Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la cour les 19 juillet 1989 et 21 février 1990, présentés pour la société BERGEON, dont le siège est ..., représentée par son président directeur général, par la SCP GUIGUET-BACHELLIER-DE LA VARDE, avocat aux Conseils ;
La société BERGEON demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 mars 1989 par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE l'a déclarée entièrement responsable des conséquences du fonctionnement défectueux des incinérateurs installés à l'hôpital Sainte Marguerite à MARSEILLE ;
2°) d'annuler le jugement du 8 novembre 1984 du même tribunal en tant qu'il a rejeté ses appels en garantie dirigés contre les sociétés SMET et SAFER ;
3°) de la décharger de toute responsabilité et de rejeter la demande de l'Assistance publique à MARSEILLE ;
4°) de condamner l'Assistance publique à MARSEILLE à lui payer la somme de 713 943,19 francs avec intérêts moratoires et capitalisation des intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 mars 1992 :
- le rapport de M. ZUNINO, conseiller ;
- les observations de Me DE LA VARDE, avocat de la société BERGEON, de Me COUTARD, avocat de l'Assistance Publique à MARSEILLE, de Me BLANC, avocat de la société SMET ;
- et les conclusions de M. JOUGUELET, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre le jugement du 8 novembre 1984 :
Considérant qu'aux termes de l'article R 229 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues à l'article R 211 ... Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, le délai d'appel contre un jugement avant-dire-droit, qu'il tranche ou non une question au principal, court jusqu'à expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige." ; qu'il résulte de ces dispositions que l'appel contre le jugement avant-dire-droit sus-indiqué était recevable, aucun jugement au fond réglant définitivement le litige n'étant intervenu à la date d'enregistrement de l'appel ;
Au fond :
Considérant que la société BERGEON, titulaire du lot de travaux "chauffage-incinération" d'un marché passé avec l'Assistance Publique à MARSEILLE pour le réaménagement de la centrale thermique de l'hôpital Sainte Marguerite, était chargée d'installer deux incinérateurs ayant chacun, aux termes du cahier des clauses techniques particulières, une capacité d'incinération de déchets de 450 kg par heure ; que la réception de ces éléments a été refusée, l'Assistance publique ayant par ailleurs d'une part suspendu le règlement définitif du marché, d'autre part demandé au tribunal administratif de MARSEILLE de condamner l'entreprise BERGEON à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle subissait ; que la société BERGEON ayant de son côté demandé au tribunal administratif de condamner l'Assistance Publique à lui verser les sommes qui lui reviennent sur le règlement du marché, le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, déclaré l'entreprise BERGEON entièrement responsable des défauts des incinérateurs et organisé un supplément d'instruction aux fins de déterminer l'exact préjudice de l'Assistance Publique, lequel s'imputera sur les sommes dont cette dernière serait redevable à l'entreprise BERGEON ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les incinérateurs installés par la société BERGEON n'ont pas la capacité nécessaire au brûlage de la quantité de déchets contractuellement prévue ; que cette insuffisance est imputable à la conception générale des incinérateurs dont la capacité thermique est trop faible eu égard au "pouvoir calorifique inférieur" des déchets à incinérer ; qu'il résulte de l'instruction que les changements dans la composition des déchets entre l'appel d'offres et la livraison n'ont joué qu'un rôle négligeable dans l'insuffisance constatée lors des essais, les incinérateurs étant, dès leur conception, inadaptés à l'objectif assigné tel qu'il pouvait être apprécié lors de l'appel d'offres ; que ce manquement à ses obligations contractuelles est de nature à engager à l'égard de l'Assistance Publique à MARSEILLE la responsabilité de la société BERGEON, qui ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de cette collectivité des fautes éventuelles de son sous-traitant, la société SAFER ;
Considérant que la société BERGEON n'est pas fondée à soutenir que le type de matériel retenu lui aurait été imposé, non plus que le fournisseur, par l'Assistance Publique, et à demander pour cette raison d'être exonérée de la responsabilité ci-dessus mentionnée ;
Considérant toutefois qu'il résulte du rapport de l'expert X... qu'en se bornant à spécifier dans les documents contractuels un objectif de brûlage d'une quantité déterminée de déchets sans préciser autrement le pouvoir calorifique inférieur desdits déchets, l'Assistance Publique à MARSEILLE, qui disposait de services techniques aptes à apporter ces précisions et à en mesurer l'importance, d'une part, à percevoir d'autre part les insuffisances de matériels conçus sans que ces précisions soient apportées et à partir d'hypothèses non vérifiées concernant le pouvoir calorifique des déchets, a commis une faute qui, si elle ne dispensait pas l'entreprise BERGEON de son devoir de réclamer les informations manquantes, est de nature à atténuer sa responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage dans une proportion qu'il y a lieu de fixer à 10 % ;
Considérant enfin que la société SMET, maître d'oeuvre, avait entre autres pour mission d'établir l'avant projet détaillé et de déterminer les spécifications techniques détaillées des ouvrages ; qu'en acceptant un projet dont elle devait savoir que sur le point essentiel du pouvoir calorifique inférieur des déchets il reposait sur des simples hypothèses, au demeurant irréalistes, elle a commis une faute caractérisée, distincte de celle de l'entreprise BERGEON, susceptible d'atténuer la responsabilité de cette dernière ; qu'il y a lieu de fixer a 25 % la part de responsabilité de la société SMET ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, réformant le jugement attaqué, de limiter à 65 % la responsabilité de la société BERGEON liée aux insuffisances des incinérateurs ;
Sur les appels en garantie de la société BERGEON :
- En ce qui concerne la société SMET :
Considérant en premier lieu que la société BERGEON et la société SMET étaient chacun liées à l'Assistance Publique à MARSEILLE par un contrat de droit public ; que par suite il appartient au juge administratif de se prononcer sur le litige qui peut les opposer a l'occasion de l'exécution de ces contrats ; qu'il y a lieu dès lors d'annuler le jugement du 8 novembre 1984 en ce qu'il a rejeté comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions de la société BERGEON dirigées contre la société SMET ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces conclusions ;
Considérant que la responsabilité ci-dessus arrêtée de la société BERGEON est partagée de façon divise avec la société SMET ; que, ce partage tenant compte des fautes respectives des sociétés BERGEON et SMET, la société BERGEON n'est, dans ces conditions, pas fondée à demander à être garantie par la société SMET de la condamnation qui sera mise à sa charge ;
- En ce qui concerne la société SAFER :
Considérant que la société SAFER était sous-traitant de la société BERGEON ; qu'alors même qu'elle a été agréée par le maître d'ouvrage, les liens l'unissant à cette dernière procèdent d'un contrat de droit privé ; que par suite il n'appartient pas à la juridiction administrative de se prononcer sur les conclusions en garantie présentées par la société BERGEON à l'encontre de la société SAFER ;
Sur le surplus des conclusions de la société BERGEON :
Considérant en premier lieu que la définition du préjudice, qu'une expertise doit déterminer, arrêtée par le jugement du 2 mars 1989, tient compte, comme le demande la société BERGEON, de la plus-value qui sera apportée à l'hôpital par l'installation d'incinérateurs de capacité supérieure ; que toutefois l'indemnité destinée à tenir compte de la nécessité de remplacer l'ouvrage ne doit pas se calculer, comme l'ont à tort décidé les premiers juges, par référence au coût de remplacement des matériels tel qu'il a été ou sera effectivement supporté par l'Assistance publique à MARSEILLE, mais par référence à ce qu'aurait été ce coût si le remplacement s'était effectué à la date à laquelle les causes du dommage étaient connues, qu'il y a lieu de fixer au 21 avril 1987, date de dépôt du rapport de l'expert X... ; qu'il y a lieu de modifier en ce sens la mission d'expertise fixée par le jugement attaqué ;
Considérant en second lieu que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur l'étendue des troubles de jouissance invoqués par l'Assistance publique à MARSEILLE, et se sont bornés sur ce point à organiser une expertise ; que les conclusions de la société BERGEON tendant à ce que la cour fixe cette étendue ne sont dès lors pas recevables ;
Considérant enfin qu'il ne pourra être statué sur les intérêts dus sur la créance éventuelle de la société BERGEON qu'à l'occasion du règlement définitif du marché en cause ; que les conclusions de la société BERGEON tendant à ce que la cour se prononce sur ces intérêts sont dès lors irrecevables ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de MARSEILLE en date du 8 novembre 1984 est annulé en tant qu'il a rejeté comme présentées devant une juridiction incompétente les conclusions de la société BERGEON dirigées contre la société SMET.
Article 2 : La société BERGEON est déclarée responsable à concurrence de 65 % du préjudice subi par l'Assistance publique à MARSEILLE en raison des incinérateurs installés par elle à l'hôpital de Sainte Marguerite.
Article 3 : La mission d'expertise définie par le jugement en date du 2 mars 1989 du tribunal administratif de MARSEILLE est modifiée conformément aux motifs énoncés ci-dessus.
Article 4 : Le surplus du jugement du 8 novembre 1984 et le jugement du 2 mars 1989 du tribunal administratif de MARSEILLE sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société BERGEON est rejeté.