Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour le 30 avril 1990, présentée pour la société CONVERT dont le siège est ..., représentée par son président-directeur général, par la SCP CHAVRIER, BROSSE, X..., FRECHARD, avocats ;
La société CONVERT demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er mars 1990 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à ce que la ville d'OYONNAX soit condamnée à l'indemniser du préjudice subi par suite du captage des eaux de la Geilles et à lui payer de ce chef une indemnité provisionnelle ;
2°) d'instituer une nouvelle expertise aux fins de déterminer les éléments des préjudices subis, et de lui accorder une indemnité provisionnelle de 300 000 francs ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 septembre 1991 :
- le rapport de M. ZUNINO, conseiller ;
- les observations de Me MOUISSET, avocat de la société S.A. CONVERT ;
- et les conclusions de M. JOUGUELET, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la ville d'OYONNAX a, y étant autorisée par arrêté préfectoral en date du 4 mai 1957, opéré sur les eaux de la source de Geilles, qui alimente la rivière "Le Lange", un prélèvement permanent ; qu'elle a ce faisant porté atteinte aux droits que conférait l'article 644 du code civil à la société CONVERT, installée en aval de part et d'autre de la rivière, d'utiliser l'eau de cette dernière à charge pour elle de la restituer ; que si, par convention intervenue le 22 janvier 1959 entre la ville et la société requérante, le préjudice ainsi causé a pu être réparé grâce à la fourniture gratuite, par la ville, d'eau à la société CONVERT, cette convention a été dénoncée par la ville à compter du 26 juin 1979 ; que la société CONVERT demande l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande d'indemnisation qu'elle avait formée contre la ville, tendant à la réparation du préjudice causé à partir de l'année 1979 ;
Considérant que la commune d'OYONNAX est responsable, même sans faute, des dommages causés aux tiers par les travaux publics de captage des eaux qu'elle a entrepris ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la commune, les droits de la société CONVERT ne trouvent pas leur origine dans les termes d'un arrêté préfectoral du 6 septembre 1860, qui d'ailleurs ne saurait être regardé comme devenu caduc, mais, ainsi qu'il vient d'être dit, de l'article 644 du code civil, aux termes duquel : "Celui dont la propriété borde une eau courante, autre que celle qui est déclarée dépendance du domaine public ... peut s'en servir sur son passage pour l'irrigation de ses propriétés. Celui dont cette eau traverse l'héritage peut même en user dans l'intervalle qu'elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de son fonds, à son cours ordinaire." ; que par suite l'étendue de ces droits ne saurait être limitée aux besoins de la société tels qu'ils pouvaient être perçus en 1860 ou en 1957 ;
Considérant en premier lieu que si la société CONVERT se prévaut du coût, d'ailleurs non totalement établi, des travaux qu'elle aurait effectués pour pallier les insuffisances du débit de la rivière résultant du captage communal, elle n'établit pas que ces travaux, rendus de toute façon nécessaires par l'irrégularité naturelle du débit de cette rivière et l'extension de l'entreprise utilisatrice, ont été la conséquence directe des travaux effectués par la commune, alors surtout qu'une partie d'entre eux ont été effectués en une période où, la convention susmentionnée étant en vigueur, l'entreprise CONVERT ne souffrait d'aucune privation d'eau du fait de la commune ;
Considérant en deuxième lieu que le préjudice tenant à ce que, dans l'avenir, la société CONVERT devra exposer des frais pour compenser la privation d'eau, est lié tant à la permanence de la ponction opérée par la ville d'OYONNAX qu'aux variations naturelles de débit de la rivière ; qu'un tel préjudice est ainsi éventuel tant dans son principe que dans son montant ; que les conclusions de la société CONVERT tendant à sa réparation doivent donc être rejetées ;
Considérant en troisième lieu que, pour déterminer le préjudice lié à la nécessité où s'est trouvée la société CONVERT, de 1979 à 1990, de faire appel au réseau public de distribution pour compléter l'insuffisance du débit de la rivière imputable à la commune, il y a lieu de tenir compte de ce que, même en l'absence de ces captages, le débit se trouve, à certaines périodes et de façon irrégulière, inférieur aux besoins de l'entreprise et appelle ainsi des achats d'eau dont l'existence n'est ainsi pas imputable à la commune ; qu'il résulte de l'examen des emprunts faits au réseau public de distribution entre 1979 et 1991 que la part de ces emprunts excédant 18 000 mètres cubes par an trouve son origine dans les insuffisances naturelles du débit, et ne peut ainsi être mise à la charge de la commune ;
Considérant qu'il suit de là que la société CONVERT est en droit, dans la limite de 18 000 mètres cubes par an, d'obtenir remboursement de la fourniture d'eau qu'elle a effectivement achetée de 1979 à ce jour, étant exclue de cette base de calcul la consommation d'eau épurée qu'en tout état de cause elle devait supporter, et qui était enregistrée sur un compteur séparé ; qu'il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en le fixant, compte-tenu des pièces versées au dossier, à la somme de 700 000 francs ; que la société requérante est dès lors fondée à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'indemnité de ce chef ;
Sur les intérêts :
Considérant que, dans le dernier état de ses écritures, la société CONVERT a demandé que l'indemnité lui revenant soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1991 ; que la somme de 700 000 francs qui lui est accordée doit porter intérêts à compter de cette date ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article R. 217 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, il convient de mettre à la charge de la ville d'OYONNAX les frais d'expertise ;
Sur l'application des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de condamner la ville d'OYONNAX à payer à la société CONVERT la somme de 6 000 francs au titre des dépenses exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de LYON en date du 1er mars 1990 est annulé.
Article 2 : La ville d'OYONNAX est condamnée à payer à la société CONVERT la somme de 700 000 francs, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 1991.
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de la ville d'OYONNAX.
Article 4 : La ville d'OYONNAX versera à la société CONVERT la somme de 6 000 francs au titre des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société CONVERT est rejeté.