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02/04/1998 | FRANCE | N°98LY00050

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1e chambre, 02 avril 1998, 98LY00050


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 janvier 1998, présentée pour M. Nurretin Y..., ayant élu domicile ..., par Me DEALBERTI avocat au barreau de SAINT-ETIENNE ;
M. Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 97-1214 et 97-1215 en date du 19 novembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à ce que le tribunal annule, d'une part, l'arrêté en date du 24 janvier 1997 par lequel le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion du territoire français sur le fondement des dispositions de l'article 26 b) de

l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée et, d'autre part, la décis...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 13 janvier 1998, présentée pour M. Nurretin Y..., ayant élu domicile ..., par Me DEALBERTI avocat au barreau de SAINT-ETIENNE ;
M. Y... demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement n 97-1214 et 97-1215 en date du 19 novembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à ce que le tribunal annule, d'une part, l'arrêté en date du 24 janvier 1997 par lequel le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion du territoire français sur le fondement des dispositions de l'article 26 b) de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée et, d'autre part, la décision en date du 3 février 1997 par laquelle le préfet de l'Isère a fixé la Turquie comme pays de destination de son expulsion ;
2 ) d'annuler lesdites décisions ;
3 ) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 4. 000 francs en application des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le décret n 82-440 du 26 mai 1982 modifié ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu les articles 1089 B et 1090 A du code général des impôts et l'article 10 de la loi n 77-1468 du 30 décembre 1977, complétés par l'article 44 de la loi n 93-1352 du 30 décembre 1993 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mars 1998 :
- le rapport de M. BOURRACHOT, conseiller ;
- les observations de Me DEALBERTI, avocat de M. Y... ;
- et les conclusions de M. BEZARD, commissaire du gouvernement ;

Sur l'arrêté d'expulsion :
Considérant qu'aux termes de l'article 25 de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 : "Ne peuvent faire l'objet d'un arrêté d'expulsion ( ...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de six ans" ; qu'aux termes de l'article 26 de ladite ordonnance : "L'expulsion peut être prononcée : ( ...) b) Lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, par dérogation à l'article 25" ; qu'enfin aux termes des dispositions de l'article 2 du décret du 26 mai 1982 dans sa rédaction résultant de l'article 4 du décret n 97-24 du 13 janvier 1997 : "L'autorité administrative compétente pour prononcer, en application de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée précitée, une décision d'expulsion est le ministre de l'intérieur. Toutefois, dans les départements d'outre-mer, le préfet est compétent." ;
Considérant que le requérant ne peut utilement invoquer l'absence de production d'une délégation au bénéfice de Mme Z... dès lors que cette dernière s'est bornée à signer une ampliation de l'arrêté d'expulsion dont l'auteur est M. De X..., bénéficiaire d'une délégation de signature par décret du 28 juin 1996 publié au journal officiel du 30 juin 1996, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif ;
Considérant que par arrêté en date du 24 janvier 1997, après avoir rappelé que M. Nurettin Y..., ressortissant de nationalité turque, s'était rendu coupable en 1994 de transport, hors de son domicile et sans motif légitime, d'une arme de 4ème catégorie ainsi que d'agression sexuelle, d'extorsion de fonds et de vol avec violence, délits commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité due à une infirmité était évidente, le ministre de l'intérieur a estimé qu'en raison de l'ensemble de son comportement, l'expulsion de cet étranger constituait une nécessité impérieuse pour la sécurité publique et a décidé son expulsion sur le fondement des dispositions précitées de l'article 26 b de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; que l'autorité de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 21 mars 1991, condamnant M. Y... pour ces faits, s'oppose à ce que leur matérialité soient discutée devant le juge administratif ; qu'eu égard à la nature et à la gravité des faits reprochés à M. Y... le ministre de l'intérieur a pu, sans commettre ni erreur de droit ni erreur d'appréciation, estimer que son expulsion revêtait le caractère d'une nécessité impérieuse pour la sécurité publique ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sécurité publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;

Considérant que M. Y..., né le 1er avril 1974, fait valoir qu'il est entré en France à l'age de deux ans avec toute sa famille, y a toujours vécu depuis en occupant un emploi stable et qu'il est dépourvu de toutes attaches avec son pays d'origine ; que, cependant, dans les circonstances de l'espèce et eu égard tant à la nature qu'à la gravité des faits qui lui sont reprochés, la mesure d'expulsion prise à son encontre n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public ; que, dans ces conditions, elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en tout état de cause, la décision du ministre de l'intérieur n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son exécution sur la situation familiale et personnelle de M. Y... ;
Considérant que M. Y... ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre de l'arrêté d'expulsion qui ne comporte aucun choix du pays à destination duquel cette décision sera exécutée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 24 janvier 1997 par lequel le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion du territoire français sur le fondement des dispositions de l'article 26 b) de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ;
Sur la décision fixant le pays de destination et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : "L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : - 1 A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; - 2 Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; - 3 Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. - Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950" ; qu'aux termes des dispositions de l'article 27 ter du même texte : "La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de la mesure d'éloignement elle même." ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions alors seules en vigueur qu'en dehors des cas où elle intervient pour l'exécution d'une décision du juge judiciaire, la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger éloigné du territoire français, qui ne constitue pas une pure et simple mesure d'exécution, ne peut être prise que par l'autorité compétente pour signer la décision d'éloignement elle même ;

Considérant que l'expulsion de M. Y... étant intervenue sur le fondement des dispositions de l'article 26 b de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, le ministre de l'intérieur était seul compétent pour fixer le pays à destination duquel M. Y... serait expulsé ; que, dès lors, la décision en date du 3 février 1997 par laquelle le préfet de l'Isère a prescrit l'éloignement de M. Y... à destination de la Turquie, pays dont il a la nationalité, doit être annulée comme prise par une autorité incompétente ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 3 février 1997 par laquelle le préfet de l'Isère a prescrit son éloignement à destination de la Turquie, pays dont il a la nationalité ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de condamner l'Etat à verser à M. Y... la somme de 4. 000 francs au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 novembre 1997 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. Y... tendant à ce que le tribunal annule la décision en date du 3 février 1997 par laquelle le préfet de l'Isère a fixé la Turquie comme pays de destination de son expulsion.
Article 2 : La décision en date du 3 février 1997 par laquelle le préfet de l'Isère a fixé la Turquie comme pays de destination de l'expulsion de M. Y... est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1e chambre
Numéro d'arrêt : 98LY00050
Date de la décision : 02/04/1998
Type d'affaire : Administrative

Analyses

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPETENCE - COMPETENCE EN MATIERE DE DECISIONS NON REGLEMENTAIRES - MINISTRES.

ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITE DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPETENCE - COMPETENCE EN MATIERE DE DECISIONS NON REGLEMENTAIRES - PREFET.

ETRANGERS - EXPULSION - PROCEDURE.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Décret 82-440 du 26 mai 1982 art. 2
Décret 97-24 du 13 janvier 1997 art. 4
Ordonnance 45-2658 du 02 novembre 1945 art. 25, art. 26, art. 27 bis


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. BOURRACHOT
Rapporteur public ?: M. BEZARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1998-04-02;98ly00050 ?
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