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20/06/2006 | FRANCE | N°06LY00411

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 6ème chambre, 20 juin 2006, 06LY00411


Vu, I.la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 22 février 2006 sous le n° 06LY00411, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600432-0600433 du 13 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 31 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Suad X et Mme Sanela X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fix

ant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des recondu...

Vu, I.la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 22 février 2006 sous le n° 06LY00411, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600432-0600433 du 13 février 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 31 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Suad X et Mme Sanela X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des reconduites, lui a enjoint de délivrer à M. et Mme X une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer, dans le délai d'un mois, leur situation administrative, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Grenoble ;
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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mai 2006 :

- le rapport de M. Guerrive, président ;

- les observations de Me Lerien, avocat des époux X ;

- et les conclusions de Mme Verley-Cheynel, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme X, ressortissants de Bosnie-Herzégovine, se sont maintenus sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 12 août 2005, des décisions du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE du 9 août 2005 leur refusant la délivrance d'un titre de séjour et les invitant à quitter le territoire ; qu'ainsi, à la date des arrêtés litigieux, le 31 janvier 2006, ils étaient dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (…) des tribunaux, des autorités administratives (…), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale » ; qu'il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ; que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que pour annuler les arrêtés de reconduite à la frontière pris par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à l'encontre de M. et Mme X le 31 janvier 2006, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a estimé que ces mesures d'éloignement, d'une part, étaient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés, et, d'autre part, méconnaissaient les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ; que pour annuler les décisions distinctes du 31 janvier 2006 par lesquelles le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a désigné la Bosnie-Herzégovine comme pays de destination des reconduites à la frontière, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a jugé que ces décisions méconnaissaient les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que M. et Mme X, qui étaient âgés respectivement de trente-six et de trente ans à la date de leur arrivée sur le territoire national, sont entrés irrégulièrement en France deux ans seulement avant la date des arrêtés de reconduite à la frontière pris à leur encontre et que rien ne fait obstacle à ce qu'ils repartent ensemble, accompagnés de leurs deux enfants mineurs âgés de sept et de trois ans, dans leur pays d'origine où ils ont conservé des liens familiaux et où leurs enfants sont nés et pourront poursuivre leur scolarité ; que nonobstant les efforts d'intégration réalisés par les intéressés et leurs enfants, les arrêtés de reconduite à la frontière en litige ne sont, dès lors, pas entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intérêt supérieur des enfants de M. et Mme X n'aurait pas été pris en compte ; que M. et Mme X n'établissent pas, par ailleurs, par les pièces produites, la réalité des menaces alléguées et des risques auxquels ils seraient personnellement exposés en cas de retour en Bosnie-Herzégovine ; que les décisions distinctes désignant le pays dont ils ont la nationalité comme destination des reconduites ne méconnaissent, dès lors, pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, pour ces motifs, les arrêtés et décisions litigieux ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Grenoble ;



Sur la légalité des arrêtés de reconduite à la frontière :

En ce qui concerne leur légalité externe

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 25 novembre 2005, publié le 30 novembre 2005 au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Savoie, M. Jean-Claude Bellour, sous-préfet de Bonneville, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE pour signer notamment les décisions de reconduite à la frontière, dans le cadre de ses fonctions de secrétaire-général de la préfecture de la Haute-Savoie par intérim ;

Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les arrêtés de reconduite à la frontière en litige comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ;


En ce qui concerne l'exception d'illégalité des décisions de refus de séjour :

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 10 janvier 2005, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Savoie, M. Philippe Derumigny, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Savoie, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE pour signer notamment les décisions de refus de délivrance de titre de séjour ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions de refus de délivrance de titre de séjour comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des décisions du 9 août 2005 portant refus de délivrance de titre de séjour et invitation à quitter le territoire national que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ne s'est pas fondé, pour prendre ces décisions, sur la seule circonstance que la demande d'admission au statut de réfugié des intéressés avait été rejetée par une décision de l'OFPRA confirmée par la commission des recours des réfugiés et qu'il a examiné la situation personnelle des intéressés ; que les décisons attaquées ne sont , dès lors, pas entachées d'erreur de droit ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;

Considérant que si M. et Mme X soutiennent qu'ils ne peuvent vivre une vie privée et familiale qu'en France où ils sont parfaitement intégrés et bénéficient d'une promesse d'embauche, où leurs enfants sont scolarisés et où ils ont trouvé un équilibre familial, social et psychique, il ressort des pièces du dossier que les époux X sont entrés en France moins de deux ans avant la date des décisions contestées et il n'est pas établi ni même allégué qu'ils possèderaient des attaches familiales sur le territoire national ; que, par suite, en refusant de délivrer aux intéressés un titre de séjour, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne les autres moyens de légalité interne des arrêtés de reconduite à la frontière :

Considérant, en premier lieu, que si M. et Mme X font valoir qu'ils sont parfaitement intégrés en France où ils vivent depuis deux ans et bénéficient d'une promesse d'embauche et où leurs enfants sont scolarisés, il ressort des pièces du dossier, pour les motifs ci-dessus énoncés et compte-tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment de la durée et des conditions d'entrée et de séjour de M. et Mme X en France et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, que les arrêtés contestés n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ils ont été pris ; qu'ils n'ont, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. et Mme X ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les arrêtés de reconduite à la frontière en litige, des énonciations contenues dans la circulaire du 31 octobre 2005 du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire qui sont dépourvues de caractère réglementaire ;

Considérant, en troisième lieu, que le préambule et les stipulations des articles 9-1 et 10 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés ; que M. et Mme X ne peuvent donc utilement se prévaloir de ces stipulations pour demander l'annulation des arrêtés décidant leur reconduite à la frontière ;


Sur la décision distincte fixant le pays de destination

Considérant, en premier lieu, que par arrêté du 25 novembre 2005, publié le 30 novembre 2005 au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Haute-Savoie, M. Jean-Claude Bellour, sous-préfet de Bonneville, a reçu régulièrement délégation de signature du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE pour signer notamment les décisions fixant le pays de destination des reconduites à la frontière, dans le cadre de ses fonctions de secrétaire-général de la préfecture de la Haute-Savoie par intérim ;

Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions fixant le pays de destination des reconduites à la frontière comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, d'une part, ses arrêtés du 31 janvier 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. et Mme X et, d'autre part, ses décisions distinctes du même jour fixant le pays dont les intéressés ont la nationalité comme destination des reconduites, lui a enjoint de délivrer à M. et Mme X une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer, dans le délai d'un mois, leur situation administrative et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par voie de conséquence, doivent êtres rejetées les conclusions en injonction sous astreinte que présentent M. et Mme , ainsi que leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative;



Sur les conclusions du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE tendant au sursis à exécution du jugement en date du 13 février 2006 :

Considérant que la Cour statuant au fond par le présent arrêt sur le recours n° 06LY00411, les conclusions du recours enregistré sous le n° 06LY00412 deviennent sans objet ;




DECIDE :


Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble en date du 13 février 2006 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Grenoble, ainsi que leurs conclusions présentées en appel, sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 06LY00412 du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à fin de sursis à exécution du jugement du 13 février 2006.
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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 06LY00411
Date de la décision : 20/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean Louis GUERRIVE
Rapporteur public ?: Mme VERLEY-CHEYNEL
Avocat(s) : LEREIN AUDREY ; LEREIN AUDREY ; LEREIN AUDREY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2006-06-20;06ly00411 ?
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