hypothèse à la société EDF de démontrer qu'elle a normalement aménagé et entretenu les ouvrages publics dont elle a la garde. Or il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise mentionné au point 3, d'une part, que l'évacuation des eaux de drainage du canal d'amenée directement en tête du talus constitue un défaut de conception de cet ouvrage et, d'autre part, que le canal d'amenée souffrait d'un manque d'entretien caractérisé par l'existence de plusieurs fissures. La société EDF qui ne peut utilement se borner à se prévaloir de l'absence d'indication des normes techniques ou règles de l'art qu'elle aurait méconnues, ne rapporte pas la preuve de l'entretien normal des ouvrages publics qui lui ont été concédés. Ainsi la responsabilité de la société EDF pour dommages de travaux publics serait engagée à l'égard de la RECB même si celle-ci devait être regardée comme un usager du canal d'amenée et de la canalisation d'évacuation des eaux de drainage dont la société requérante est l'unique maître d'ouvrage.

8. Si l'expert a qualifié de " surprenant " le choix de la RECB d'implanter une conduite d'eau sous pression dans un site qui avait connu plusieurs glissements de terrain, notamment en 2006, il relève néanmoins que cette décision a été prise notamment pour des raisons d'autonomie par rapport aux ouvrages de la société EDF. Il ne ressort pas des éléments produits devant le juge des référés que la fragilité ou la vulnérabilité de la canalisation de la RECB résultant du choix du lieu de son implantation, présenterait, en l'état de l'instruction, un caractère fautif de nature à atténuer la responsabilité de la société EDF.

9. En l'état du dossier, il ne résulte davantage de l'instruction ni que la légère recharge de la voie communale à laquelle la RECB a procédé dans la journée du 12 février 2016 après la constatation de l'affaissement du chemin des Sources ni que la remise de la conduite sous pression dans la nuit du 12 au 13 février aient présenté un caractère fautif.

10. La RECB recherche la responsabilité de la société EDF sur le fondement des dommages de travaux publics et non sa responsabilité contractuelle à raison de fautes commises par cette société dans l'exécution des contrats qu'elle a conclus avec la RECB. L'origine du sinistre étant étrangère à l'exécution des relations contractuelles, la société EDF ne peut en tout état de cause pas utilement se prévaloir des stipulations des conventions qu'elle a conclues avec la RECB prévoyant l'exclusion de sa responsabilité à l'égard de cet établissement public. Il suit de là que la société EDF n'est pas fondée à soutenir que la RECB ne pourrait lui réclamer une somme de 23 9638,77 euros hors taxes au titre de travaux de réfection des réseaux enterrés et d'honoraires de maîtrise d'oeuvre, d'huissier de justice et de géomètre expert.

11. La société EDF, qui fait valoir que la responsabilité de la RECB est engagée envers elle en raison des dommages causés aux ouvrages publics concédés à l'occasion de la coulée de boue consécutive à la rupture de la canalisation d'eau sous pression, ne demande toutefois pas la condamnation de la RECB à lui verser une provision à valoir sur l'indemnité de 968 804 euros qui lui serait due. A supposer que la société requérante puisse être regardée comme demandant que la somme due à la RECB soit compensée par la créance qu'elle estime détenir sur cet établissement public, cette créance n'est en tout état de cause ni certaine ni liquide ni exigible.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'existence de l'obligation de la société EDF envers la RECB présente en l'état de l'instruction un caractère non sérieusement contestable au sens de l'article R. 541-1 du code de justice administrative. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nice l'a, par l'ordonnance attaquée, condamnée à verser à la RECB une provision de 169 909,93 euros. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête, y compris les conclusions présentées par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société EDF le versement à la RECB de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE

Article 1er : La requête de la société Electricité de France est rejetée.

Article 2 : La société EDF versera à la RECB la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Electricité de France et à la Régie des eaux du canal de Belletrud.

Fait à Marseille, le 23 juillet 2019.

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N°19MA01328


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