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06/07/2023 | FRANCE | N°22LY03210

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 2ème chambre, 06 juillet 2023, 22LY03210


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Sacla a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008, ainsi que des pénalités correspondantes, de bénéficier du sursis de paiement concernant les pénalités et de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise de 74 304 euros engagés par elle ;

Par un jugement n° 1409753 du 10 octobre 2017,

le tribunal administratif de Lyon a constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Sacla a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2008, ainsi que des pénalités correspondantes, de bénéficier du sursis de paiement concernant les pénalités et de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise de 74 304 euros engagés par elle ;

Par un jugement n° 1409753 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon a constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin de sursis de paiement, a réduit d'un montant de 2 554 652 euros la base d'imposition de la société Sacla à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sociale au titre de l'exercice clos en 2008 et prononcé la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et des pénalités correspondantes et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure initiale devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2017, la société Sacla, représentée par Me Chaux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a limité la réduction de la base d'imposition à 2 554 652 euros ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées soit 2 743 449 euros en principal et l'annulation des majorations et intérêts de retard correspondant soit 351 161 euros d'intérêts de retard et 1 097 380 euros de majoration.

Par un arrêt n° 17LY04170 du 13 février 2020, la cour administrative d'appel de Lyon, a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête, procédé à une expertise en vue de déterminer si le prix de vente des marques vendues par la société Sacla correspond à leur valeur en prenant en considération la dispense de versement de redevances pour une durée de cinq ans consentie par la société Involvex à la société Sacla.

Le rapport d'expertise de M. A..., assisté de M. C..., sapiteur a été déposé le 8 avril 2021.

Par un mémoire enregistré le 15 mai 2021, la SA Sacla conclut aux mêmes fins que la requête.

Elle soutient que :

- les opérations d'expertise sont entachées d'irrégularité ;

- le chiffre d'affaires réalisé par Europrotection ne peut servir d'assiette au calcul de la valeur des marques cédées ;

- le taux de surprofit applicable doit être réduit, l'analyse du statut de la société EuroProtection, devant conduire au rejet de l'existence de la marque liée, ne se réfère à aucun concept légal existant, que cette analyse sert de base au rejet de pièces très démonstratives quant à l'importance réelle des marques non cédées et en particulier des noms historiques des deux sociétés du groupe, que le rôle de la marque historique Sacla est simplement ignoré, que l'expert a rejeté sans raison valable les pièces permettant de démontrer le rôle respectif des marques, que l'analyse de l'affectation du chiffre d'affaires par marque est faussée par l'ensemble de ces biais ;

- il n'existe pas de raison valable de traiter différemment les chaussures et les gants alors que l'affectation du chiffre d'affaires relatif aux chaussures a été validée par le tribunal administratif ;

- il y a lieu de se référer à l'évaluation réalisée pour son compte par l'expert M. B... D..., reconnu dans le domaine de l'évaluation de marques dont le chiffre est très proche de celui déterminé par le tribunal administratif après retraitement de l'impôt sur les sociétés et de la décote pour franchise de redevance, ces deux corrections étant validées par l'expert ;

- la valeur des marques cédées doit être arrêtée à une somme comprise entre 1,3 et 2,1 millions d'euros hors taxes.

Par un arrêt n°17LY04170 du 19 août 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a réduit d'un montant de 5 390 390 euros hors taxes, comprenant la réduction en base accordée par le tribunal administratif de Lyon, la base d'imposition de la SA Sacla à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales de l'exercice clos en 2008 et prononcé la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et des pénalités y afférentes à hauteur de la réduction de base d'imposition définie à l'article 1er, a réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire à l'arrêt, a mis les frais d'expertise à la charge de la SA Sacla à hauteur de 91,47 % et de l'Etat à hauteur de 8,53 % et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par une décision n° 457695 du 27 octobre 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Coverguards Sales, anciennement société Sacla, a annulé les articles 3 à 6 de l'arrêt du 19 août 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon et renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat

Par un mémoire, enregistrée le 5 décembre 2022, et un mémoire complémentaire, enregistré le 20 avril 2023, la société Coverguard Sales, représentée par Me Chaux, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de constater que la valeur des marques cédées est comprise entre 1,3 et 2,1 millions d'euros et de prononcer en conséquence la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 correspondant à la réduction en base de l'imposition ;

3°) de prononcer la décharge des pénalités pour manquement délibéré ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de l'évaluation retenue par l'administration :

- le taux de surprofit a été établi par le service à partir d'un échantillon de six sociétés qui ne respecte pas les critères de comparabilité retenus ;

- l'administration ne s'est pas livrée à une analyse fonctionnelle de la société Sacla pour déterminer le prix de transfert alors que la survaleur générée par une société ne peut provenir de ses seules marques ; l'administration n'a pas prouvé le lien entre les marques cédées et le chiffre d'affaires retenu ;

S'agissant de l'évaluation retenue par le tribunal administratif :

- les équipements de protection des mains marquées EP doivent être exclus de l'assiette du chiffre d'affaires ;

- les premiers juges ont omis de déduire la charge de l'impôt sur les sociétés ;

- la franchise de redevances pour une durée de cinq ans constitue une contrepartie supplémentaire au prix qui doit venir en diminution du redressement ;

- il ne pouvait être tenu compte des revenus perçus postérieurement à la cession des marques par la société Involvex ;

S'agissant de l'évaluation retenue par l'expert :

- la désignation d'un expert a opéré un renversement de la charge de la preuve qui pèse sur l'administration en application de l'article 57 du code général des impôts ; l'expertise n'était pas utile et est irrégulière ; l'expertise est entachée d'irrégularité dès lors que l'expert s'est prononcé sur des questions de droit ;

- l'expert a dénié tout rôle aux marques historiques non cédées ; la marque Sacla a conservé un rôle majeur compte tenu de son ancienneté ; des marques de création récente ne peuvent revêtir une valeur très élevée ;

- le chiffre d'affaires retenu doit exclure l'activité réalisée sous la marque EuroProtection ;

- il convenait d'exclure le chiffre d'affaires réalisé par la société EuroProtection car la notion de chiffre d'affaires réalisé indirectement n'existe pas en droit fiscal ;

- le taux de surprofit a été arrêté par voie de comparaison avec sa société sœur EuroProtection alors que les principes directeurs de l'OCDE excluent toute référence à une transaction entre sociétés liées ; l'expert ne s'est pas livré à une analyse fonctionnelle préalable ;

- l'affectation de la totalité du surprofit aux seules marques cédées n'est pas supportée par une analyse économique ;

S'agissant de l'évaluation retenue, il y a lieu de prendre en compte le prix de 90 000 euros fixé à l'origine et l'assiette du redressement doit être réduite de ce montant ;

S'agissant des pénalités, sa bonne foi doit être reconnue compte tenu de la difficulté de l'exercice.

Par un mémoire, enregistré le 30 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à concurrence des sommes dégrevées le 13 octobre 2021 en exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 août 2021 et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caraës, première conseillère,

- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chaux, représentant la SA Coverguard Sales ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Sacla, devenue société Coverguard Sales, qui exerce une activité de négoce de vêtements et de chaussures de protection ainsi que de petits équipements, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2007, 2008 et 2009 à l'issue de laquelle l'administration a rehaussé son résultat, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts, estimant que la société, en cédant le 19 octobre 2008 un ensemble de marques détenues par elle à un prix minoré à une société de droit luxembourgeois, la société Involvex, avait procédé à un transfert indirect de bénéfices. Par un jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon, après avoir constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à fins de sursis de paiement présentées en première instance, a prononcé une décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles la société a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et des pénalités y afférentes à concurrence d'une réduction de base d'imposition d'un montant de 2 554 652 euros et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

2. Par un arrêt avant-dire droit du 13 février 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a décidé qu'il serait, avant de statuer sur la requête de la société Sacla, procédé à une expertise en vue de déterminer si le prix de vente des marques vendues par cette société correspondait à leur valeur, en prenant notamment en considération la dispense de versement de redevance pour une durée de cinq ans consentie par la société acheteuse, Involvex, à la société Sacla. Le rapport d'expertise a été déposé le 8 avril 2021. Par un arrêt du 19 août 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a prononcé une décharge partielle, à concurrence d'une réduction de base d'imposition de 5 390 390 euros hors taxes, comprenant la réduction accordée par le jugement attaqué, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles la société Sacla a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 et des pénalités y afférentes, a mis les frais d'expertise à la charge de la société Sacla à hauteur de 91,47 % et de l'Etat à hauteur de 8,53 % et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par une décision n° 457695 du 27 octobre 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société Coverguards Sales a annulé les articles 3 à 6 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 août 2021 et a renvoyé dans cette mesure l'affaire à la cour.

Sur les conclusions aux fins de non-lieu à statuer du ministre :

3. Si, dans le dernier état de ses écritures, le ministre conclut au non-lieu à statuer partiel, à hauteur des dégrèvements prononcés, les 21 novembre 2017 et 19 août 2021 en exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 octobre 2017 et de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 19 août 2021, ces conclusions doivent être rejetées dès lors que la réduction en base et la décharge consécutive des impositions ont été décidées, respectivement, par les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour du 19 août 2021 devenus définitifs et ne sont plus en litige après le renvoi de l'affaire à la cour par la décision du Conseil d'Etat du 27 octobre 2022.

Sur l'utilité et la régularité de l'expertise :

4. Il n'appartient pas au juge d'appel saisi sur renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat de se prononcer sur le caractère frustratoire de l'expertise ordonnée par un arrêt avant-dire droit de la cour administrative d'appel du 13 février 2020.

5. Aux termes de l'article R. 621-9 du code de justice administrative : " Le rapport est déposé au greffe en deux exemplaires. Des copies sont notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification peut s'opérer sous forme électronique. Le greffe peut demander à l'expert de déposer son rapport sous forme numérique. La notification du rapport aux parties est alors assurée par le greffe. Les parties sont invitées par le greffe de la juridiction à fournir leurs observations dans le délai d'un mois ; une prorogation de délai peut être accordée. "

6. Si la requérante soutient que l'expertise serait irrégulière faute pour le sapiteur d'avoir contresigné le rapporteur d'expertise, le moyen doit être écarté comme manquant en fait la page du rapport d'expertise comportant le contreseing du sapiteur ayant été communiquée aux parties le 14 juin 2021.

7. Aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée. Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport. ". Aux termes de l'article R. 621-7-1 du même code : " Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. En cas de carence des parties, l'expert en informe le président de la juridiction qui, après avoir provoqué les observations écrites de la partie récalcitrante, peut ordonner la production des documents, s'il y a lieu sous astreinte, autoriser l'expert à passer outre, ou à déposer son rapport en l'état. Le président peut en outre examiner les problèmes posés par cette carence lors de la séance prévue à l'article R. 621-8-1. La juridiction tire les conséquences du défaut de communication des documents à l'expert. "

8. Si la requérante soutient que l'expert a organisé et maintenu une réunion d'expertise dans les locaux de la société Sacla le 30 juillet 2020 en présence d'un représentant de l'administration fiscale alors qu'il a été prévenu que ses conseils ne pourraient pas être présents sur place, la réunion s'est tenue en présence d'un représentant de la société régulièrement convoqué. Dans ces conditions, le caractère contradictoire des opérations d'expertise n'a pas été méconnu.

9. Aux termes de l'article R. 621-2 du code de justice administrative : " Il n'est commis qu'un seul expert à moins que la juridiction n'estime nécessaire d'en désigner plusieurs. Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel, selon le cas, ou, au Conseil d'État, le président de la section du contentieux choisit les experts parmi les personnes figurant sur l'un des tableaux établis en application de l'article R. 221-9. Il peut, le cas échéant, désigner toute autre personne de son choix. Il fixe également le délai dans lequel ils seront tenus de déposer leur rapport au greffe. Lorsqu'il apparaît à un expert qu'il est nécessaire de faire appel au concours d'un ou plusieurs sapiteurs pour l'éclairer sur un point particulier, il doit préalablement solliciter l'autorisation du président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou, au Conseil d'État, du président de la section du contentieux. La décision est insusceptible de recours. "

10. Il résulte de l'instruction que, si l'expert s'est adjoint un nouveau sapiteur, non désigné par le président de la cour, en la personne d'un avocat chargé de donner son opinion sur le taux de redevance devant être retenu pour des redevances de marques, l'avis formulé par cette personne est intervenu dans le cadre de la mise en œuvre de la méthode par capitalisation des redevances, méthode qui n'a pas été retenue par l'expert. Dans ces conditions, l'irrégularité invoquée n'a privé la requérante d'aucune garantie et reste sans influence sur le sens des conclusions de l'expertise.

11. En énonçant dans son rapport d'expertise que, pour reconstituer la part du chiffre d'affaires imputable aux marques cédées, il convenait de cumuler la part du chiffre d'affaires correspondant réalisée par la société Sacla à celle réalisée par la société EuroProtection et en établissant le taux de surprofit par comparaison entre ces deux sociétés, l'expert ne s'est pas prononcé sur des questions de droit qu'il n'appartient qu'au juge administratif de trancher mais a entendu déterminer la valeur des marques cédées conformément à la mission qui lui a été confiée.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

12. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / La condition de dépendance ou de contrôle n'est pas exigée lorsque le transfert s'effectue avec des entreprises établies dans un Etat étranger ou dans un territoire situé hors de France dont le régime fiscal est privilégié au sens du deuxième alinéa de l'article 238 A. "

13. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s'explique par la situation différente de ces clients, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

14. Il résulte de l'instruction que l'administration a constaté que, le 19 octobre 2008, la société Sacla avait cédé à la société de droit luxembourgeois Involvex SA un portefeuille de marques pour un montant de 90 000 euros. Dans la proposition de rectification, l'administration a estimé la valeur des marques à 20 919 790 euros, valeur qui a été ramenée à 11 288 000 euros à la suite de l'interlocution départementale. La société Sacla a reconnu que le prix de cession de 90 000 euros était sous-évalué et que cette minoration de recettes était constitutive d'un transfert indirect de bénéfices à l'étranger au sens de l'article 57 du code général des impôts.

En ce qui concerne la méthode d'évaluation de la valeur des marques cédées :

15. La valeur d'une marque lors de son acquisition ou lors de la concession de ses droits d'utilisation, qui dépend des profits que l'acquéreur de la marque ou son utilisateur peut escompter de l'exploitation de celle-ci doit être appréciée en fonction des perspectives de profits que, à la date d'acquisition, la société pouvait raisonnablement espérer réaliser.

16. L'expert désigné par la cour administrative d'appel de Lyon en vue de déterminer la valeur des marques cédées a retenu la moyenne pondérée de la méthode par les coûts historiques et de la méthode d'actualisation des flux futurs. Il y a lieu de ne retenir que la méthode d'actualisation des flux futurs qui apparait comme la méthode la plus fiable pour apprécier la valeur d'une marque par rapport aux avantages économiques futurs que celle-ci confère à son titulaire sans prendre en compte la méthode des coûts historiques conduisant à une évaluation par l'expert près de huit fois inférieure à celle fondée sur l'actualisation des flux futurs.

En ce qui concerne le chiffre d'affaires lié aux marques cédées :

17. La société Coverguard Sales soutient que le chiffre d'affaires réalisé par sa filiale, à la date de la cession, la société EuroProtection doit être exclu du chiffre d'affaires de la société Sacla pour déterminer la valeur des marques cédées.

18. L'expert a pris en compte le chiffre d'affaires cumulé des sociétés Sacla et EuroProtection en indiquant que la valeur d'une marque étant fonction des avantages économiques futurs conférés au cessionnaire, l'analyse de la valeur intrinsèque des marques cédées par la société Sacla ne pouvait être limité à son seul périmètre. Pour aboutir à cette conclusion, l'expert a relevé, sans être sérieusement contesté, que les divers produits conçus et distribués par la société Sacla donnent lieu à des ventes directes mais aussi indirectes à partir de sa filiale, la société EuroProtection détenue à 100 % par les actionnaires de la société Sacla, qui achète la totalité des produits qu'elle distribue auprès de la société Sacla et que la société EuroProtection ne constitue qu'un canal de distribution des marques détenues par la société Sacla. Il a ainsi pu valablement déterminer le chiffre d'affaires réalisé avec les marques cédées à 63,49 % à partir du chiffre d'affaires consolidé des sociétés Sacla et EuroProtection pour apprécier les perspectives de profit que l'acquéreur des marques pouvait raisonnablement espérer réaliser en ayant pris soin préalablement de neutraliser l'impact des achats réalisés par EuroProtection auprès de la société Sacla.

19. Si la société Coverguard Sales conteste ce taux de 63,49 % en soutenant que le chiffre d'affaires retenu doit exclure l'activité réalisée sous la marque EuroProtection qui ne fait pas partie des marques cédées et qu'à cet égard, les produits appartenant à la famille des gants doivent être exclus du chiffre d'affaires de la société, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la stratégie du groupe consiste à faire porter chaque famille d'articles par une marque phare et représentative permettant aux produits d'une même famille de bénéficier de la notoriété de la marque représentative. A cet égard, après avoir pris en compte l'accord des parties sur l'exclusion des ventes de chaussures de sécurité du calcul de l'assiette du chiffre d'affaires, l'expert a conclu, après avoir procédé à une analyse figurant à l'annexe E du rapport, que le chiffre d'affaires généré par les produits de la famille des gants devait être retenu dans ce même calcul dès lors que la marque EuroTechnique, qui a été cédée, et non EuroProtection, apparaissait comme la marque phare de cette famille de produits. Par suite, il y a lieu de retenir les gants dans l'assiette du chiffre d'affaires des marques cédées.

En ce qui concerne la détermination du taux de surprofits lié aux marques :

20. L'expert a déterminé le taux de surprofits à 3 % en comparant le taux de rentabilité de la société Sacla, portant seule les dépenses d'entretien et de développement des marques, avec celui de la société EuroProtection. La société Sacla conteste la méthode de calcul de ce taux par l'expert en faisant valoir que cette méthode ne permet pas d'aboutir à un prix de pleine concurrence eu égard aux liens existants entre les deux sociétés et en l'absence d'analyse fonctionnelle de leur profil respectif. Si la société Sacla se prévaut de l'étude du cabinet Sorgem aux termes de laquelle le taux de surprofits de la société Sacla a été estimé à 4,5 % et la part de ce taux de surprofits attribuable aux marques a été évalué à 15 %, soit 0,68 % du chiffre d'affaires, cette analyse a été amendée par une nouvelle étude réalisée par un cabinet mandaté par la société qui a retenu, dans son rapport du 25 mai 2020, qu'il convenait de retenir un taux de surprofits attribuable aux marques de 1,5 % en considérant que le taux de 4,5 % était uniquement dû pour 1/3 aux marques sans toutefois assortir ces conclusions d'une analyse et des précisions utiles tendant à justifier de la clef de répartition retenue et permettant d'en apprécier la pertinence dans le cas de la société Sacla. Ce faisant, la société Coverguard Sales n'établit pas que le taux de surprofits attribuable aux marques retenu par l'expert aurait été surévalué. Par suite, il y a lieu de retenir un taux de surprofits de 3 % pour déterminer la valorisation des marques cédées.

21. La valeur des marques cédées par la société Sacla, initialement déclarée par cette société pour un montant de 90 000 euros hors taxes, portée à 11 288 000 euros hors taxes par l'administration à l'issue la procédure d'imposition, a été fixée à 8 733 348 euros hors taxes par le tribunal administratif de Lyon. Il résulte de ce qui a été dit précédemment et notamment du rapport de l'expert désigné par la cour que la valeur des marques cédées par la société Sacla doit être évaluée à 8 297 610 euros. Compte tenu de la décote de 37 % pour dispense de versement de redevances consentie pour cinq ans par l'acquéreur des marques qu'il convient d'appliquer à cette valeur, d'un montant de 3 070 115 euros hors taxes, cette valeur s'établit à 5 227 495 euros hors taxes, montant qui correspond au plafond de l'estimation revendiquée par la société Sacla tant devant la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qu'en première instance. Il en résulte un écart entre la valeur des marques cédées et le prix de cession convenu de 90 000 euros hors taxe d'un montant de 5 137 495 euros, constitutif d'un avantage pour l'acquéreur. La société requérante, qui se borne à contester le montant de cet avantage, n'invoque ni intérêt, ni contrepartie de nature à justifier un tel avantage. Dans ces conditions l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence d'une minoration du prix de cession d'actifs à concurrence de ce montant et, partant, de l'existence du transfert indirect de bénéfices à l'étranger reconnu dans son principe par la société requérante.

Sur les pénalités :

22. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. "

23. Pour infliger à la société Sacla des majorations pour manquement sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration s'est fondée sur le fait que la société a consenti un avantage occulte à la société Involvex, avec laquelle elle est liée, en minorant volontairement le prix de cession de ses marques. En faisant valoir que la société Sacla, en déclarant une valeur de cession de 90 000 euros hors taxes ne pouvait ignorer que ses marques étaient sous évaluées et qu'il en résultait une insuffisance de déclaration pour une somme importante, le ministre établit suffisamment le caractère délibéré du manquement de la société Sacla, alors même que ce comportement déclaratif serait isolé. La circonstance que, devant la cour, elle a proposé de retenir d'abord une valeur de 503 000 euros hors taxes puis, dans le dernier état de ses écritures, une valeur comprise entre 1,3 et 2,1 millions d'euros reste sans influence sur l'appréciation du caractère intentionnel de la sous-évaluation.

24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer le résultat imposable de l'exercice clos en 2018 de la société Sacla à 10 033 798 euros aux lieu et place du montant de 16 184 303 euros déterminé par l'administration et de réduire par conséquence d'un montant de 6 150 505 euros la base d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions sociales de cet exercice. Dès lors, d'une part, que la cour administrative d'appel de Lyon a prononcé une réduction de 5 390 390 euros de cette base d'imposition et prononcé la décharge des impositions en litige, à concurrence de ce montant, dans les articles 1er et 2 de l'arrêt du 19 août 2021 et, d'autre part, que le résultat déclaré par la société Sacla incluait le montant du prix de cession du portefeuille de marques à concurrence de 90 000 euros, il y a lieu de prononcer une réduction supplémentaire de la base d'imposition de 760 115 euros et de prononcer la décharge partielle, à concurrence de ce montant, des impositions en litige. La société Coverguard Sales est dès lors seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon n'a pas fait droit à sa demande dans cette mesure.

Sur les dépens :

25. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du 28 septembre 2011 : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, ainsi que les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens ". Aux termes de l'article R. 207-1 du livre des procédures fiscales : " (...) Les frais d'expertise sont supportés par la partie qui n'obtient pas satisfaction. Le contribuable qui obtient partiellement gain de cause participe aux frais en proportion de la part de sa demande qui a été rejetée et compte tenu de l'état du litige au début de l'expertise. "

26. Pour l'application des dispositions précitées la société requérante obtient en cause d'appel une réduction supplémentaire de sa base d'imposition d'un montant de 3 505 853 euros hors taxes. Toutefois elle demandait avant expertise que la valeur des marques soit arrêtée à la somme 503 000 euros hors taxes alors que le présent arrêt retient une valeur de 5 227 495 euros hors taxes. Dès lors, les frais de l'expertise doivent être mis à sa charge à concurrence de 90 %, le surplus étant mis à la charge de l'Etat.

Sur les frais liés au litige :

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat les frais exposés par la société Coverguard Sales en cours d'instance et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Les conclusions du ministre tendant au non-lieu à statuer sont rejetées.

Article 2 : La base d'imposition de la société Sacla à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sociale au titre de l'exercice clos en 2008 est réduite d'un montant supplémentaire de 760 115 euros hors taxes tenant.

Article 3 : La société Coverguard Sales est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008 résultant de la réduction de la base d'imposition définie à l'article 1er et des pénalités correspondantes.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 octobre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Les frais d'expertise, comprenant les honoraires de M. A..., expert, et les honoraires de M. C..., sapiteur, liquidés et taxés par ordonnances du président de la cour du 1er juin 2021, sont mis à la charge de la société Coverguard Sales à hauteur de 90 %.

Article 6 : Les frais d'expertise, comprenant les honoraires de M. A..., expert, et les honoraires de M. C..., sapiteur, liquidés et taxés par ordonnances du président de la cour du 1er juin 2021, sont mis à la charge de l'Etat à hauteur de 10 %.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requérante est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Coverguard Sales et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

Mme Caraës, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

R. Caraës

Le président,

D. PruvostLa greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03210


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03210
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Fiscal

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. - Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : SELARL ACC

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-07-06;22ly03210 ?
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