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28/08/2003 | FRANCE | N°98MA01864

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ere chambre - formation a 3, 28 août 2003, 98MA01864


Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille respectivement les 6 octobre et 17 décembre 1998 sous le n° 98MA01864, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA dont le siège est sis à Falconaja à BASTIA (20600), représenté par son directeur en exercice, par Me Didier LE PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 97.596 du 10 juillet 1998 par lequel le Tribunal administratif de Bastia l'a condamné à pa

yer la somme de 300 000 francs à Mme X en qualité de représentante légale de ...

Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille respectivement les 6 octobre et 17 décembre 1998 sous le n° 98MA01864, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA dont le siège est sis à Falconaja à BASTIA (20600), représenté par son directeur en exercice, par Me Didier LE PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

Le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 97.596 du 10 juillet 1998 par lequel le Tribunal administratif de Bastia l'a condamné à payer la somme de 300 000 francs à Mme X en qualité de représentante légale de Mlle Dounia Y et la somme de 254 957,38 francs à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE ;

Classement CNIJ : 60-02-01-01-01-02-03

C+

2°/ de rejeter les conclusions de Mme X et de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE ;

Le centre hospitalier fait valoir que le jugement est insuffisamment motivé ; qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre au titre de l'administration de TEGRETOL, l'établissement ne pouvant voir sa responsabilité engagée pour les effets secondaires du produit lui-même qui n'engage que la responsabilité du fournisseur ; qu'il n'avait pas à informer la requérante des risques encourus dès lors que la complication survenue présente un caractère particulièrement exceptionnel ; que le tribunal administratif ne pouvait faire application de la jurisprudence Bianchi dès lors que le préjudice de Melle Y ne présente pas un caractère d'extrême gravité ; qu'enfin, subsidiairement, les indemnités allouées sont excessives ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en réponse enregistrés les 17 décembre 1998 et 19 janvier 1999 présentés pour Mme X par Me Martine CAPOROSSI POLETTI ;

Mme X demande à la Cour :

- de lui allouer une indemnité de 300 000 francs ;

- de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA à lui verser la somme de 36 180 francs au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Elle soutient :

- que la responsabilité de l'établissement doit être engagée pour ne l'avoir pas informée des risques d'apparition d'une toxidermie bulleuse, dont la gravité ne pouvait être méconnue, alors que le fabriquant du produit insistait sur la nécessité de donner une telle information aux patients ;

- que la charge de la preuve en matière d'information pèse sur celui qui est tenu par cette obligation ;

- que le risque de complication étant exceptionnel, les dommages ayant pour cause exclusive l'acte médical litigieux et présentant le caractère d'extrême gravité la responsabilité de l'établissement doit être engagée même en l'absence de faute ;

- que les préjudices subis justifient l'allocation d'une indemnité de 300 000 francs ;

Vu la décision en date du 1er mars 1999 du bureau d'aide juridictionnelle accordant à Mme X l'aide juridictionnelle totale ;

Vu, enregistrés les 8 février et 26 mars 1999, les mémoires présentés par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE, qui demande à la Cour de lui rembourser, sur le fondement des dispositions de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, la somme de 265.665,77 F correspondant au montant provisoire de ses débours au titre de son assurée, Mlle Dounia 0UAZIZ ;

Vu, enregistré le 3 avril 2003, le mémoire présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA, qui persiste dans ses précédentes conclusions en faisant valoir les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2003 :

- le rapport de M. HERMITTE, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. BENOIT, premier conseiller ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA, le jugement attaqué est suffisamment motivé ; que par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la critique formée par l'appelant sur ce point ;

Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par une ordonnance en date du 9 octobre 1997 du président du Tribunal administratif de Bastia, que le 18 mars 1997, Mlle Dounia Y a été admise au CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA à la suite d'une crise d'épilepsie ; qu'un traitement à base de Tegretol lui a été prescrit ; que toutefois, dès le début du mois d'avril suivant plusieurs réactions sont apparues dont, en particulier, le 5 avril 1997, des lésions cutanées ; qu'après avoir été admise une nouvelle fois au CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA, une toxidermie bulleuse a été diagnostiquée dont la gravité a conduit à l'évacuation de la jeune Dounia vers l'hôpital Lenval de Nice le jour même ; que dans les suites immédiates, les lésions se présentant comme des brûlures au deuxième degré se sont développées sur la totalité du corps de l'enfant ; que le 16 avril 1997, elle a été transférée dans le service des grands brûlés de l'Hôpital Saint-Anne de Toulon où elle a été traitée jusqu'au 29 avril avant d'être transférée dans le service de rééducation de l'Hôpital René Sabran à Hyères ; qu'outre une dégradation de son état psychologique, la jeune Dounia conserve des cicatrices sur l'ensemble du corps ;

Considérant en premier lieu que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état et présentant un caractère d'extrême gravité ; que la toxidermie bulleuse consécutive à l'administration de Tegretol décidée au CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA dans les conditions susrappelées, a engendré une incapacité permanente partielle évaluée par l'expert à 10 %, qui ne présente pas un caractère d'extrême gravité même si les conséquences, notamment en terme de souffrance et de préjudice esthétique sont importantes ; que les conséquences psychologiques qui en sont résultées, décrites dans le rapport d'expertise avec une précision suffisante, ne sont pas de nature à influer sur l'appréciation de la gravité du préjudice ; que par suite, les conditions susmentionnées nécessaires pour que la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA puisse être engagée en l'absence de faute ne sont pas entièrement réunies ; que dès lors, c'est à tort que le Tribunal administratif de Bastia a retenu ce fondement juridique pour déclarer le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA responsable des conséquences dommageables résultant pour Mlle Dounia Y de l'administration de Tegretol ;

Mais considérant en second lieu, que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ; qu'il résulte de l'instruction que l'administration du Tegretol comporte un risque de développement d'une toxidermie bulleuse ; qu'il est constant que les parents de la jeune Dounia Y n'ont pas été informés de ce risque qui, même exceptionnel, devait être porté à leur connaissance ; que par suite, la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA est engagée au titre de la perte de chance qui en est résultée pour la victime ;

Sur le préjudice :

Considérant en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné en référé par le président du Tribunal administratif de Bastia que la jeune Dounia Y présente sur l'ensemble du corps d'importantes lésions cicatricielles ; que, de plus, les séquelles résultant de l'administration du Tegretol comprennent également, toujours selon l'expert, des troubles de la mémoire et de la concentration et d'autres troubles du comportement se traduisant par une irritabilité et une agressivité ; que le taux d'incapacité permanente partielle a été fixé par l'expert à 10 % ; qu'à cet égard, les défendeurs en appel demandent que soit ordonnée une expertise complémentaire portant sur les séquelles psychologiques ; que toutefois, ils n'apportent aucun élément suffisant permettant d'établir que l'expert aurait sous estimé les conséquences de cette nature liées au traitement appliqué ; qu'en fixant à 80.000 F (12.195,92 euros) l'indemnité susceptible de réparer ce chef de préjudice, les premiers juges se sont livrés à une juste appréciation ; que la moitié de cette somme est destinée à réparer le préjudice physiologique de l'intéressée ; que les frais et débours de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE HAUTE CORSE s'élèvent à la somme de 265.665,77 F (40.500,49 euros) ; que par suite, le préjudice corporel

de Mlle Y doit être fixé à 345.665,77 F (52.696,41 euros) ;

Considérant en second lieu qu'en fixant à 80.000 F (12.195,92 euros) la somme destinée à réparer le préjudice esthétique, 100.000 F (15.244,90 euros) celle allouée au titre des souffrances et 40.000 F (6.097,96 euros) celle réparant le préjudice d'agrément, soit au total 220.000 F (33.538,78 euros), les premiers juges ont fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice ;

Considérant que la réparation du dommage résultant pour Mlle Y de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'administration du Tegretol qui, bien que très rares, peuvent comme en l'espèce avoir des conséquences très importantes et, d'autre part, l'existence d'autres traitements susceptibles de traiter l'affection dont souffre la victime, cette fraction doit être fixée au quart ; qu'il résulte de ce qui précède, que le montant total du préjudice imputable au traitement subi par Mlle Y, s'élève à 565.665,77 F (86.235,19 euros) et que, compte tenu de la perte de chance, le préjudice indemnisable s'élève au quart de cette somme, soit 141.416,44 F (21.558,80 euros) ;

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de haute corse :

Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : Si la responsabilité d'un tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ; qu'il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s'exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d'une chance d'éviter un préjudice corporel, la part d'indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ; que, par suite, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE HAUTE CORSE, qui justifie du versement d'une somme totale de 265.665,77 F (40.500,47 euros) au titre des débours résultant des suites dommageables pour son assuré de l'administration de Tegretol pratiquée par le centre hospitalier, a droit au remboursement des frais exposés par elle à hauteur de la somme de 76.416,44 F (11.649,61 euros) ; que, dès lors, il y a lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA à verser à ladite caisse cette dernière somme ;

Sur les droits de Mlle Y :

Considérant que Mlle Y a droit à la somme de 65.000 F (9.909,19 euros) calculée ainsi qu'il a été dit ci-dessus et allouée au titre du préjudice personnel qui a résulté pour elle de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l'article L.761-l du code de justice administrative faisant obstacle à ce qu'une condamnation soit prononcée en faveur de la partie perdante, les conclusions présentées sur ce fondement par Mme X ne peuvent qu'être rejetées ;

D.E.C.I.D.E

Article 1er : Les sommes que le CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA est condamné à payer sont ramenées à 65.000 F (9.909,19 euros) pour Mme X, agissant pour le compte de sa fille mineure, Dounia Y, et 76.416,44 F (11.649,61 euros) pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE HAUTE CORSE.

Article 2 : Le jugement susvisé en date du 10 juillet 1998 du Tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et l'appel incident sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER DE BASTIA, à Mme X, à la CPAM de HAUTE CORSE, au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

Délibéré à l'issue de l'audience du 10 avril 2003, où siégeaient :

M. ROUSTAN, président de chambre,

M. HERMITTE, Mme BUCCAFURI, premiers conseillers,

assistés de Mme GUMBAU, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 28 août 2003.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

Marc ROUSTAN Gilles HERMITTE

Le greffier,

Signé

Lucie GUMBAU

La République mande et ordonne au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N°98MA01864 8


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ere chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 98MA01864
Date de la décision : 28/08/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROUSTAN
Rapporteur ?: M. HERMITTE
Rapporteur public ?: M. BENOIT
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2003-08-28;98ma01864 ?
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