Vu 1°) la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 31 août 1998 sous le n° 98MA01535, présentée pour M. Jean-Marie X, demeurant , ... par Me ALVAREZ, avocat ;
M. X demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 93-3063 en date du 19 mai 1998, en tant que le Tribunal administratif de Nice a limité à 350.000 F la somme que l'Etat a été condamné à lui payer ;
2°/ de condamner l'Etat à lui payer, au titre de son préjudice financier, une somme de un million de francs, avec intérêts au taux légal à compter du 2 mars 1993 ;
Classement CNIJ : 49-05
63-02
C+
3°/ de condamner également l'Etat à lui verser une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Il fait valoir que la décision fautive du ministre de l'intérieur de lui retirer son agrément d'employé de jeux a eu pour conséquence de lui faire perdre son salaire de croupier au Casino municipal de Cannes ; qu'il n'a pas retrouvé un emploi identique à celui qu'il a perdu ; qu'il percevait un salaire mensuel d'environ 18.000 F ; que si, jusqu'au 28 août 1992, il était sous le coup d'une interdiction d'accéder aux salles de jeux prononcée par le juge d'instruction, à compter de cette date, à laquelle une ordonnance de non-lieu a été rendue en sa faveur, rien ne s'opposait plus à l'exercice de sa profession si ce n'est le retrait d'agrément prononcé par le ministre ; que cet absence d'agrément l'a empêché de retrouver un emploi dans un établissement de jeux ; que par suite, son préjudice financier qui doit s'analyser en un préjudice futur, comme une perte de chance, doit être réparé par l'Etat ; que lorsque après l'ordonnance de non-lieu, laquelle a mis fin à toutes les interdiction prononcées à son encontre, il a sollicité un nouvel agrément, celui-ci lui a été refusé ; que par suite, son préjudice financier est bien directement lié à la faute commise par le ministre ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure de présenter ses observations en défense adressée le 15 septembre 1999 au ministre de l'intérieur ;
Vu, enregistré le 29 novembre 1999, le mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande à la Cour :
1°/ de rejeter la requête de M. X ;
2°/ de confirmer le jugement attaqué ;
Le ministre fait valoir qu'il y a lieu de joindre la requête de M. X et le recours qu'il a présenté contre le même jugement ; que dans l'hypothèse où il serait fait droit à ce recours, la requête de M. X ne pourrait qu'être rejetée ; qu'à titre subsidiaire et sur le préjudice financier invoqué par le requérant, celui-ci trouve son origine non pas dans la décision de lui retirer son agrément prise le 4 octobre 1990 mais dans la décision de son employeur de le licencier le 29 novembre 1989 et l'interdiction dont il a fait l'objet de la part du juge d'instruction ; que le lien de causalité allégué entre le retrait d'agrément et le préjudice financier n'est par suite pas établi ; que, s'agissant des troubles dans les conditions d'existence, M. X n'établit pas qu'il aurait fait les diligences nécessaires pour trouver un nouvel emploi de croupier postérieurement à l'ordonnance de non-lieu rendue le 28 août 1992 en sa faveur ; que les deux lettres produites sont, à cet égard, insuffisantes pour démontrer sa motivation ; que l'ordonnance de non-lieu, qui n'est pas revêtue de l'autorité de chose jugée, n'impliquait pas nécessairement la délivrance d'un nouvel agrément ; qu'en fixant à 350.000 F l'indemnité réparant les troubles dans les conditions d'existence, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu 2°) le recours enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 1er septembre 1998 sous le n° 98MA01540, présenté par le ministre de l'intérieur, qui demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 93-3063 en date du 19 mai 1998, par lequel le Tribunal administratif de Nice l'a condamné à payer à M. X une somme de 350.000 F ;
2°/ de rejeter la requête présentée par M. X ;
Le ministre fait valoir que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, sa décision en date du 4 octobre 1990 de retirer son agrément d'employé de jeux à M. X n'est pas illégale ; que les faits pris en compte ne sont pas matériellement inexacts ; qu'une décision de retrait d'agrément n'est pas juridiquement fondée sur l'existence d'infractions pénales déterminées ; que l'existence de poursuites pénales engagées à l'époque à l'encontre de M. X pouvait justifier le retrait d'agrément en litige en application des dispositions des articles 8 et 14 du décret du 22 décembre 1959 portant réglementation des jeux dans les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ; qu'une telle mesure ne porte aucune atteinte à la présomption d'innocence mais relève de la police des jeux ; que l'intervention ultérieure d'une ordonnance de non-lieu était sans effet sur le retrait et n'obligeait pas l'administration à l'abroger ; que, de plus, les premiers juges ont fait une appréciation erronée de la portée de l'ordonnance de non lieu du 28 août 1992, qui n'a pas pour effet d'innocenter la personne concernée, puisque le juge ne se prononce pas sur la culpabilité ; que dès lors, il n'est pas établi que la décision d'agrément ait été prise sur la base de faits matériellement inexacts ; que par suite, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée ; qu'à titre subsidiaire, aucune demande d'abrogation du retrait d'agrément n'a été formée par M. X ; que la nouvelle demande d'agrément qu'il a présentée postérieurement à son action indemnitaire n'a pas à être prise en compte dans la présente instance ; que le fait générateur de la condamnation prononcée par les premiers juges est la décision du 4 octobre 1990 et non la décision implicite de maintien de cette décision après le non-lieu ; qu'à supposer même qu'une telle décision implicite puisse être prise en considération, elle ne reposerait pas plus sur des faits matériellement inexacts que la décision initiale, l'intéressé ayant bien été impliqué dans une affaire d'escroquerie ; qu'en ce qui concerne le préjudice, celui financier ne résulte pas de la décision de retrait d'agrément ; que l'atteinte à la réputation de M. X résulte de son implication dans l'affaire concernant le casino Croisette de Cannes, très médiatisée ainsi que de son inculpation et de son licenciement et non du retrait de son agrément ; les refus d'embauche qui lui auraient été opposés n'ont pas été évoqués auprès de l'administration et les justificatifs n'ont pas été produits ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 19 novembre 1998, le mémoire en défense présenté pour M. X, par Me ALVAREZ, avocat ;
M. X demande à la Cour :
1°/ de rejeter le recours du ministre de l'intérieur ;
2°/ de faire droit à sa demande et de lui allouer une somme de 1.296.000 F en réparation de son préjudice, avec intérêts à compter de la demande préalable qu'il a adressée au ministre ;
Il fait valoir que la décision de lui retirer son agrément, qui est une sanction administrative, n'est pas suffisamment motivée au regard des exigences de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ; que le ministre ne disposait, à la date de sa décision, d'aucun élément tangible ; que la simple référence à une implication dans une affaire d'escroquerie n'est pas une motivation suffisante ; qu'alors même que le ministre invoque le décret du 22 décembre 1959, il ne démontre pas en quoi la présence de M. X était de nature à troubler l'ordre public ou le déroulement normal des jeux ; que ce texte ne prévoit pas que l'inculpation est un motif suffisant pour procéder au retrait d'un agrément ; qu'un de ses collègues a bénéficié d'un tel raisonnement de la part du Conseil d'Etat ; que l'ordonnance de non-lieu prononcée en sa faveur, devenue définitive, établit son innocence ; qu'elle a d'ailleurs été prise pour cette raison ; que les faits reprochés sont d'ailleurs prescrits ; qu'il ignore les motifs qui ont conduit le ministre à refuser de lui délivrer un nouvel agrément ; que la présomption d'innocence a donc été méconnue par l'administration ; qu'en ce qui concerne son préjudice, il a droit à la réparation de son préjudice moral et de son préjudice financier ; que ce dernier résulte bien de la perte de chance de retrouver un emploi, établie par les justificatifs produits, du fait du retrait de son agrément et de la diffusion, à l'ensemble des casinos, d'une liste de personnes exclues des salles de jeux ; qu'en revanche, son licenciement pour faute lourde est sans incidence dans la présente instance ; que durant l'exercice de son activité professionnelle, il n'a jamais fait l'objet de renseignements défavorables ; qu'il n'a pu obtenir aucune réparation de son préjudice moral à l'exception de la condamnation prononcée en sa faveur par le jugement du Tribunal administratif de Nice dont il est fait appel ; qu'il n'a pu retrouver un emploi équivalent à celui qu'il occupait en 1989 ;
Vu, enregistré le 6 décembre 1999, le mémoire en réponse présenté par le ministre de l'intérieur, qui maintient ses précédentes conclusions, en faisant valoir les mêmes moyens que dans son recours ;
Le ministre fait valoir, en outre, que sa décision est suffisamment motivée ; que la mesure prise ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 15 juin 1907 réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques ;
Vu le décret n° 59-1498 du 22 décembre 1959 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2003 :
- le rapport de M. HERMITTE, premier conseiller ;
- les observations de Me ALVAREZ pour M. X ;
- et les conclusions de M. BENOIT, premier conseiller ;
Considérant que la requête de M. X et le recours du ministre de l'intérieur sont dirigés contre le même jugement du Tribunal administratif de Nice et présentent à juger des mêmes questions ; que par suite, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que, pour retirer, par décision en date du 4 octobre 1990, à M. X son agrément comme employé de jeux, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le motif, porté à sa connaissance, que l'intéressé avait été impliqué dans une affaire d'escroquerie concernant l'établissement de jeux de Cannes dans lequel il exerçait ses fonctions ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que M. X ait commis les faits qui lui ont été imputés ; que d'ailleurs il a bénéficié le 28 août 1992 d'une ordonnance de non-lieu dans le cadre de l'action pénale engagée à son encontre ; que le ministre de l'intérieur n'établit pas en appel, pas plus qu'il ne l'avait fait en première instance, que d'autres faits que ceux ayant donné lieu à la procédure pénale susmentionnée étaient de nature à justifier le retrait d'agrément prononcé ; que par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué par M. X, la décision du 4 octobre 1990 du ministre de l'intérieur, qui est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, est illégale ; que cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré l'Etat responsable du préjudice résultant pour M. X du retrait de son agrément d'employé de jeux ;
Sur le préjudice :
Considérant en premier lieu, que M. X demande une indemnité au titre de son préjudice matériel correspondant à la perte de son salaire et à la perte de chance de retrouver un emploi lui offrant un salaire équivalent ; que toutefois, la perte de revenu dont il a été victime trouve son origine non pas dans le retrait de son agrément mais résulte d'une part, de son licenciement prononcé par son employeur le 29 novembre 1989 et, d'autre part, de l'interdiction qui lui a été faite par le juge d'instruction de fréquenter les salles de jeux ; que si cette dernière mesure a effectivement pris fin au plus tard à la date de l'ordonnance de non-lieu prononcée le 28 août 1992, M. X n'apporte aucun élément permettant d'établir que les refus d'embauche postérieurs à cette date lui ont été opposés en raison de l'absence d'agrément ministériel, un tel agrément n'étant pas une condition à l'engagement mais uniquement un préalable nécessaire à la prise de fonction ainsi que cela résulte des dispositions de l'article 8 du décret du 22 décembre 1959 susvisé ; que par suite, M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté la demande d'indemnisation de ce chef de préjudice ;
Considérant en second lieu que si le retrait d'agrément a entraîné pour M. X un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, alors même que l'atteinte à sa réputation résulte essentiellement de sa mise en cause dans l'affaire du casino de Cannes, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant à 5.000 euros (32.797,85 F) l'indemnité correspondante, de laquelle il conviendra de déduire la provision de 10.000 F (1.524,49 euros) que l'Etat a été condamné à verser par un arrêt en date du 11 juillet 1994 de la Cour administrative d'appel de Lyon ; qu'il y a lieu de réformer le jugement du Tribunal administratif de Nice en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. X tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L'indemnité que l'Etat (ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales) est condamné à payer à M. X est ramenée à 5.000 euros (cinq mille euros).
Article 2 : Le jugement en date du 19 mai 1998 du Tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La requête de M. X et le surplus des conclusions du recours du ministre de l'intérieur sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Délibéré à l'issue de l'audience du 10 avril 2003, où siégeaient :
M. ROUSTAN, président de chambre,
M. HERMITTE, Mme BUCCAFURRI, premiers conseillers,
assistés de Mme GUMBAU, greffier ;
Prononcé à Marseille, en audience publique le 7 mai 2003.
Le président, Le rapporteur,
Signé Signé
Marc ROUSTAN Gilles HERMITTE
Le greffier,
Signé
Lucie GUMBAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
N° 98MA01535 98MA01540 2