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05/07/2006 | FRANCE | N°06LY00558

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 3ème chambre, 05 juillet 2006, 06LY00558


Vu, I, le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 16 mars 2006, sous le n° 06LY00558, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600450-0600451 en date du 17 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 27 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Kemajl Y et Mlle Shpresa X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même j

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Vu, I, le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 16 mars 2006, sous le n° 06LY00558, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600450-0600451 en date du 17 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 27 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Kemajl Y et Mlle Shpresa X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des reconduites, lui a enjoint de délivrer à M. Y et Mlle X une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur leur demande de titre de séjour dans le délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre des frais exposés par les intéressés et non compris dans les dépens ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. Y et Mlle X devant le Tribunal administratif de Grenoble ;

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Vu, II, le recours enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 16 mars 2006, sous le n° 06LY00559, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour de prononcer, en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 0600450-0600451 en date du 17 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 27 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Y et Mlle X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des reconduites, lui a enjoint de délivrer à M. Y et Mlle X une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur leur demande de titre de séjour dans le délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre des frais exposés par les intéressés et non compris dans les dépens ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 juin 2006 :

- le rapport de M. Fontanelle, président ;

- et les conclusions de Mme Verley-Cheynel, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y et Mlle X, de nationalité serbo-monténégrine, se sont maintenus sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 22 octobre 2005, des décisions du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE du 20 octobre 2005 leur refusant la délivrance d'un titre de séjour et les invitant à quitter le territoire ; qu'ainsi, à la date des arrêtés attaqués, le 27 janvier 2006, ils étaient dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » et qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (…) des tribunaux, des autorités administratives (…), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale » ; qu'il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;

Considérant que pour annuler les arrêtés de reconduite à la frontière pris par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à l'encontre de M. Y et Mlle X le 27 janvier 2006, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a jugé que ces mesures d'éloignement méconnaissaient, tant les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard aux perspectives d'intégration, notamment professionnelles, des intéressés, que celles de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, du fait de la scolarisation en France et de la bonne intégration scolaire et sociale de deux des enfants du couple et de la situation actuelle en Albanie ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que M. Y et Mlle X, qui sont entrés irrégulièrement en France moins d'un an et demi avant les mesures d'éloignement en litige, à l'âge respectivement de trente et un et de vingt-neuf ans, sont tous deux en situation irrégulière et que rien ne s'oppose à ce qu'ils repartent ensemble dans leur pays d'origine, la Serbie-Monténégro, accompagnés de leur trois enfants mineurs nés en 2001, 2003 et 2005 et qui pourront y poursuivre ou y débuter leur scolarité ; que nonobstant les perspectives éventuelles d'intégration, notamment professionnelles, des intéressés, les arrêtés de reconduite à la frontière litigieux ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intérêt supérieur des enfants du couple n'aurait pas été pris en compte par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, pour ces motifs, les arrêtés de reconduite à la frontière litigieux, et, par voie de conséquence, les décisions fixant la Serbie-Monténégro comme pays de renvoi ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. Y et Mlle X devant le Tribunal administratif de Grenoble ;

Sur les arrêtés de reconduite à la frontière :

En ce qui concerne leur légalité externe :

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 25 novembre 2005, publié le 30 novembre 2005 au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Savoie, M. Jean-Claude Bellour, sous-préfet de Bonneville, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE pour signer notamment les décisions de reconduite à la frontière, dans le cadre de ses fonctions de secrétaire-général de la préfecture de la Haute-Savoie par intérim ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions doit, par suite, être écarté ;

Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les arrêtés de reconduite à la frontière en litige, qui visent notamment le 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les décisions de refus de délivrance d'un titre de séjour en date du 20 octobre 2005 et qui relèvent en particulier que la situation administrative des deux concubins est irrégulière et que leurs trois enfants sont présents en France, comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par suite, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, qui n'était pas tenu de préciser en quoi la situation particulière des intéressés ne faisait pas obstacle à la mise en oeuvre d'une procédure d'éloignement a suffisamment motivé les arrêtés de reconduite à la frontière litigieux ; qu'il ne ressort, en outre, pas des pièces du dossier que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, qui a effectivement procédé à l'examen préalable de la situation personnelle des intéressés, se serait estimé en situation de compétence liée ;

En ce qui concerne leur légalité interne :

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions du 20 octobre 2005 par lesquelles le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a refusé à M. Y et Mlle X la délivrance d'un titre de séjour, qui portent mention des voies et délais de recours dont elles pouvaient faire l'objet, ont été notifiées aux intéressés le 22 octobre 2005 et il n'est pas soutenu ni même allégué qu'elles auraient été contestées dans le délai de recours contentieux ; que ces décisions sont ainsi devenues définitives et que M. Y et Mlle X ne sont, par suite, pas recevables à exciper de leur illégalité à l'encontre des mesures d'éloignement en litige ;

Considérant, en deuxième lieu, que pour les motifs précédemment énoncés et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions d'entrée et de séjour de M. Y et Mlle X en France, les arrêtés litigieux ne sont pas entachés d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ces mesures sur la situation personnelle des intéressés ;

Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré des risques que M. Y et Mlle X encourraient dans leur pays d'origine est inopérant à l'encontre des arrêtés de reconduite à la frontière qui ne fixent pas le pays de renvoi ;

Sur les décisions distinctes fixant le pays de destination :

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 25 novembre 2005, publié le 30 novembre 2005 au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Savoie, M. Jean-Claude Bellour, sous-préfet de Bonneville, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE pour signer notamment les décisions fixant le pays de destination des reconduites à la frontière, dans le cadre de ses fonctions de secrétaire-général de la préfecture de la Haute-Savoie par intérim ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions doit, par suite, être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que les décisions fixant la Serbie-Monténégro comme pays de destination des reconduites à la frontière, qui comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, sont suffisamment motivées ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. » ;

Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que M. Y et Mlle X, qui évoquent la situation générale d'insécurité qui règnerait au Kosovo en soutenant que l'UCK, qui a en charge l'ordre public dans cette région, commettrait des exactions dont ils ne pourraient être protégés et qui allèguent des menaces et violences dont ils auraient été victimes sans apporter d'élément probant de nature à établir la réalité des faits allégués, n'apportent pas la preuve des risques que comporterait pour eux le retour dans leur pays d'origine ; que, par suite, en fixant la Serbie-Monténégro comme pays de destination des reconduites à la frontière, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il se serait senti lié par les décisions de rejet rendues par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la commission des recours des réfugiés, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ces décisions sur la situation des intéressés ni méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'intégration des intéressés en France et l'attachement de ces derniers à ce pays sont sans incidence sur la légalité de ces décisions, lesquelles n'ont, en tout état de cause, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 27 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Y et Mlle X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des reconduites, lui a enjoint de délivrer à M. Y et Mlle X une autorisation provisoire de séjour et de statuer sur leur demande de titre de séjour dans le délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre des frais exposés par les intéressés et non compris dans les dépens ;

Sur le recours du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE tendant au suris à exécution du jugement en date du 17 février 2006 :

Considérant que la Cour statuant au fond par le présent arrêt sur le recours n° 06LY00558, les conclusions du recours enregistré sous le n° 06LY00559 deviennent sans objet ;



DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble en date du 17 février 2006 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. Y et Mlle X devant le Tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 06LY00559 du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à fin de sursis à exécution du jugement du 17 février 2006 du Tribunal administratif de Grenoble.
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Nos 06LY00558, 06LY00559


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 06LY00558
Date de la décision : 05/07/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guy FONTANELLE
Rapporteur public ?: Mme VERLEY-CHEYNEL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2006-07-05;06ly00558 ?
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