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08/02/2001 | FRANCE | N°98MA01257

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1e chambre, 08 février 2001, 98MA01257


Vu l'ordonnance en date du 10 juillet 1998, enregistrée au greffe de la Cour le 27 juillet 1998, du Président de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat attribuant à la Cour administrative d'appel de Marseille, le jugement de la requête, présentée le 19 juin 1998 devant le Tribunal administratif de Marseille, par M. X... et tendant à l'annulation du jugement n° 94-2996 du 24 mars 1998 du Tribunal administratif de Marseille ;
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 27 juillet 1998 sous le n° 98MA01257, présentée pour M. Labdeli

X..., demeurant Résidence Santo Estello-Les Gonagues à Allauch...

Vu l'ordonnance en date du 10 juillet 1998, enregistrée au greffe de la Cour le 27 juillet 1998, du Président de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat attribuant à la Cour administrative d'appel de Marseille, le jugement de la requête, présentée le 19 juin 1998 devant le Tribunal administratif de Marseille, par M. X... et tendant à l'annulation du jugement n° 94-2996 du 24 mars 1998 du Tribunal administratif de Marseille ;
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 27 juillet 1998 sous le n° 98MA01257, présentée pour M. Labdeli X..., demeurant Résidence Santo Estello-Les Gonagues à Allauch (13190), par Me A..., avocat ;
M. X... demande à la Cour :
1°/ d'annuler le jugement n° 94-2996 du 24 mars 1998 par lequel Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE soit déclarée responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 23 novembre 1993 à l'hôpital de la Timone à Marseille et à ce qu'elle soit condamnée à lui verser une indemnité d'un montant de 8.498.656,52 F, en réparation du préjudice ainsi subi ;
2°/ de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à lui verser une somme de 8.498.656,52 F, assortie des intérêts de droit et lesdits intérêts étant capitalisés ;
3°/ si la Cour s'estimait insuffisamment informée, d'ordonner avant-dire-droit un complément d'expertise dont les frais devraient être mis à la charge de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE, les dépens devant être réservés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 janvier 2001 :
- le rapport de Mme BUCCAFURRI, premier conseiller ;
- les observations de Me A... pour M. X... ;
- les observations de Me Z... substituant Me LE PRADO pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ;
- et les conclusions de M. BENOIT, premier conseiller ;

Considérant que M. X..., qui souffrait de troubles hémicorporéals gauches causés par des anomalies vertébrales, a subi le 23 novembre 1993, à l'hôpital de la Timone à Marseille une intervention chirurgicale consistant en une réduction de la luxation de la vertèbre C2 sur la vertèbre C3 avec alignement occipito-vertébral et osthéosynthèse ; que l'intéressé, alors âgé de 48 ans, a présenté au réveil une tétraplégie avec une paralysie respiratoire et reste atteint depuis d'une quadriplégie ; que M. X... demande l'annulation du jugement en date du 24 mars 1998 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE soit déclarée responsable des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 23 novembre 1993 à l'hôpital de la Timone à Marseille ; que, par la voie du recours incident, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES-DU-RHONE demande à la Cour de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à lui rembourser les débours résultant des suites dommageables pour son assuré de l'intervention chirurgicale en cause ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, pour rejeter la demande de M. X..., le Tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur le rapport d'expertise du Dr B... désigné par le juge judiciaire préalablement saisi par l'intéressé ; que ce document a été versé au dossier de première instance ; que toutes les parties ont pu ainsi en prendre connaissance et ont été à même d'en discuter les conclusions ; que M. X... n'établit pas, en tout état de cause, que cette expertise serait insuffisante ou critiquable dès lors que l'expert n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des dires qu'il lui avait communiqués au cours des opérations d'expertise ; qu'ainsi, le tribunal administratif a pu à bon droit se référer à ce rapport, à titre d'élément d'information ; que, par suite, M. X... ne peut utilement contester la régularité de cette mesure d'instruction ;
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
Considérant que, lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise judiciaire que la Cour peut retenir à titre d'élément d'information, que M. X... souffrait avant l'intervention litigieuse d'une malformation cervicale haute instable avec un retentissement médullaire ; qu'il résulte également du rapport de l'expert que, si cette malformation ne s'était jusqu'à l'intervention manifestée que par des troubles sans gravité, elle était susceptible de prendre un caractère invalidant eu égard à l'instabilité du rachis cervical de l'intéressé ; qu'ainsi, les dommages résultant pour M. X... de l'intervention chirurgicale en cause ne peuvent être regardés comme sans rapport avec son état initial et l'évolution de celui-ci ; que, par suite, les conditions pour que soit engagée la responsabilité sans faute de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ne sont pas établies en l'espèce ;
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'intervention décidée par le chirurgien était légitime compte tenu de l'état d'instabilité du rachis cervical de M. X... et était appropriée au cas présenté par l'intéressé ; que, si M. X... soutient que le corps médical n'aurait pas pris des précautions suffisantes avant l'opération et aurait omis de procéder à une angiographie numérisée préopératoire ainsi qu'à une image à résonnance magnétique avec injection de gadolinium, qui auraient été nécessaires selon lui, il résulte de l'instruction que l'intervention chirurgicale litigieuse a été décidée après que les services hospitaliers aient procédé à une image à résonnance magnétique du rachis cervical de l'intéressé ainsi qu'à des radiographies dont notamment des clichés dynamiques du rachis cervical en flexion ; qu'ainsi, M. X... n'établit pas que les médecins auraient commis une faute en ne prenant pas toutes le précautions nécessaires avant l'opération ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'expert a précisé, d'une part, que l'opération a été exécutée de façon conforme avec la précaution d'un contrôle radioscopique et qu'aucune faute médicale ne pouvait être retenue à l'encontre du chirurgien et, d'autre part, que la complication survenue durant l'opération résulte d'un incident hémodynamique ; que, si M. X... fait état des déclarations de son fils et de Mme Y... selon lesquelles le chirurgien ayant pratiqué l'intervention aurait reconnu avoir accidentellement Atouché la moelle épinière de l'intéressé au cours de l'opération, ces assertions ne sont corroborées par aucune autre pièce du dossier ; qu'ainsi il ne résulte pas de l'instruction qu'une faute ait été commise dans l'exécution technique de l'opération ;
Considérant, en troisième lieu, que M. X... soutient que les médecins auraient tardé à établir un diagnostic, posé le 26 octobre 1993, sur le risque de lésions graves de la moelle épinière en l'absence d'intervention alors qu'il avait été hospitalisé pour une lombalgie d'aggravation progressive le 9 août 1993 ; que, toutefois, la faute médicale ainsi alléguée n'est pas établie ; qu'en tout état de cause, à le supposer établi, un tel retard de diagnostic ne pourrait être à l'origine des dommages subis par l'intéressé qui résultent, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, d'un incident hémodynamique survenu au cours de l'opération ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE à raison de prétendues fautes médicales ;
Mais considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant que M. X... reste atteint d'une quadriplégie à la suite de l'incident hémodynamique survenu au cours de l'intervention chirurgicale qu'il a subie ; qu'en se fondant sur le caractère exceptionnel du risque d'apparition de séquelles neurologiques définitives à la suite d'une intervention sur le rachis cervical, pour juger qu'il n'y avait pas lieu d'informer le patient des risques de l'opération, le Tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit justifiant l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'intervention chirurgicale pratiquée sur M. X... comportait des risques connus de tétraplégie ; qu'ainsi, ces risques devaient faire l'objet d'une information préalable du patient eu égard au grave handicap qui pouvait en résulter ; que si l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE soutient que M. X... aurait été informé des risques de l'intervention et fait état, pour ce faire, des déclarations, recueillies par l'expert, du chirurgien ayant pratiqué l'opération en litige et selon lesquelles ce praticien aurait pour règle d'informer ses patients des risques opératoires, ces circonstances ne sont pas à elles seules de nature à rapporter la preuve, qui incombe au service hospitalier, que l'intéressé a été informé de l'existence de ce risque antérieurement à cette intervention ; que, par ailleurs, aucune urgence ou impossibilité, ni aucun refus exprimé par l'intéressé ne justifiait en l'espèce que cette information préalable ne lui soit pas délivrée ; que, par suite, ce défaut d'information constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande d'indemnité dirigée à l'encontre de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE sur le fondement de la faute résultant du défaut d'information ; que, toutefois, la faute commise par le praticien de l'hôpital n'a entraîné pour M. X... que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'ainsi, l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE ne peut être condamnée à réparer intégralement les conséquences dommageables de l'accident ;

Considérant que si l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE soutient que la faute commise par le centre hospitalier n'aurait pas entraîné pour l'intéressé de perte de chance dans la mesure où l'intervention apparaissait inévitable et que, de ce fait, il aurait consenti en toute hypothèse à celle-ci, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas établi que l'état de santé de M. X... nécessitait de manière vitale ladite intervention ; que, dans ces conditions, l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE n'est pas fondée à soutenir qu'aucune indemnisation ne serait due à l'intéressé au titre de la perte de chance pour M. X... de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
Sur le préjudice :
Considérant que la réparation du dommage résultant pour M. X... de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixé à une fraction des différents chefs de préjudice subis en procédant au rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques d'évolution de son affection auxquels s'exposait l'intéressé en cas de renoncement à ce traitement ; que l'état du dossier ne permet pas d'évaluer le préjudice subi par l'intéressé du fait de la faute résultant du défaut d'information susmentionné ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur la demande d'indemnité de M. X... et sur les conclusions de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES-DU-RHONE, d'ordonner une expertise aux fins précisées dans le dispositif du présent arrêt ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Marseille en date du 24 mars 1998 est annulé.
Article 2 : L'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE est déclarée responsable des conséquences dommageables de la quadriplégie survenue à M. X....
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur la demande d'indemnité de M. X..., procédé à une expertise médicale.
Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions fixées par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Il aura pour mission :
- de prendre connaissance de l'entier dossier médical de M. X... ;
- de préciser, à la date de l'intervention, les risques connus inhérents aux interventions sur le rachis cervical et leur fréquence statistique de réalisation ;
- de décrire l'évolution prévisible de l'état de santé de M. X... en l'absence de toute intervention chirurgicale en précisant la nature et la gravité de ces évolutions éventuelles ainsi que le délai et la probabilité de réalisation de ce risque d'évolution spontanée ;
- de déterminer :
La date de consolidation de l'invalidité,
La durée de l'incapacité temporaire totale,
Le taux de l'incapacité permanente partielle,
Les souffrances physiques,
Les troubles de toute nature dans les conditions d'existence, et, notamment, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, le préjudice esthétique, le pretium doloris ;
- d'une manière générale, de fournir toutes précisions de nature à permettre d'apprécier l'étendue du préjudice résultant de l'intervention chirurgicale subie par M. X....
Article 6 : L'expertise sera réalisée en présence de M. X..., de l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE et de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES-DU-RHONE.
Article 7 : Les frais d'expertise ainsi que tous droits et moyens des parties autres que ceux sur lesquels il a été statué par le présent arrêt sont réservés.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. X..., à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES-DU-RHONE, à l'ASSISTANCE PUBLIQUE DE MARSEILLE et à la ministre de l'emploi et de la solidarité.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 98MA01257
Date de la décision : 08/02/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - MANQUEMENTS A UNE OBLIGATION D'INFORMATION ET DEFAUTS DE CONSENTEMENT


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme BUCCAFURRI
Rapporteur public ?: M. BENOIT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2001-02-08;98ma01257 ?
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