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01/03/2012 | FRANCE | N°11LY01185

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 01 mars 2012, 11LY01185


Vu la requête, transmise par télécopie le 12 mai 2011, confirmée le 13 mai 2011, présentée pour M. et Mme Hannouf A, agissant en leur nom personnel et au nom de leur fils mineur, Yacine, domiciliés ..., M. et Mme Khemais A, domiciliés ... et M. et Mme Béchir Ben Ali A, domiciliés ...;

Les consorts A demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0902081 du 3 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à leur verser diverses indemnités en réparation des préjudices résultant de la faute impu

table au centre hospitalier lors de la naissance de l'enfant Aymen A ;

2°) de c...

Vu la requête, transmise par télécopie le 12 mai 2011, confirmée le 13 mai 2011, présentée pour M. et Mme Hannouf A, agissant en leur nom personnel et au nom de leur fils mineur, Yacine, domiciliés ..., M. et Mme Khemais A, domiciliés ... et M. et Mme Béchir Ben Ali A, domiciliés ...;

Les consorts A demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0902081 du 3 mars 2011 par lequel le Tribunal administratif de Dijon a condamné le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à leur verser diverses indemnités en réparation des préjudices résultant de la faute imputable au centre hospitalier lors de la naissance de l'enfant Aymen A ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône à verser la somme de 506 308 euros à M. et Mme Hannouf A en leur qualité d'ayants droits de la victime, la somme de 169 466 euros en réparation de leurs préjudices personnels et la somme de 20 000 euros en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur Yacine, la somme de 19 000 euros chacun à M. et Mme Béchi Ben A et à M. et Mme Khemais A ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que le Tribunal a fait une évaluation insuffisante des préjudices subis ; que les préjudices personnels de leur enfant décédé peuvent être transmis aux héritiers ; que le préjudice subi par le frère de la victime est en lien direct et certain avec la faute du centre hospitalier ; que des couches spéciales ont été nécessaires compte tenu du handicap de l'enfant ; que les frais d'assistance sont dus même si cette assistance est assurée par un membre de la famille ; que les pièces versées au débat suffisent à caractériser le préjudice esthétique ; que la perte de chance de survie doit être indemnisée ; que les parents ont engagé de nombreux frais de déplacement lors des hospitalisations de l'enfant ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, transmis par télécopie le 19 décembre 2011, confirmée le 21 décembre 2011, présenté pour le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône tendant au rejet de la requête ;

Il soutient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la faute de l'hôpital et le préjudice invoqué par le frère cadet de la victime né plus d'un an après les faits ; qu'en l'absence de handicap, les dépenses de couches auraient été exposées ; que le montant du taux quotidien des frais de maintien à domicile retenu par le Tribunal n'a pas été sous-évalué ; que la rente annuelle de 12 000 euros allouée en réparation des préjudices à caractère personnel est cohérente avec la jurisprudence ; qu'en jugeant qu'il n'y a pas lieu d'indemniser un préjudice distinct au titre d'une perte de chance de survie, le Tribunal a légalement justifié sa décision ; que le préjudice moral, d'accompagnement et d'affection constitue un seul et même préjudice ; que le montant alloué à ce titre par le Tribunal n'est pas insuffisant ; que les requérants n'apportent pas la preuve d'un lien de causalité entre la faute de l'hôpital et le préjudice invoqué ni même la preuve de ce préjudice ; que le préjudice moral des grands-parents a été suffisamment indemnisé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 février 2012 :

- le rapport de Mme Steck-Andrez, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Pourny, rapporteur public

- et les observations de Me Perrigueur, avocat des consorts A ;

Considérant que Mme A a accouché de son premier enfant, Aymen, le 15 juillet 2005, au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône ; que l'enfant est né en état de mort apparente et a présenté, jusqu'à son décès survenu le 26 décembre 2007, une infirmité motrice cérébrale majeure ; que par jugement du 3 mars 2011, le Tribunal administratif de Dijon a reconnu l'entière responsabilité du centre hospitalier et l'a condamné à verser aux parents de l'enfant, M. et Mme Hannouf A, une somme de 116 800 euros, ramenée à 36 800 euros après déduction des provisions déjà versées, assortie des intérêts légaux à compter du 2 juin 2009, et aux grands-parents, chacun une somme de 4 000 euros, assortie des intérêts à compter de la même date ; que les consorts A demandent la réformation de ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entièrement satisfaction ;

Sur les droits à réparation dus aux parents de l'enfant Aymen A :

Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ; qu'il n'en va, en revanche, pas de même du préjudice résultant de la perte de chance de survivre dès lors que cette perte n'apparaît qu'au jour du décès de la victime et n'a pu donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de la victime :

Quant aux dépenses de santé :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que des dépenses de santé liées au handicap de leur enfant sont restés à la charge de M. et Mme A, correspondant à des médicaments non remboursés et à la location de matériel pour la nutrition et l'aspiration trachéale ; qu'en estimant, sur la base des pièces justificatives produites par les intéressés, que ces dépenses représentaient un montant forfaitaire de 1 000 euros, le Tribunal n'a pas procédé à une évaluation insuffisante de ce poste de préjudice ;

Considérant qu'il n'est pas justifié de l'achat de couches spéciales nécessitées par le handicap de l'enfant ; que c'est à juste titre que le Tribunal a rejeté la demande de remboursement des frais de couches dont l'usage est inhérent à l'âge de l'enfant ;

Quant aux frais liés au handicap :

Considérant que lorsque, au nombre des conséquences dommageables d'un accident engageant la responsabilité d'une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en raison de l'importance de son handicap, l'état de l'enfant nécessitait l'assistance constante d'une tierce personne auprès de lui, jour et nuit ; qu'il a été pris en charge au foyer familial de sa naissance, le 15 juillet 2005, à son décès, le 26 décembre 2007, à l'exception de 301 jours d'hospitalisation ; qu'il sera fait une juste appréciation du coût d'une telle assistance au domicile familial, compte tenu du salaire minimum moyen sur la période du 15 juillet 2005 au 26 décembre 2007, augmenté des charges sociales, en le fixant à la somme de 200 euros par tranche de vingt-quatre heures ; que pour cette période, les frais de maintien à domicile du jeune Aymen doivent être évalués, selon le mode de calcul indiqué ci-dessus, à 110 000 euros ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel de la victime :

Considérant qu'en l'absence de recours de la caisse primaire d'assurance maladie sur les postes réparant les préjudices personnels de l'enfant Aymen, le Tribunal pouvait accorder une indemnité globale en réparation des divers troubles subis dans ses conditions d'existence ; qu'il résulte de l'instruction que l'enfant était atteint d'un déficit fonctionnel total et que les souffrances endurées étaient majeures ; que, toutefois, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément doivent être regardés comme inexistants, en l'absence de conscience de la victime ; que le préjudice résultant pour le jeune Aymen de la perte de chance de vivre plus longtemps, qui s'est constitué à son décès, n'a pu créer aucun droit à réparation susceptible d'avoir été transmis à ses parents ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des divers troubles dans les conditions d'existence de l'enfant en fixant l'indemnité due à ce titre à 17 000 euros ;

Sur les droits propres des ayants-droits :

Sur les préjudices de M. et Mme Hannouf A, parents de l'enfant Aymen :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme A ont supporté des frais pour se rendre auprès de leur enfant lors de ses hospitalisations, ainsi que des frais d'obsèques ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces dépenses en les évaluant à la somme forfaitaire de 2 000 euros ;

Considérant que le préjudice moral et d'accompagnement subis par M. et Mme Hannouf A en raison du handicap de leur enfant doit être fixé, pour chacun d'eux, à la somme de 24 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices dont M. et Mme A sont fondés à demander réparation, en leur qualité d'héritiers de leur fils et en leur nom personnel, s'établissent respectivement à 128 800 euros et 50 000 euros ; que, compte tenu de la provision de 50 000 euros versée par l'assureur du centre hospitalier dans le cadre du règlement amiable et de la provision de 30 000 euros au paiement de laquelle le centre hospitalier a été condamné par l'ordonnance en date du 9 octobre 2009 du juge des référés du tribunal administratif, le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône est redevable envers M. et Mme Hannouf A de la somme globale de 98 800 euros ;

Sur le préjudice de Yacine A, frère d'Aymen A :

Considérant que la naissance de Yacine au foyer de M. et Mme A étant postérieure à l'apparition du handicap de son frère aîné Aymen, le préjudice moral et d'accompagnement dont il est demandé réparation en son nom, ne présente pas un lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône ;

Sur le préjudice des grands-parents paternels et maternels d'Aymen A :

Considérant que le Tribunal a fait une juste appréciation du préjudice moral et d'accompagnement subi par les grands-parents de l'enfant, en attribuant à chacun la somme de 4 000 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que les consorts A ont droit aux intérêts au taux légal des sommes qui leur sont dues par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, à compter de la date à laquelle la réclamation du 2 juin 2009 est parvenue au centre hospitalier, les intérêts étant calculés en tenant compte des dates de versement des provisions de 50 000 euros et de 30 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts A et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 36 800 euros attribuée à M. et Mme Hannouf A, en leur qualité d'héritiers de leur fils et en leur nom personnel, par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif de Dijon du 3 mars 2011 est portée à 178 800 euros, assortie des intérêts à compter de la date à laquelle la réclamation du 2 juin 2009 est parvenue au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, sous déduction de toutes sommes versées à titre provisionnel. Il y a lieu, pour le calcul des intérêts de tenir compte de la date de versement des provisions.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Dijon du 3 mars 2011 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône versera aux consorts A la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Hannouf A, à M. et Mme Khemais A, à M. et Mme Béchir Ben Ali A, au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or.

Délibéré après l'audience du 9 février 2012 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

Mme Steck-Andrez, président-assesseur,

M. Picard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er mars 2012.

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N° 11LY01185


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11LY01185
Date de la décision : 01/03/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. CLOT
Rapporteur ?: Mme Frédérique STECK-ANDREZ
Rapporteur public ?: M. POURNY
Avocat(s) : PERRIGUEUR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2012-03-01;11ly01185 ?
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